Surpêche : les pays européens dépassent délibérément leurs quotas
17 mars 2023
17 mars 2023
Des documents confidentiels de la Commission européenne révèlent que certains pays membres cherchent à contourner les protocoles de déclaration de la pêche qui instaurent des quotas par espèce pêchée.
A quoi bon instaurer des quotas pour réguler la pêche si on peut tricher ? Selon des documents confidentiels de la Commission européenne, consultés par The Guardian, plusieurs pays européens dont la France et l’Espagne cherchent à contourner les protocoles de déclaration de la pêche, ce qui pourrait mettre en danger les espèces menacées, épuiser les stocks des poissons et donc «remettre en question» tout l’objectif de la politique des quotas.
Pour lutter contre la surpêche, les navires de l’Union européenne doivent rendre des comptes. En vue de la complexité du comptage, la réglementation autorise une marge de 10% entre la capture déclarée pour chaque espèce de poisson dans le journal de bord du bateau et la quantité déclarée après le débarquement. Mais depuis 2016 la pêche en mer Baltique bénéficie d’une dérogation qui lui permet d’élargir la portée de la marge de 10% aux captures totales des navires. Un assouplissement qui permet de «surdéclarer» certaines espèces, de sous déclarer d’autres et donc de contourner les quotas instaurés par l’UE pour éviter les sanctions. Les documents consultés par le Guardian révèlent que des pays européens voudraient élargir cette mesure dérogatoire à toutes les eaux de l’UE.
Les espèces les plus pêchées en Europe – dont le maquereau, le thon, le hareng de l’Atlantique et le sprat – pourraient être menacées en vertu de cette souplesse si elle était étendue au-delà de la mer Baltique.
Si le feu vert est donné à l’élargissement d’une telle dérogation, les fausses estimations des navires risquent de monter en flèche. Cette «dérogation a entraîné d’énormes erreurs de déclaration, en particulier une sous-déclaration et une surpêche des espèces soumises à un quota. La déclaration erronée des captures est le précurseur d’une pêche non durable qui, au fil du temps, risque d’entraîner l’épuisement des stocks de poissons et, en fin de compte, de perturber l’écosystème marin», soulignent l’un des documents consultés par le quotidien britannique.
Les audits préliminaires de l’UE suggèrent en effet que les déclarations mensongères en mer Baltique sont «incitées» par cette mesure clémente qui s’est accompagnée d’une intensification de la pêche, selon un autre document consulté par le Guardian. Le sprat, espèce protégée par un quota, a été sous-déclaré de 78%, tandis que les prises d’espèces hors quota ont été surdéclarées de 819%.
«Si vous pêchez deux stocks qui ont une biomasse très différente avec une tolérance de capture totale de 10%, vous aurez un risque beaucoup plus grand de surpêcher la plus petite population, explique Massimiliano Cardinale au média, conseiller du Conseil international pour l’exploitation de la mer. C’est juste une conséquence évidente». Les stocks de poissons les plus menacés par des protocoles de déclaration affaiblis comprennent l’albacore dans l’océan Indien, qui pourrait s’effondrer d’ici 2026 si la surpêche se poursuit.
Dans ce contexte, l’élargissement de la marge de 10% «légaliserait les déclarations erronées, en particulier la sous-déclaration de plusieurs, voire de toutes les espèces soumises à quota, effaçant près de quarante ans d’amélioration de la précision des déclarations de captures dans l’UE, en ramenant les normes de pêche de l’UE à 1983», souligne le premier document de la commission. Cela irait également à l’encontre des objectifs de l’accord Cop15 sur la protection de la nature.
La branche professionnelle de pêcheurs, Europêche, justifie l’élargissement de la marge en par la difficulté d’appliquer les nouvelles règles aux flottes qui pêchent des espèces comme le thon tropical. Elle dénonce aussi les sanctions comme la suspension des licences de pêche et l’immobilisation des navires après avoir cumulé trop de points de pénalité.
L’ONG Oceana considère que l’ampleur du coût que représenteraient les nouvelles règles pour l’industrie est contestable. «Seule une poignée de délinquants en série risque de ne plus être rentable», estime Vanya Vulperhorst, directrice de campagne d’Oceana. Leur céder serait «une contradiction totale avec la politique de tolérance zéro de l’UE à l’égard de la pêche illégale, non déclarée et non réglementée, [et] mettrait encore plus en péril des stocks déjà surexploités tels que le thon à nageoires jaunes dans l’océan Indien».
Une longue querelle s’annonce, partie d’un marchandage interne à l’UE sur la modernisation des contrôles de la pêche, qui ont été proposés par Bruxelles en 2018 mais contestés depuis par des états de pêche comme la France, le Danemark et l’Espagne.