Protection de la biodiversité en haute mer : les contours d’un traité international se précisent
26 août 2022
26 août 2022
Une ébauche de texte remise dimanche 21 août aux délégués de la conférence intergouvernementale chargée de préparer, à New York, le traité a été accueillie positivement par les négociateurs.
Les océans se meurent et les gens en paient le prix. » A New York, les messages alarmants se succèdent dans la nuit du dimanche 21 août, projetés en lettres géantes par Greenpeace sur le bâtiment des Nations unies et la façade du Musée Guggenheim. Les visages en gros plan de militants et de célébrités comme Jane Fonda interpellent les délégués de la conférence intergouvernementale chargée de préparer le traité pour la protection de la biodiversité en haute mer, autrement dit l’immensité qui s’étend au-delà de 200 milles nautiques (370 kilomètres) des côtes. Un texte technique, mais qui va néanmoins « déterminer le sort de notre Planète bleue pour les siècles à venir », insiste le collectif d’ONG High Seas Alliance.
A grand renfort de happenings et de pétitions pour un traité ambitieux – dont une a récolté cinq millions de signatures –, ces organisations font redoubler leurs pressions sur les ambassadeurs et les juristes qui ont entamé leur deuxième semaine de négociations à New York. Cette cinquième session de travail, qui devrait prendre fin le 26 août, est prévue pour être la dernière. Elle marque l’aboutissement d’un processus entamé en décembre 2017, après des années de discussions informelles.
Le secrétaire d’Etat à la mer, Hervé Berville, s’est lui-même rendu à New York, les 15 et 16 août, avec sensiblement le même message que les ONG. « La France et l’Union européenne souhaitent qu’un accord de caractère universel soit conclu en 2022, affirme-t-il. J’espère qu’au moins quarante ou cinquante pays seront prêts à le ratifier. Il y a un momentum politique à ne pas rater : nous n’avons plus de temps à perdre, cela implique de lancer toutes nos forces dans la bataille. » Soulignant qu’il est sans doute le seul ministre à s’être déplacé, il assure qu’il n’a cessé depuis son retour d’appeler au téléphone ses homologues pour les convaincre. « On avance bien… mais les sujets ne sont pas faciles », admet-il.
Une ébauche de texte remise aux délégués dimanche 21 août a été accueillie positivement par les négociateurs, selon les ONG présentes. Elles se disent plutôt optimistes, même si les déclinaisons concrètes du traité restent pour une bonne part entre crochets, donnant lieu à des interprétations encore contradictoires de la part des Etats. Mais l’effet de la « coalition de haute ambition » en faveur de l’adoption d’un traité en 2022 est perceptible. Lancée à Brest (Finistère) en février, cette coalition s’est renforcée en juillet à Lisbonne à l’occasion de la deuxième conférence des Nations unies sur les océans, et rassemble à présent une cinquantaine d’Etats, dont l’Union européenne.
Un consensus s’est dégagé pour une nouvelle Conférence des parties, comme il en existe une pour le climat, pour la biodiversité et pour la lutte contre la désertification, sans que cette création ne soit tout à fait acquise. On ne sait d’ailleurs pas de quels moyens ni de quelle autorité elle disposerait. Son rôle serait de veiller à la mise en œuvre du texte établi en quatre chapitres. En premier lieu, elle devrait permettre de créer des aires marines protégées (AMP) alors que la haute mer, qui n’en compte pratiquement pas, représente 65 % de l’océan mondial et 94 % de son volume, presque la moitié de la planète. Le texte instaure également des évaluations environnementales nécessaires avant tout chantier offshore.
Cependant, le traité, qui constituera, selon les Nations unies, un instrument international juridiquement contraignant, n’a pas seulement pour objectif la « conservation de la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale », il porte aussi sur l’utilisation durable de ses ressources. La quête de minéraux sous l’océan n’en relève pas : elle dépend de l’Autorité internationale des fonds marins. Le secteur de la pêche n’est pas directement concerné non plus, sauf dans les aires protégées.
Des transferts futurs de compétences – la formation de chercheurs par exemple – ainsi que de technologies utilisables dans l’océan lointain sont au menu du traité. Enfin, les Etats espèrent découvrir des ressources génétiques qui pourraient intéresser la recherche médicale, l’agroalimentaire. Ils se sont donc lancés dans des discussions serrées sur la façon d’en partager les avantages. Au sein du groupe des 77 pays en développement, ceux d’Afrique tiennent beaucoup à ce volet des négociations, tandis que, parmi les plus riches, certains, le Japon notamment, sont réticents à accepter cette redistribution.
Glen Wright, chercheur à l’Institut du développement durable et des relations internationales, qui suit les travaux sur place, estime que les négociateurs font preuve de souplesse en soutenant le principe d’un mécanisme de partage des bénéfices monétaires. « Le projet actuel propose un système de paiement par lequel un Etat ou une entreprise verserait un pourcentage des bénéfices d’un produit commercial, qui augmenterait chaque année [pendant une durée définie], rapporte-t-il. Ce n’est pas arrêté, mais les discussions informelles dans les couloirs suggèrent qu’un compromis est possible. »
Voilà pour l’esprit d’un texte qui doit compléter la Convention des Nations unies sur le droit de la mer. Adoptée en 1982, celle-ci ne comporte guère de préoccupations environnementales. Reste à savoir à quel point les compromis de fin de session vont ou non le vider de sa substance. « Notre ligne rouge serait de voir confier l’organisation des AMP aux organisations régionales de gestion des pêches : elles ne couvrent pas la haute mer en totalité et se retranchent généralement derrière l’absence de consensus entre leurs pays membres pour ne pas agir », avance notamment François Chartier, chargé de campagne à Greenpeace France.
Mais l’urgence à agir semble partagée par les Etats. Le commerce mondialisé règne aujourd’hui sur les mers : environ 90 % des marchandises empruntent le transport maritime. La pêche intensive, qui a épuisé les eaux côtières, se pratique au large de façon incontrôlée. Le nombre de stocks de poissons surexploités ne cesse d’augmenter : selon l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture, 35 % d’entre eux sont actuellement trop décimés pour pouvoir se reconstituer, contre 10 % en 1974. Les pollutions multiples, comme les soupes de déchets plastiques flottant à la surface, se sont massivement répandues. Le droit international de la mer n’a pas suivi ces évolutions.
La prochaine Assemblée générale des Nations unies, prévue du 13 au 27 septembre, pourrait entériner les décisions arrêtées sur la haute mer en août. Après cela, la fenêtre politique risque de se refermer. Les tensions internationales et les difficultés économiques liées à la guerre que mène la Russie contre l’Ukraine ne sont pas propices à un accord mondial sur un bien commun pourtant crucial pour l’humanité.