Dans le fond des mers, Arnaud Prost se prépare à tutoyer les étoiles
23 décembre 2022
23 décembre 2022
Arnaud Prost, ingénieur d’essais à DGA Essais en vol et membre de la réserve des astronautes de l’Agence spatiale européenne (ESA), a effectué le 17 décembre 2022 une plongée à plus de 2 400 mètres de profondeur en Méditerranée. Il était à bord du Nautile, un sous-marin de poche conçu par la DGA et désormais propriété de la Flotte océanographique française, opérée par l’Ifremer*. Il s’agissait pour Arnaud Prost d’une belle opportunité pour enrichir son expérience des missions en milieu confiné.
Aller visiter les grands fonds avant un éventuel voyage dans les étoiles. Ça peut paraitre antinomique. Et pourtant non. Ça se tient même très bien tant les deux mondes présentent des similarités. C’est en tout cas ce que se sont dit Arnaud Prost et l’Ifremer.
Récemment sélectionné dans la promotion 2022 des astronautes de l’agence spatiale européenne (ESA) comme membre de la réserve, l’ingénieur d’essais de la Direction générale de l’armement (DGA) s’est effectivement vu proposer par l’institut dédié à la connaissance de l’océan, une plongée profonde dans la mer Méditerranée, au large de Toulon sur le site Meust (Mediterranean eurocentre for underwater Sciences and Technologies). Une opportunité qui tombe à pic. Elle est une expérience de plus pour Arnaud Prost de compléter sa maitrise à évoluer dans des conditions extrêmes, avec des systèmes complexes et en milieu confiné.
Le 17 décembre à 9h00 pétantes, Arnaud Prost a donc pris place dans le minuscule cockpit du Nautile. Un sous-marin de poche que la DGA connait très très bien… puisque ce sont ses ingénieurs, techniciens et ouvriers qui l’ont étudié, mis au point et fabriqué dans les ateliers de feue la Direction des Constructions Navales (DCN). C’était en 1984 lorsque les ateliers de constructions navales faisaient encore partie de son périmètre. Le Nautile c’est un moyen unique, tout petit mais ultra costaud, qui peut plonger jusqu’à 6 000 mètres de profondeur. C’est notamment lui qui a servi à explorer l’épave du Titanic posée à plus de 3 800 mètres sur le fond de l’Atlantique. À l’intérieur de la mini sphère habitée de 2,10 mètres de diamètre il n’y a que trois places. Un siège pour le co-pilote et, à ses pieds, deux couchettes. Une pour le pilote et une pour un observateur. C’est sur cette dernière qu’Arnaud Prost s’est installé, sur le ventre et tête vers l’avant, pour un vol en profondeur. Vers l’insondable mais pas au-delà.
La préparation de la plongée présente une foultitude de similarités avec ce que connait le pilote d’avion de chasse. « J’y retrouve beaucoup de marqueurs de la préparation d’un vol d’essai : analyse des risques, briefing des « What if ? » et des solutions de réchappe, briefing des opérations à maîtriser en cas de perte de connaissance du pilote et du copilote, en cas d’atmosphère viciée, en cas de perte de contrôle ou de feu à bord, détaille Arnaud Prost. Cela me rappelle mon premier vol sur Alphajet à Tours pendant la formation de pilote de chasse, en place arrière d’abord, pour nous familiariser avec l’atmosphère très particulière des cabines étroites. »
Les systèmes de sécurité sont également assimilables. Notamment en ce qui concerne la redondance des commandes essentielles. Chaque participant déroule également une partition bien éprouvée. Une chorégraphie rythmée par des vérifications techniques, des points de décision fermes et des traditions se met en marche. Le « Go » est donné. Fermeture de la trappe d’accès après avoir minutieusement nettoyé le joint qui devra supporter 240 bars d’écart de pression au bout du voyage à 2 400 mètres de profondeur.
