En Méditerranée, les aires marines protégées servent l’intérêt général

Un impact positif pour la biodiversité et les écosystèmes, mais aussi pour les sociétés et communautés locales. C’est ce qui ressort d’un rapport du Plan Bleu sur les coûts et bénéfices induits par les mesures de protection appliquées dans les aires marines protégées (AMP) de Cerbère-Banyuls et Port-Cros.

Depuis une quarantaine d’années, le Plan Bleu, structure de droit français dont les axes de travail sont définis tous les deux ans avec le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), produit rapports et scénarios pour sensibiliser les décideurs méditerranéens aux questions d’environnement et de développement durable, avec une importante composante économique.

L’un de ses derniers rapports s’est tout particulièrement intéressé aux impacts socio-économiques générés par la réserve naturelle de Cerbère Banyuls, dans les Pyrénées – Orientales, et par le parc national de Port-Cros, dans le Var. Point commun : ce sont deux aires marines protégées. Mais à des degrés différents : « parmi les 650 hectares qui forment la Réserve de Cerbère-Banyuls, 585 hectares sont en zone de protection partielle (ZPP) où les activités sont règlementées, et 65 hectares font l’objet d’une protection renforcée (ZPR) où toutes les activités sont interdites », détaille le rapport. Pour sa part, le parc national de Port-Cros est constitué d’une zone cœur (avec une protection forte, autour des îles d’Hyères) et d’une aire maritime adjacente.

 

Des bénéfices difficiles à évaluer

 

Pourquoi avoir évalué ces impacts ? « Parce qu’il faut mesurer les bénéfices, sinon on ne regarde que les coûts », répond Guillaume Sainteny à Mer et Marine. Le président du Plan Bleu le sait, l’acceptabilité des aires marines protégées est un enjeu constant, même lorsqu’elles ont été créées il y a des décennies. C’est le cas du parc national de Port-Cros, plus ancien parc marin d’Europe qui a fêté ses 60 ans l’an dernier, et de la réserve naturelle de Cerbère-Banyuls, première réserve exclusivement marine française, créée il y a tout juste 50 ans.

Les coûts, justement. Selon le rapport, 420.000 euros par an sont consacrés aux mesures de protection dans la réserve naturelle de Cerbère-Banyuls, et entre 600.000 et 660.000 euros par an au parc national de Port Cros. Mais s’« il est simple de chiffrer ce que coûte une AMP, il est un peu plus complexe d’évaluer les bénéfices collectifs », poursuit Guillaume Sainteny, par ailleurs spécialiste des politiques de l’environnement, de l’écofiscalité, de la biodiversité et du changement climatique.

 

Intérêt général

 

Plusieurs méthodes ont donc été appliquées : les prix de marché lorsqu’ils existent, par exemple pour évaluer l’impact des mesures de protection (quotas, interdictions, etc.) sur les revenus des pêcheurs professionnels, le transfert de valeurs (qui utilise les valeurs des coûts et bénéfices évalués dans d’autres études et adapte ces valeurs au cas spécifique de l’évaluation), et des méthodes qualitatives, avec notamment des « focus groups » avec les gestionnaires des aires protégées et des entretiens avec les représentants des secteurs économiques.

 

© Didier Fioramonti – Département des Pyrénées-Orientales – Réserve Naturelle Marine de Cerbère-Banyuls

 

Pour ce qui concerne les bénéfices d’intérêt collectif, les aires marines protégées ont des impacts positifs, conclue le rapport. « A la suite de la mise en œuvre des mesures de protection, on observe une amélioration significative de la biodiversité et des écosystèmes (comme les herbiers de posidonie et les populations de poissons) ainsi qu’une augmentation de la séquestration de carbone suite à l’augmentation de la surface et de l’état de santé des herbiers de posidonie », scientifiquement évalués comme véritables puits à carbone et nurseries à poissons, au même titre que les mangroves ou les pré-salés. A Cerbère-Banyuls par exemple, 700 mérous ont été comptabilisés dans la réserve naturelle en 2023, contre 10 à sa création en 1974. « Cette augmentation est attribuée aux efforts de gestion, à la collaboration avec les pêcheurs et aux règles strictes appliquées dans la Réserve ».

