Vers une autorisation de l’exploitation minière des fonds marins ?

 

Le conseil de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) s’ouvre ce lundi 31 octobre, à Kingston en Jamaïque. Cette réunion sera très importante, car elle pourrait ouvrir la porte à une exploitation minière des fonds marins. Ce qui suscite beaucoup d’oppositions.

La faille de Clarion-Clipperton n’est certainement pas la plus connue du grand public. Longue de 7 240 kilomètres, elle court au fond de l’océan Pacifique. Elle se retrouve néanmoins depuis quelques années au centre de nombreuses discussions. Le plancher océanique y regorge en effet de ressources encore inexploitées à ce jour. « Il s’agit de ressources minérales, de cobalt, de nickel, de manganèse »,explique Jean-Marc Daniel, le directeur du département Ressources physiques et écosystèmes de fond de mer à l’IFREMER. « Ces métaux, pour un certain nombre d’entre eux, sont principalement utilisés pour les véhicules électriques, dans les téléphones également. »

Ce sont en effet des composants essentiels pour la réalisation de batteries notamment. Ils vont donc être amenés à jouer un rôle encore plus important dans les années à venir avec l’électrification croissante, du parc d’automobiles par exemple, nécessaire pour la transition écologique. Or, « une ressource comme le cobalt nous rend dépendants d’un seul État, puisque seule la République démocratique du Congo, ou presque, en produit. L’augmentation de la demande et la dépendance à peu d’acteurs contribuent à faire monter l’attention et la tension », poursuit-il.

Pas encore de contrats miniers à ce jour

Dans ce contexte, les ressources encore inexploitées des grands fonds suscitent beaucoup d’intérêt. Si à ce jour, il n’y a encore aucun contrat d’exploitation d’attribué, 31 licences d’exploration ont néanmoins été accordées par l’AIFM, l’Autorité internationale des fonds marins, qui régule le secteur., dont 19 dans la zone de Clarion-Clipperton.

Déjà des navires sillonnent la zone pour cartographier les richesses et les premiers groupes miniers ont fait la demande pour passer de l’exploration à l’exploitation. « Mais avant d’exploiter, il faudrait connaître », estime Christian Tamburini, chercheur CNRS à l’Institut méditerranéen d’océanologie, et spécialiste des fonds marins. « Pour l’instant, on connaît très peu les fonds marins. Ça fait vingt ans que je travaille sur ce sujet, mais cela ne fait que quelques années que la communauté internationale s’y intéresse ; on commence juste à avoir les outils technologiques qui nous permettent d’explorer. » Ce manque de connaissances de ces milieux est l’un des arguments soulevés par les opposants à l’exploitation minière des fonds marins. « On ne comprend pas encore comment fonctionne cet océan profond », explique le chercheur.

Quel impact environnemental ?

Dans ces conditions, comment estimer l’impact environnemental et sur la biodiversité de tels chantiers ? « D’autant plus qu’il faut considérer l’océan comme quelque chose de continu », poursuit Christian Tamburini. « Aller exploiter une zone sur le plancher océanique va avoir des conséquences sur la colonne d’eau », cette zone entre le fond et la surface. « La biodiversité, qu’on ne connaît d’ailleurs pas bien, se trouve sur le plancher océanique, dans les sédiments, et aussi dans la colonne. On sait qu’énormément d’organismes vivent à 500 mètres de profondeur et migrent vers la surface le jour pour redescendre la nuit. Les bateaux qui seraient support à l’exploitation des grands fonds rejetteraient des panaches dans les environs de 200 à 500 mètres de profondeur, là où il y a énormément d’organismes très importants. On les connaît mal, mais on sait qu’ils sont là ».

Agregat de crevettes Rimicaris exoculata sur un site hydrothermal. D'apparence inertes et inutiles, ces zones de gisements minéraux à plusieurs centaines ou milliers de mètres sous l'eau, recèlent en réalité de fragiles écosystèmes au fonctionnement encore inconnu.
Agregat de crevettes Rimicaris exoculata sur un site hydrothermal. D’apparence inertes et inutiles, ces zones de gisements minéraux à plusieurs centaines ou milliers de mètres sous l’eau, recèlent en réalité de fragiles écosystèmes au fonctionnement encore inconnu. © Ifremer

L’exploitation minière des fonds marins serait également source d’autres nuisances, chimiques, lumineuses, sonores, etc., sur des zones pouvant aller jusqu’à plusieurs dizaines, voire des centaines de kilomètres autour du site à proprement parler. Enfin, un dernier possible impact concerne le carbone séquestré depuis des millions d’années dans les sédiments qui tapissent les fonds marins. S’il venait à être relâché, cela constituerait une potentielle bombe climatique, dont il est encore difficile de dire si elle peut éclater ou non à cause de cette activité, faute de connaissances.

