L’idotée, le crustacé qui pollinise les algues comme une abeille des mers

Dans une nouvelle étude, publiée jeudi, des scientifiques dirigés par la chercheuse au CNRS Emma Lavaut ont découvert le rôle crucial de la pollinisation animale sous l’eau. Un crustacé agit sur les algues comme une abeille sur les fleurs.

Elle ne bourdonne pas et elle n’a pas de rayures jaunes sur son petit corps poilu… Mais l’idotée fait tout de même furieusement penser à une abeille, pour le rôle qu’elle joue dans l’écosystème. Une équipe internationale de biologistes montre par une nouvelle étude, qui fait la une de la revue Science ce jeudi, que ce tout petit crustacé déplace sur son corps les cellules reproductrices des algues rouges. Elles voyagent ainsi beaucoup plus facilement entre les algues mâles et les femelles, ce qui leur permet de se reproduire. Exactement comme les fleurs qui poussent sur la terre ferme, on peut donc dire que les algues rouges sont pollinisées par les idotées. Et ça bouleverse pas mal ce qu’on croyait savoir sur le sujet.

«On pense que la pollinisation des plantes par les animaux date de plus de 140 millions d’années», rappellent en introduction les signataires de l’étude, dirigés par la chercheuse du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) Emma Lavaut, de la Station biologique de Roscoff. Et, jusque très récemment, on ne l’étudiait que sur les fleurs terrestres en supposant sans le vérifier que le phénomène était absent des océans. Il a fallu attendre 2012 avant de découvrir que «des invertébrés marins transportaient et transféraient des grains de pollen depuis les fleurs mâles vers les fleurs femelles de Thalassia testudinum» – «l’herbe à tortues» qui pousse sur les fonds marins tropicaux. «Cette découverte a soulevé la question de la pollinisation chez les autres espèces marines, et particulièrement chez les algues.»

 

C’est ainsi qu’Emma Lavaut et son équipe ont décidé d’installer dans des aquariums des algues rouges mâles, des algues rouges femelles et des idotées. Les chercheurs ont choisi des gracilaria, des algues de la classe des floridéophycées car elles ont une particularité : leurs gamètes mâles ne sont pas mobiles. Comme les grains de pollen et à l’inverse des spermatozoïdes humains par exemple, ces cellules reproductrices n’ont pas de flagelle pour nager elles-mêmes. Elles dépendent donc de leur environnement – les courants d’eau ou les animaux – pour être transportées jusqu’au trichogyne, un long filament qui sert d’organe reproducteur aux algues femelles.

Dans un aquarium, les biologistes ont placé des gracilaria mâles à 15 centimètres de leurs homologues femelles, et c’est tout. Dans un autre aquarium, ils ont aussi installé les algues à 15 centimètres d’écart, mais avec une petite colonie d’idotées dans l’eau. Le résultat est clair et net : «Il y avait vingt fois plus de fertilisations réussies en présence des idotées qu’en leur absence.» Et, pour vérifier que ce n’est pas simplement en brassant l’eau que les idotées font voyager les gamètes, on les a aussi photographiées au microscope avec une coloration pour mettre en évidence les cellules d’algues. Bingo : les crustacés avaient un sacré paquet de spermaties collées sur le corps, et particulièrement sur leurs péréiopodes (leurs «pattes avant»).

L’étude confirme donc le rôle des idotées dans la pollinisation de ces algues, mais ouvre aussi un débat historique : les floridéophycées sont sur Terre depuis 817 à 1 049 millions d’années, rappellent les biologistes. Si la reproduction de ces algues est aidée par les crustacés depuis toujours, cela place l’origine de la pollinisation animale bien avant la date estimée jusqu’ici, et peut-être même avant le moment où les plantes marines ont commencé à coloniser la terre ferme. Les découvertes dans ce domaine ne font que commencer…

Source: Libération