Traduits en euros, les bénéfices non-marchands associés à la protection et à l’amélioration de la biodiversité atteignent 21.6 millions d’euros par an dans la Réserve naturelle de Cerbère-Banyuls, et 48.7 millions d’euros par an dans le Parc national de Port-Cros. Les bénéfices non-marchands pour la société et les communautés, directement liés à l’augmentation de la séquestration de carbone, sont eux compris entre 1.3 et 1.4 millions d’euros par an à Cerbère-Banyuls, et à 22.5 millions d’euros par an à Port-Cros. De ce point de vue, les aires marines protégées, dont l’objectif principal est d’améliorer la biodiversité et l’état des écosystèmes en contribuant au bien-être collectif, semblent remplir leur mission.

 

© Didier Fioramonti – Département des Pyrénées-Orientales – Réserve Naturelle Marine de Cerbère-Banyuls

 

Des millions d’euros marchands et non-marchands

 

Les résultats sont plus nuancés pour ce qui concerne les secteurs d’ « intérêts particuliers », comme la pêche professionnelle, la pêche récréative ou le tourisme. D’abord, parce que beaucoup de données ne sont pas disponibles, donc non prises en compte. Pour la pêche professionnelle, il en ressort néanmoins que dans les deux cas d’étude, « on observe une nette amélioration des captures (en termes de kilos par unité d’effort) ».

A Cerbère-Banyuls, ces captures génèrent 35.000 euros par an de revenus attribuables à l’aire marine protégée, tandis qu’à Port-Cros, la valeur pêchée directement liée à l’effet réserve est comprise dans une fourchette allant de 21.000 à 76.000 euros. Dans les Pyrénées-Orientales, « les pêcheurs professionnels en quête des meilleures captures se tournent vers les environs de la réserve », parce que ces zones offrent de meilleures prises et des revenus plus élevés. Quant au nombre de pêcheurs professionnels, il a diminué aussi bien à Port-Cros qu’à Cerbère-Banyuls. « Toutefois, cette variation ne peut pas être entièrement attribuée aux mesures de protection, car elle est aussi influencée par la conjoncture et notamment la fermeture progressive de grosses unités de pêche », précise le rapport.

 

© Didier Fioramonti – Département des Pyrénées-Orientales – Réserve Naturelle Marine de Cerbère-Banyuls

Côté tourisme, l’« augmentation du plaisir de la plongée » s’est traduite par 6.2 millions d’euros de retombées économiques supplémentaires à Cerbère-Banyuls, dues uniquement aux améliorations environnementales engendrées par les mesures de protection (pas de données disponibles en revanche à Port-Cros, où le nombre de plongeurs a diminué au fil des ans). Enfin, dans le Var, les auteurs estiment que les visiteurs dépensent chaque année 154 millions d’euros, en lien direct avec la présence de l’aire marine. Et que les bénéfices non-marchands liés au « bien-être issu de l’interaction avec la nature » peuvent être estimés à 513 millions d’euros par an.

 

Davantage d’études

 

Guillaume Sainteny le concède volontiers, parce que certaines données sont manquantes ou insuffisamment harmonisées, ce rapport est perfectible. « Mais il faut garder en tête que l’on part de beaucoup plus loin concernant les mesures d’impact de la protection du milieu marin, par rapport au milieu terrestre. Le droit est plus récent et la surveillance est plus compliquée. En tout cas, l’étude montre que la création de ces deux espaces protégés a globalement été créatrice de valeur économique ».

Cette étude en appelle cependant d’autres, afin d’approfondir la compréhension de l’impact des différentes AMP. « Il est recommandé d’explorer des mécanismes pour mieux quantifier les avantages économiques globaux des AMP, en évaluant les retombées directes et indirectes, telles que les emplois induits et l’amélioration à long terme de la productivité économique », conclue le rapport, qui recommande également une approche comparative entre différentes AMP pour évaluer et identifier les pratiques de gestion les plus efficaces pour la préservation, tout en soutenant des activités économiques durables.

 

© Didier Fioramonti – Département des Pyrénées-Orientales – Réserve Naturelle Marine de Cerbère-Banyuls

 

Rappelons que la stratégie nationale 2020-2030 pour les aires protégées prévoit la protection, d’ici 2030, d’au moins 30% des espaces terrestres et marins, dont 10% sous protection forte. En mer, ces zones représentent actuellement 4% du domaine maritime français.

Source: Mer&Marine