L’éléphant de mer, intermittent du sommeil

 

Des chercheurs américains ont constaté que, pendant les sept mois que le pinnipède passe en mer, il ne dort au total que deux heures par nuit. Il rejoint ainsi l’éléphant d’Afrique à la première place du palmarès des plus petits dormeurs.

Mais pourquoi donc les a-t-on nommés éléphants de mer ? Parce que le nom scientifique de Mirounga ne plaisait pas à Darwin ? Parce que, avec un poids de quelque 2 tonnes, le mâle écrase, et de loin, tous les autres pinnipèdes ? Parce que les « dominants » développent un nez en forme de trompe ? Depuis vendredi 21 avril et un article publié dans la revue Science, une nouvelle réponse vient enrichir le catalogue : parce que, avec deux heures de sommeil par nuit, pendant les sept mois qu’il passe en mer, l’éléphant de mer du Nord (Mirounga angustirostris) rejoint l’éléphant d’Afrique à la première place du palmarès des plus petits dormeurs à vos sélections.

 

Ce résultat, l’équipe de l’université de Californie à Santa Cruz (UCSC) le doit au développement d’un capteur révolutionnaire. Inventé par Alexei Vyssotski, de l’université de Zurich (Suisse), pour enregistrer les ondes cérébrales des oiseaux, il a été adapté à l’univers marin par Jessica Kendall-Bar. Grâce à un bonnet en Néoprène et des détecteurs en or, la chercheuse de l’UCSC est parvenue à suivre le sommeil de treize individus, cinq au laboratoire et huit en milieu naturel, dans la réserve d’Año Nuevo, en Californie.

Les résultats l’ont stupéfiée : alors que, pendant les cinq mois de la période de reproduction qu’il passe à terre, l’animal dort dix heures par jour, sa durée de sommeil quotidien plonge à deux heures le reste de l’année, dans l’eau. Et encore : « Il les atteint à coups de petites siestes d’environ dix minutes, lors de ses plongées d’une demi-heure au fond de l’océan », précise Jessica Kendall-Bar. Car c’est dans les grands fonds, jusqu’à 2 000 mètres de profondeur, que l’animal trouve nourriture et sécurité. A l’inverse, les quelque deux minutes qu’il passe en surface entre deux plongées le placent à la merci des orques et des requins blancs.

 

Siestes napoléoniennes

 

En analysant les enregistrements, les chercheurs ont observé tout à la fois les ondes lentes du sommeil profond et celles plus rapides du sommeil paradoxal. Comme nous, en somme. Mais ils ont noté chez l’animal une durée particulièrement longue du second (jusqu’à 25 % du total, contre moins de 10 % chez la plupart des espèces). Surtout, grâce à la mesure concomitante des mouvements de l’animal, également réalisée par les capteurs, ils ont pu suivre le comportement physique des animaux dans ces deux états. En sommeil profond, le pinnipède cesse de nager et évolue en position normale, le ventre vers le bas, selon une trajectoire oblique descendante peu ou prou rectiligne. Mais lorsqu’il bascule en sommeil paradoxal, il perd le contrôle de son corps, se retourne, ventre en l’air, et plonge en spirale vers le fond. 

L’équipe a alors repris les données de profil de nage collectées depuis vingt-cinq ans par le laboratoire de biologie marine de Daniel Costa, à l’UCSC. Ils ont vérifié, cette fois sur 334 spécimens et plus de trois millions de plongées, le caractère « extraordinaire » du sommeil de l’éléphant de mer. Ainsi, le plus gros des pinnipèdes, celui qui plonge au plus profond des mers et pendant les durées les plus longues, est également celui qui dort le moins. En tout cas sur ses deux oreilles, si l’on peut dire. Car les otaries à fourrure, elles, se passent purement et simplement de sommeil paradoxal et ne laissent sommeiller qu’un de leurs deux hémisphères cérébraux, l’autre restant en veille. Chaque jour de nouvelles grilles de mots croisés, Sudoku et mots trouvés. Jouer Face à la nécessité de dormir mais aussi de surveiller ses arrières, de respirer et de manger, l’évolution a opté pour des stratégies variables chez les pinnipèdes. Au-delà de la découverte des siestes napoléoniennes du géant des mers, là réside aussi le grand enseignement de cette étude. L’équipe de l’UCSC entend l’étendre à d’autres espèces, comme les phoques moines d’Hawaï actuellement menacés ou les phoques des régions polaires, soumis à un bouleversement de leur habitat.

Comprendre pour mieux protéger : une des missions essentielles d’une science éveillée. Les dernières chroniques Zoologie Chaque semaine, Nathaniel Herzberg, journaliste au « Monde », nous livre sa chronique sur les récentes recherches qui éclairent les étonnantes capacités des bestioles qui peuplent notre planète. L’oiseau éponge pourrait inspirer les matériaux absorbants de demain Attention, toxique ! Comment l’aposématisme du batracien est apparu Guerre des veuves chez les araignées Comment les abeilles apprennent à danser Piéger la mouche tsé-tsé grâce à ses phéromones sexuelles Le labre nettoyeur, ce poisson qui se reconnaît dans la glace.

Source: Le Monde