Quel est l’impact climatique du transport maritime ?

Le secteur maritime pèse près de 3 % des émissions et ne dispose pas aujourd’hui de trajectoire crédible pour réduire massivement sa contribution au réchauffement climatique.

Ce billet est extrait de l’infolettre « Chaleur humaine », envoyée tous les mardis à 12 heures. Chaque semaine, le journaliste Nabil Wakim, qui anime le podcast Chaleur Humaine, répond aux questions des internautes sur le défi climatique. Vous pouvez vous inscrire gratuitement ici :

« Bonjour. Votre podcast sur l’aviation répète qu’elle ne représente que 2,5 % des émissions au niveau mondial et ne dit rien du transport maritime, qui représente bien plus, alors qu’il utilise en plus le pétrole le plus pourri. Comme par hasard, le pourcentage de ces émissions n’est pas connu. » Question posée par Jean-Louis à l’adresse chaleurhumaine@lemonde.fr

« Votre croisade anti-avions oublie de mentionner le fret maritime qui pollue énormément et ne fait aucun effort alors que vous critiquez le secteur aérien, pourquoi ? » Question posée par Paul à l’adresse chaleurhumaine@lemonde.fr

Ma réponse : le secteur maritime pèse 2,8 % des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle globale, selon l’Organisation maritime internationale. Comme le secteur aérien, il est en pleine croissance et ne dispose pas aujourd’hui d’une trajectoire crédible pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre massivement. (Vous pouvez trouver ici un article de ma consœur Mathilde Damgé qui rappelle bien les ordres de grandeur avec des jolis graphiques.)

1/ Pourquoi le secteur maritime pollue-t-il ?

C’est vrai, le transport maritime est extrêmement polluant : il utilise massivement du fioul lourd (vous pouvez retrouver cet article bien détaillé du Temps sur le sujet), qui émet à la fois du CO2 mais aussi d’autres gaz à effet de serre. De plus, les navires relâchent des particules de soufre dangereuses pour la santé. Les navires transportent aujourd’hui 11 milliards de tonnes chaque année, contre 4 milliards dans les années 1990, rappelle le chercheur Yann Briand dans ce podcast très pédago de l’Iddri, l’Institut du développement durable et des relations internationales. (En passant, un tiers des marchandises concerne des produits énergétiques… notamment du pétrole, du gaz et du charbon.) Si cette tendance se poursuit, en 2050, le transport maritime pourrait représenter 17 % des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial.

2/ A-t-il une stratégie pour sortir des énergies fossiles ?

La réponse est non. En 2018, l’Organisation maritime internationale a publié de premiers engagements visant à réduire de 50 % les émissions d’ici à 2050, sans préciser clairement comment y parvenir. Ces promesses doivent être redéfinies en juillet 2023. L’industrie espère principalement remplacer le fioul lourd par d’autres carburants. Une partie des armateurs, comme CMA-CGM, misent sur le gaz naturel liquéfié (GNL), mais l’augmentation des prix du gaz depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie rend plus difficile la poursuite de cette stratégie. D’autres misent sur des carburants dits « de synthèse » : de l’hydrogène produit à partir d’électricité renouvelable, de l’ammoniac ou des agrocarburants non alimentaires. Mais les difficultés sont multiples : d’abord, produire ces carburants coûte cher pour l’instant, compte tenu de la faible demande. Pour certains, cela demande de changer la motorisation ou d’utiliser de nouveaux navires qui ne sont pas encore disponibles. Ces carburants seront aussi sollicités par d’autres secteurs – l’aviation, le transport routier, par exemple – qui cherchent également à se décarboner. Dernier point : il n’existe pas aujourd’hui de trajectoire de développement de ces carburants qui permette d’atteindre la neutralité carbone en 2050. D’autres solutions existent, comme le fait d’ajouter un moteur électrique pour une partie des trajets, ou d’ajouter une voile sur certains navires, comme le fait Louis Dreyfus Armateurs – sur certains trajets, cela permet d’économiser 20 % de carburant. Enfin, certaines entreprises tentent de se lancer sur le marché du transport à la voile (comme en atteste un salon qui se tient à Saint-Nazaire en juin sur le sujet), mais cela ne concerne que des volumes timides. Des tentatives existent aussi dans le tourisme, comme l’a raconté récemment ma collègue Jessica Gourdon sur la Corse.

Ce qui manque dans toute cette discussion : comme le secteur aérien, le transport maritime n’aborde pas la question de la baisse du trafic, pourtant identifiée par les scientifiques du GIEC dans leur dernier rapport.  Ce long récit du New York Times revient sur comment l’électrification de nos usages est devenue récemment une clé dans la bataille climatique. On en avait parlé dans « Chaleur humaine » avec Thomas Veyrenc il y a quelques semaines. Ça ne nous fait pas marais. Intéressant documentaire d’Arte sur le rôle des marais et des zones humides pour stocker le carbone, et le rôle méconnu et important qu’ils jouent pour lutter contre le changement climatique. Comment développer le train ? C’est la question à laquelle essaie de répondre ma collègue Sophie Fay dans cet article dans lequel elle liste les priorités pour l’investissement ferroviaire en France, après la promesse faite par Emmanuel Macron d’investir 100 milliards d’euros. A qui va servir la bassine de Sainte-Soline ? A douze agriculteurs, explique cette enquête de nos confrères de Mediapart – sept céréaliers et cinq éleveurs.

Source: Le Monde