Océans : il est encore temps d’agir

La Décennie des Nations unies pour les sciences océaniques au service du développement durable débute, et déjà, des experts dressent un « bilan de santé » de nos océans. Le diagnostic ? Gravement malades, mais pas encore condamnés.

Vus de la plupart des grandes villes du Québec, les océans semblent loin. Or, nous dépendons d’eux et sommes marqués, directement ou indirectement, par leur influence de bien des façons — dans les domaines du climat, de l’alimentation et de l’eau, de l’énergie, du commerce, des transports, des loisirs et du tourisme, de la santé et du bien-être, de la culture et de l’identité. Des océans en santé garantissent notre propre santé.

Au cours des derniers mois, plusieurs organisations mondiales ont publié des rapports d’experts dressant le bilan de santé des océans. Leurs diagnostics s’accordent sur de nombreux points, que voici.

Dans ce rapport du GIEC, on dépeint l’avenir des océans par rapport à la hausse de la température moyenne sur Terre, à leur acidification, aux pôles qui fondent et au niveau de la mer qui monte. Ce dernier paramètre est particulièrement inquiétant, parce que tous les scénarios prévoient une élévation d’ici 2100, même le plus optimiste, selon lequel les divers facteurs — température, acidité, fonte des glaciers — pourraient se stabiliser. Triste constat, surtout lorsqu’on sait que cet enjeu touche 630 millions de personnes installées près des côtes.

Le niveau de la mer monte en raison de la fonte des glaces au Groenland, en Antarctique et sur terre, et à cause de l’expansion thermique — plus l’eau est chaude, plus elle prend de la place. De plus, l’augmentation des vents, des précipitations et des vagues, combinée à l’élévation relative du niveau de la mer, intensifie les tempêtes et les aléas côtiers. Partout sur la planète, le nombre d’événements météo extrêmes, l’érosion côtière et les inondations ont crû. Le rapport souligne que d’ici 2050, les tempêtes « exceptionnelles » qui n’arrivent qu’une fois par siècle se produiront en moyenne une fois par année.

Lorsqu’on se penche sur les espèces qui peuplent notre planète, on constate que les deux tiers des populations de mammifères, d’oiseaux, d’amphibiens, de reptiles et de poissons sont en déclin depuis les années 1970. Comme la grande majorité du globe est couverte d’océans, les milieux marins sont considérablement altérés par les interventions humaines. Parce qu’ils captent une partie du CO2 atmosphérique, les océans deviennent aussi plus acides. La dégradation des habitats des océans qui en résulte pèse lourd sur les écosystèmes, qui sont des refuges, des lieux d’alimentation ou des pouponnières pour plusieurs espèces. C’est encore plus vrai sur les récifs coralliens, les plus anciens écosystèmes de la planète, qui sont extrêmement sensibles aux changements de température et de pH (si vous connaissez quelqu’un qui maîtrise l’art des aquariums d’eau salée, il pourra en témoigner !), et qui hébergent une biodiversité spectaculaire.

De plus, plusieurs espèces de poissons sont surpêchées : 13 % des grandes pêcheries du monde se sont effondrées, comme la pêche à la morue au Canada. À cela s’ajoutent les zones mortes, ces endroits où il y a trop peu d’oxygène pour assurer la survie des animaux. Alors qu’on en comptait 49 dans les années 1960, c’est maintenant plus de 400 zones mortes qui tapissent nos océans, souvent près des côtes où l’on pratique, sur terre, l’agriculture de manière intensive, poussant ainsi engrais et pesticides jusqu’à la mer, par ruissellement.

Déjà en 2015, dans une première Évaluation mondiale des océans, l’ONU nous avertissait que plusieurs zones océaniques avaient été sérieusement dégradées, le plus grand danger pour les océans étant l’incapacité à faire face aux nombreuses pressions causées par les activités humaines. Cette année, la deuxième Évaluation nous annonce que la situation ne s’est pas améliorée et que les océans sont menacés. En plus de reconfirmer les enjeux concernant l’acidification, la surpêche et l’élévation du niveau de la mer, ce rapport parle de la pollution liée aux eaux usées, à l’agriculture, aux activités pétrolières, aux déchets radioactifs et, bien sûr, au plastique.

Le lien entre la santé des océans et la santé humaine est de plus en plus clair. Parce qu’on s’y baigne, qu’on en mange les produits et qu’on bénéficie de leurs services (comme l’atténuation des changements climatiques), des océans malades peuvent nous rendre malades. L’exposition à des polluants comme les BPC ou le méthylmercure, présents dans la chair des poissons, peut endommager le cerveau en développement des nourrissons ou faire croître le risque de maladies cardiovasculaires chez les adultes, en plus de perturber la signalisation endocrinienne, de réduire la fertilité, de détériorer le système nerveux et d’augmenter le risque de cancer.

À l’inverse, des océans en santé nous sont bénéfiques. Leurs poissons et fruits de mer, riches en acides gras oméga-3, sont la principale source de protéines pour plus de trois milliards de personnes. Les océans fournissent, par ailleurs, des molécules et des remèdes utilisés en biotechnologies et en médecine. C’est le cas, par exemple, de la bryostatine, principalement obtenue à partir de bryozoaires et d’éponges de mer, qui possède des vertus prometteuses dans la lutte contre la leucémie et d’autres types de cancer. De plus, les « espaces bleus », c’est-à-dire les lieux situés à proximité de l’eau, sont bénéfiques pour notre santé mentale et physique.

Il est temps d’agir… ensemble

En raison de tous ces bienfaits, les experts s’entendent maintenant pour dire que le rétablissement de la santé des océans ne devrait pas être la priorité des spécialistes de la mer uniquement, mais aussi de la communauté médicale et du public en général. Soigner les océans, c’est en quelque sorte soigner l’humanité.

Un message assez clair ressort de tous ces rapports : nous sommes les principaux responsables de l’état de santé des océans, donc de sa dégradation. Cela veut également dire que c’est nous qui pouvons changer le cours des choses. Et pour ce faire, le dernier rapport de l’ONU est clair : pour assurer la durabilité des océans, nous devons travailler ensemble. Faire des recherches communes, de la gestion intégrée des océans, partager les données, les informations et les technologies, afin de trouver des solutions efficaces et significatives.

Les océans jouent un rôle crucial dans la réalisation des objectifs de développement durable de l’ONU (qui représentent en quelque sorte la recette pour notre survie planétaire) et sont un moyen de subsistance pour des milliards de personnes. Il est urgent de changer la façon dont nous interagissons avec eux. Souhaitons que la prochaine décennie nous permette de mieux comprendre les océans et de freiner les dommages qu’on leur cause. Heureusement, nous pouvons compter sur des écosystèmes résilients, pour peu qu’on leur donne une chance. Cette lueur d’espoir pourrait se concrétiser par la mise en place de nouvelles aires marines protégées, qui ne couvrent en ce moment qu’environ 7 % de la planète, mais dont on vise à augmenter la superficie à 30 % d’ici 2030. Un pari audacieux, mais auquel on peut se permettre de croire, car il en va de notre propre survie.

L’auteure est titulaire d’un doctorat en zoologie et fonctionnement des écosystèmes marins de l’Université de Colombie-Britannique. Elle est professeure associée à l’Institut des sciences de la mer de Rimouski et présidente-directrice générale du cabinet de consultation M — Expertise marine, spécialisé dans les services environnementaux et océanographiques.

Source : L’actualité