La plongée par grand fond, Arnaud Prost connait bien. Il a été plongeur professionnel et possède les qualifications pour descendre très bas, là où on ne va pas avec de simples bouteilles d’oxygène. Là où il faut s’équiper de Nitrox ou de Trimix, des mélanges d’oxygène et d’azote auquel on rajoute de l’hélium pour le deuxième. « Avec le Nautile je suis descendu largement au-delà de ce que j’ai pu faire en plongée technique, même avec de l’hélium et un recycleur, explique Arnaud Prost. À 300 mètres, le grand bleu s’est transformé en grand noir. Nous traversons la « colonne d’eau », expérience saisissante de la troisième dimension qui se rapproche d’un vol inversé. Arrivés au fond, j’ai vraiment la sensation d’être sur une autre planète. En regardant par le petit hublot, je me dis que cette expérience est la plus proche que j’ai connu d’une mission spatiale. »
La mission est réelle. Il s’agit d’inspecter l’état d’un robot sous-marin. Un Crawler, c’est-à-dire un robot chargé de fureter pour récupérer des données. Celui-ci a été déployé il y a quelques mois pour l’observation de la bioluminescence au profit du laboratoire MIO du CNRS. « Serviteur conjoint des océanographes et des physiciens, ce robot ressemble à s’y méprendre à un rover martien comme le Persévérance, remarque Arnaud Prost. Un robot sur lequel j’avais travaillé lors de mon stage de fin d’étude au Jet Propulsion Laboratory de la NASA.» Le pilote d’avions n’est pas là en observateur. Il prend les commandes pour les manœuvres en rotation autour de l’engin à inspecter. Et s’il a une petite idée du matériel à vérifier, on ne peut pas en dire autant des commandes du Nautile. Le pilotage est exigeant. « Il se fait avec 4 axes de poussée et deux bras robotiques, explique l’ingénieur d’essais. Avec une inertie importante, et donc un fort impératif d’anticipation, les gains des commandes sont très différents de ceux d’un avion. Une autre approche des interfaces homme-machine qui sont au cœur de mon expérience aéronautique à DGA Essais en vol.» Des spécificités, dont des commandes inversées par rapport à un avion, qui vont amener le pilote chevronné à provoquer malgré tout une levée de sédiments qui va rendre l’équipage aveugle quelques instants. Juste le temps de reprendre de la hauteur pour se dégager du nuage de particules. Leçon retenue. Le reste de l’équipage lui laisse le manche pour la suite de la mission jusqu’au moment de regagner la surface.
Le Nautile largue la totalité de son lest. Cela provoque immédiatement une flottabilité positive, et le sous-marin fait route vers la surface à 1 mètre par seconde. « J’en profite pour me remplir encore les yeux de la beauté de ce noir profond, s’émerveille Arnaud Prost. Puis je guette, à partir de 300 mètres, l’apparition de la lumière. Les premières nuances de bleu s’intensifient progressivement jusqu’au moment où j’aperçois les remous de la surface, vers 30 mètres d’immersion. Enfin, nous perçons la surface, et nous sommes rapidement repérés par le zodiac de support.» Fin de la mission.
Le portique puis le chariot ramènent Le Nautile et son équipage à l’intérieur du bâtiment le Pourquoi Pas. A la sortie nous sommes applaudis par l’ensemble de l’équipage, raconte Arnaud Prost. « C’est alors que j’ai la chance de faire l’expérience d’une dernière tradition. Je commence à me méfier quand on me demande si je n’ai pas « d’appareil électronique sensible » dans les poches. Mais c’est trop tard : on me verse sur la tête un souvenir de la plongée : l’eau des ballasts que nous avons ramenée du fond des mers. » Que ce soit en l’air ou sous la mer, les traditions sont également similaires et poursuivent le même but : souder la communauté. «Dans les environnements extrêmes plus qu’ailleurs, le succès réside dans la dimension humaine. La capacité à créer du lien avec les autres au profit d’un objectif, d’une mission qui nous dépasse est essentielle lorsque la sécurité est en jeu. C’est aussi ce qui est passionnant dans l’exploration, qu’elle soit sous l’eau, dans l’air ou dans l’espace : au-delà des objectifs opérationnels et scientifiques, il y a un impératif de travailler en équipe qui sublime la mise en œuvre technique », conclut Arnaud Prost. Que serait le voyage sans l’aventure humaine ?
Source: Ministère des Armées