Histoire : pourquoi la mer est un élément décisif de la construction impériale
12 octobre 2022
12 octobre 2022
Guillaume Calafat est historien de la mer et singulièrement de la Méditerranée. Il explique dans cet entretien comment le contrôle des mers joua un rôle important dans la construction politique des Etats modernes. La variété des rapports entre terre et mer permet, plus largement, d’interroger les limites de l’occidentalisation du monde.
Les thalassocraties antiques – c’est ainsi que l’on désigne les Etats dont la puissance est fondée en partie sur la domination des mers – construisent leur pouvoir autour d’un chapelet de ports qui leur permettent surtout de contrôler les routes maritimes. Les spécialistes de l’Antiquité ou du Moyen Age sont cependant revenus sur l’idée que les navigateurs antiques longeaient uniquement les côtes. On sait aujourd’hui qu’ils naviguaient « en droiture », qu’ils partaient en haute mer et que les connexions des mondes antiques étaient tout à fait importantes. Il y a un lien étroit, pensé dès les débuts de la théorie politique, entre la puissance sur les mers et la puissance d’un Etat. Cela ne veut évidemment pas dire que tous les Etats puissants sont maritimes. Néanmoins, la mer est un élément décisif de la construction impériale. Elle est, pour un Etat, symbole et preuve de puissance.
Les Romains, que l’on associe moins intuitivement à la mer que les Grecs, désignaient la Méditerranée comme une mare nostrum, ce qui est tout à fait significatif de cette revendication d’appropriation de l’élément liquide. On utilise encore, aux époques moderne et contemporaine, des catégories du droit romain pour penser le statut juridique des mers. Ce que les Romains appellent imperium, c’est le pouvoir, l’empire, l’emprise. Aux époques médiévales et modernes, cela est peu à peu traduit par le terme de souveraineté. La notion de dominium, par exemple, qui veut dire le domaine de la mer, renvoie à la façon de spatialiser le pouvoir, de tracer un espace qui est appropriable par le souverain ou par la puissance publique.