En Norvège, une mortalité record dans les fermes à saumons

En 2023, 62,8 millions de poissons sont morts dans les élevages le long des côtes norvégiennes, à la suite d’infections bactériennes et de blessures souvent causées par les traitements contre les poux.

L’année 2023 a été exceptionnelle pour l’aquaculture norvégienne. Jamais les exportations de produits de la mer n’avaient rapporté autant d’argent au royaume scandinave : 172 milliards de couronnes au total (15 milliards d’euros), soit une augmentation de 13 % par rapport à 2022, quand un record avait déjà été atteint. Le saumon d’élevage, dont la Norvège est le premier producteur au monde, a généré à lui tout seul 122,5 milliards de couronnes. Le pays nordique en a exporté 1,2 million de tonnes, ce qui représente seize millions de repas chaque jour dans le monde.

Mais derrière ces chiffres se cache une réalité bien peu reluisante : selon l’Institut vétérinaire norvégien, 62,8 millions de saumons sont morts dans les fermes piscicoles au cours de l’année, soit un taux de mortalité de 16,7 % (contre 16,1 % en 2022), le plus élevé jamais enregistré. Dans certaines zones, il a atteint 25 %. Les écloseries à terre n’ont pas été épargnées : 37,7 millions d’alevins y sont morts – là encore, un record.

« C’est une tendance que nous observons depuis cinq ou six ans, explique Edgar Brun, directeur du département sur la santé des poissons, à l’Institut vétérinaire. L’augmentation d’une année sur l’autre n’est pas énorme, mais l’évolution est suffisamment claire pour montrer que, même si des mesures ont pu être prises, elles ne sont pas suffisantes. »

 

Traitement mécanique contre les poux

 

Dans son rapport annuel sur la santé des poissons, publié le 12 mars, l’Institut vétérinaire examine les causes de la mortalité des saumons. Si dans 20 % des cas, elles sont inconnues, deux facteurs principaux se distinguent : en 2023, 38 % des morts ont été causés par des maladies infectieuses, tandis que 33 % étaient la conséquence de blessures ou traumatismes, occasionnés le plus souvent lors des traitements contre les poux, subis régulièrement par les poissons pour détruire ce parasite qui pullule dans les élevages intensifs.

Le saumon, industrie à grande échelle et filon pour la Norvège La régulation du pays impose aux éleveurs de ne pas dépasser 0,5 pou par poisson. Plusieurs formes de traitement existent. A l’origine, les exploitants utilisaient des médicaments. Mais, ces dernières années, les poux y sont devenus résistants. Seule solution : un traitement mécanique. Le poisson est sorti de la ferme, pour être rincé – et parfois brossé – dans une eau à environ 28 °C, avant d’être relâché. Et ce, plusieurs fois au cours de sa vie. 

Les conséquences peuvent être dramatiques, selon Edgar Brun : « Les traitements stressent le poisson. Ils peuvent aussi causer des blessures physiques, lors du transport, ainsi que pendant le rinçage, qui abîme le mucus recouvrant leur peau. C’est un cercle vicieux : quand les poissons sont stressés, ils ont aussi plus de risques de développer des infections. » Changer la législation L’élevage intensif ne facilite pas les choses : autour de 450 millions de saumons attendent d’arriver à maturité dans des cages éparpillées le long des côtes norvégiennes. Or plus les poissons sont nombreux, plus le parasite y prospère. Ce phénomène ne semble pourtant pas être une fatalité : « Selon nos calculs, il devrait être possible de descendre en dessous de 10 %, affirme M. Brun. Certains éleveurs y parviennent déjà, parce que leurs fermes sont situées dans des zones favorables, avec une densité moins élevée, mais aussi parce qu’ils sont meilleurs que d’autres. »

Depuis quelques mois, l’industrie fait face à une pression inédite en Norvège, à la suite de plusieurs scandales. Ainsi en juin, le groupe SalMar, numéro deux mondial dans l’élevage de saumon, a été condamné à une amende record de 1,7 million de couronnes, après une visite inopinée d’inspecteurs de l’Agence de sécurité alimentaire norvégienne, dans une de ses fermes, à Hjortoya, près de Rorvik, où ceux-ci ont découvert des poissons blessés et mourants. L’opinion publique est en train de basculer : selon un sondage, publié le 21 mars par la chaîne publique NRK, 37 % des personnes interrogées disent avoir aujourd’hui une opinion négative à l’égard du saumon d’élevage. Lire aussi : La Norvège veut taxer les producteurs de saumon Cette évolution n’est pas une bonne nouvelle pour l’industrie, dont les profits sont également en jeu, car « les coûts liés à la santé et au bien-être des poissons sont en train de devenir très élevés », remarque Edgar Brun. La mortalité n’est pas le seul problème.

La proportion des saumons de qualité supérieure livrée aux abattoirs ne cesse de diminuer. Le 6 mars, SalMar a annoncé la création d’un laboratoire de recherche sur le bien-être des saumons, le « Salmon Living Lab », financé à hauteur de 500 millions de couronnes, en partenariat avec le groupe américain Cargill, producteur de nourriture pour poisson. De son côté, le gouvernement, dirigé par les travaillistes, prépare un livre blanc sur le bien-être animal, qui devrait donner lieu à un changement de la législation. Pour les Verts, il faut aller plus vite : la formation écologiste, qui compte trois députés, a déposé une proposition de loi visant notamment à limiter les permis de production des éleveurs dont les fermes affichent des taux de mortalité supérieurs à 5 %. Anne-Françoise Hivert (Malmö (Suède), correspondante régionale).

Source: Le Monde