« C’est un peu comme si dans une forêt, on perdait les arbres » : l’inquiétante disparition d’organismes marins en Méditerranée

 

Au début du mois d’avril, il souffle comme un air d’été dans la rade de Villefranche-sur-Mer. Sur la plage, il fait plus de 20 degrés et certains bronzent déjà, tandis que quelque courageux trempent les pieds dans une eau à 12 degrés. Si pour l’être humain, la température de l’eau peut paraître basse, elle est au-dessus de la moyenne pour la saison« Nos dernières analyses montrent que la température augment de 0,3 degré par décennie, ce qui est vraiment rapide et brutal, s’inquiète Steeve Comeau, biologiste marin à l’Institut de la Mer de Villefranche-sur-Mer. Pendant l’été 2022, ici dans la rade, on a atteint 29,2 degrés, soit presque, un degré de plus que les précédents records. Donc, là, on a vraiment eu un stress important pour les organismes marins. »

Les organismes concernés sont principalement les algues calcaires, les vastes prairies de posidonies, des herbes marines, et surtout les gorgones, de grands coraux colorés, indispensables au monde marin. « Ce sont vraiment tous les organismes qui vont structurer l’écosystème, qu’on a tendance à perdre, raconte Steeve Comeau. Ceux qui ont des cycles de vie longs, qui forment des grosses structures en trois dimensions et qui abritent des poissons et des mollusques. On a des régions entières où on les perd et on a des mortalités qui s’approchent de 100%. C’est un peu comme si dans une forêt, on perdait les arbres. »

Ces observations sont d’autant plus inquiétantes, que le bassin Méditerranéen se réchauffe 20% plus vite que la moyenne mondiale. La mer étant presque fermée, le mercure grimpe plus rapidement et l’étendue d’eau met plus de temps à se refroidir.

 

Un ver résistant au réchauffement

 

Au contraire des gorgones, certaines espèces résistent à ce réchauffement brutal, comme le ver marin, platynereis dumerilii, qui se cache dans les algues et qui intéressent de près les scientifiques. Le petit animal, de moins d’un centimètre, est prélevé à travers toute l’Europe, dans le cadre de l’expédition TREC.

Le ver platynereis dumerilii, pêché en mer Méditerranée. (GUILLAUME FARRIOL / RADIOFRANCE)

Il est considéré comme un « organisme modèle » et, malgré sa petite taille, il a beaucoup à nous apprendre. « C’est censé être une très bonne approximation de l’ancêtre de tous les êtres humains, détaille, Cyril Cros, chercheur au Laboratoire européen de biologie moléculaire. Il est présent à travers toute l’Europe et en faisant des prélèvements sur toutes les côtes européennes, on peut essayer de voir comment il s’adapte à des eaux plus froides ou plus chaudes. Une de nos idées, c’est de voir les différences génétiques entre ses différentes populations de ver et de voir comment elles s’adaptent à l’activité humaine et au réchauffement. »

Le chercheur Cyril Cros, étudiant le ver platynereis dumerilii. (GUILLAUME FARRIOL / RADIOFRANCE)

Les recherches de Cyril Cros n’en sont qu’à leur début, mais à terme, elles pourraient éclairer les mécanismes d’adaptation de ce ver, et même d’autres espèces. « En général, toutes ses approches scientifiques s’adaptent à de multiples espèces, dit le chercheur. Il y a une espèce cible, mais notre idée est de toujours essayer de dégager des grands principes, pour essayer de comprendre, comment d’autres espèces peuvent s’adapter à ces changements. »

 

Comprendre les effets du réchauffement sur la biodiversité

 

Ces bouleversements sous la surface affectent directement nos sociétés. « On parle beaucoup de l’impact des activités humaines sur la mer, mais la mer Méditerranée impacte également beaucoup nos activités humaines, » explique Nathalie Himi, économiste environnemental au centre scientifique de Monaco.

La pêche est en première ligne face au réchauffement, car les poissons fuient le sud de la Méditerrannée, à la recherche d’un peu de fraîcheur. « Ça perturbe toute une filière, parce que les pêcheurs d’Afrique du Nord, vont perdre des espèces, étant que les poissons remontent vers le nord et se retrouvent dans les filets des pêcheurs français, italiens et espagnols, dit Nathalie Himi. C’est pareil pour les sardines puisqu’elles se déplacent pour chercher des températures meilleures et elles se retrouvent coincées sur les côtes du Nord et au bout d’un moment, elles se reproduisent moins bien, ce qui fait qu’on est en train de perdre des espèces. »

Pour inverser la tendance, il y a peu de solutions à court terme, si ce n’est réduire la pression humaine, avec moins de pêche, moins d’urbanisations et moins de rejets polluants. Les scientifiques s’accordent sur le fait qu’un écosystème en meilleure santé résistera toujours mieux au réchauffement des eaux.

Source: France info