L’idée d’un moratoire ne fait pas l’unanimité

Aller miner dans le « monde du silence », comme disait le commandant Cousteau, ne sera donc dans tous les cas pas sans conséquences, d’autant plus qu’il s’agit de l’un des derniers écosystèmes encore relativement préservé de l’activité humaine. C’est pour cette raison que nombreux États, insulaires du Pacifique notamment, se sont prononcés pour la mise en place d’un moratoire. Le président des Palaos Surangel Whipps avait notamment lancé un appel en ce sens lors de la dernière conférence sur les Océans organisée par les Nations Unies en juin 2022.

Néanmoins, tous ces États ne sont pas unanimes et c’est l’un d’entre eux, Nauru, qui a lancé le mouvement vers l’exploitation : « On a tendance à voir les États du Pacifique comme un bloc contre l’exploitation minière des fonds marins, mais ce n’est pas le cas », analyse Anne-Sophie Roux de l’Ocean Sustainable Alliance« Une majorité est effectivement opposée, mais des États comme Nauru veulent accélérer l’exploitation. Nauru, c’est un État du Sud du Pacifique, de 10 000 habitants. Son seul intérêt en ce sens est économique. Ils ont fait un partenariat avec l’entreprise minière canadienne The Metals Company. Elle est missionnée par Nauru pour collecter ces métaux rares en échange de sommes astronomiques d’argent pour le développement de l’île. »

C’est dans ce cadre-là que The Metal Company a fait la demande en juin 2021 auprès de l’AIFM de transformer son contrat d’exploration en contrat d’exploitation. Cette demande a déclenché un délai de deux ans, jusqu’en juin 2023. À partir de là, faute de réponse, « toute entreprise minière qui en fera la demande, pourra obtenir un permis d’exploitation en se basant sur l’ébauche en cours du code minier », explique Anne-Sophie Roux. « C’est très dangereux, car ce ne sera qu’un brouillon de cadre légal, qui ne sera pas du tout contraignant. »

C’est dans ce contexte que s’ouvrent le conseil de l’AIFM, l’avant-dernier avant l’expiration de ce délai et l’activation de la « loi des deux ans ». C’est pour cette raison que les tenants de la voie du moratoire jettent toutes leurs forces dans la bataille. « Lors des dernières négociations, le Chili et le Costa Rica avaient particulièrement poussé dans ce sens », se souvient Anne-Sophie Roux. « Ces deux pays poussaient sans cesse pour soumettre le moratoire au vote des états membres de l’AIFM. Depuis, un nombre croissant d’états les rejoignent. L’Espagne et le Portugal vont dans ce sens ».

La France pourrait également plaider pour un moratoire

En effet, lors de la conférence sur les océans organisés par l’ONU à Lisbonne en juin dernier, Emmanuel Macron avait pris position à la surprise générale : « Je pense que nous devons élaborer un cadre légal pour mettre un coup d’arrêt à l’exploitation minière des fonds en haute mer et ne pas autoriser de nouvelles activités qui mettraient en danger les écosystèmes ». La France étant la deuxième puissance maritime mondiale, sa voix est importante au conseil de l’AIFM. D’autant plus que la première puissance n’en est pas membre : les États-Unis n’ont en effet jamais ratifié la convention mondiale sur le droit de la mer.

Contactés par RFI, l’Élysée et le ministère de la Transition écologique n’ont pas donné suite à nos questions sur la position que la France tiendra lors de ce conseil de l’AIFM. Si celui-ci venait à ne pas aller dans le sens du moratoire ou a minima d’une pause vers l’exploration minière, il en restera cependant un avant la date butoir de juin 2023, programmé au début du printemps.

Source: RFI