En Polynésie, comment le « rahui », sanctuaire ancestral des écosystèmes, sert la biodiversité

Face à l’épuisement des ressources marines et à la pollution croissante des océans, le « rahui » connaît un regain d’intérêt dans la société polynésienne contemporaine. Porté par les communautés locales, ce système de jachère permet à la biodiversité de se régénérer en l’absence d’activités humaines.

Peva Levy habite Teahupo’o, un petit village situé sur la presqu’île de Tahiti, en Polynésie, et connu pour sa mythique vague sur laquelle glisseront bientôt les athlètes des Jeux olympiques de Paris 2024. Cet ancien biologiste marin à l’Institut français de la recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), désormais retraité, a observé bien des changements dans les eaux turquoise qui effleurent ses terres. « Avant, ici, c’était couvert de bénitiers, raconte-t-il, les yeux rivés sur le lagon. Maintenant, il n’y a plus rien. »
 
 

« On vide nos lagons, on congèle, on importe »

 

Véritables garde-manger pour les insulaires, les eaux de Polynésie française subissent les effets délétères de la surpêche, de la pollution et de la dégradation des littoraux par les installations humaines. « En quelques années, l’évolution du mode de consommation a vu disparaître la pratique de la pêche en tant que moyen de subsistance au quotidien au profit d’une occidentalisation de plus en plus pesante, explique Moea Peyrere, vice-présidente de la Fédération des Associations de Polynésie française Te Ora Naho. On pêche beaucoup, de plus en plus, trop. On vide nos lagons, on congèle, on importe. »

Face à ces constats, plusieurs communes et associations, dont celle de Peva Levy, ont décidé d’agir. À une dizaine de kilomètres de sa maison, la présence humaine est interdite dans une partie du lagon depuis 2013. On ne peut ni pêcher, ni circuler en bateau, ni se baigner, au sein du sanctuaire de plus de 700 hectares. Ce « rahui », terme polynésien exprimant l’interdit, consiste à proscrire la pêche, la chasse ou toute autre activité sur un territoire délimité et géré durablement par une communauté locale.

Le rahui est reconnu comme une interdiction temporaire de prélèvement d’une ressource sur un territoire insulaire. | OUEST-FRANCE, PASCALINE DAVID

Des bénéfices écologiques clairs

 

D’une durée variable selon les besoins de chaque commune, ce système de jachère permet aux ressources marines et aux coraux de se régénérer en l’absence de pression humaine. Il peut également s’appliquer à une seule espèce animale ou à une ressource agricole bien précise. À Teahupo’o, les locaux ont choisi d’appliquer un « tapu » permanent, c’est-à-dire un rahui strict où il est interdit de pénétrer. « Ça marche très bien, beaucoup de poissons sont revenus, s’enthousiasme Peva Levy. Il y a aussi plus de coraux, de toutes les couleurs, c’est magnifique. »

Une étude menée par le Centre de recherches insulaires et observatoire de l’environnement (CRIOBE) confirme l’augmentation significative de la biomasse, du nombre de coraux et de la diversité des espèces de poissons, notamment les individus herbivores, essentiels au maintien de l’équilibre écologique des récifs coralliens. Lorsque la zone est saturée, les poissons « débordent » dans le reste du lagon, pour le plus grand bonheur des pêcheurs.

Cela n’empêche pas certains de venir se servir la nuit à l’abri des regards, selon Peva Levy, qui fait partie du comité de surveillance du rahui. Il aimerait obtenir plus de moyens pour baliser la zone et interpeller les contrevenants. Les rahui peuvent bénéficier d’une protection juridique selon le code de l’environnement comme à Teahupo’o ou d’une protection officielle par une zone de pêche réglementée (ZPR), qui permet un contrôle par les forces de l’ordre. Toutefois, leur respect tient véritablement à l’implication des populations, des pêcheurs et des chercheurs qui opèrent un suivi écologique.

Source: ouest france