CAPTATION DU CO2: LE PARI FRANÇAIS POUR DÉCARBONER DAVANTAGE L’ÉCONOMIE

 
Emmanuel Macron a annoncé sa volonté d’accroître le recours à la capture et séquestration de CO2 au sein de l’industrie française. Si certains sites existent depuis plusieurs années dans le monde, cette solution doit changer d’échelle pour être efficace.
 

Le 8 novembre dernier, Emmanuel Macron exposait la stratégie de la France pour décarboner son industrie à l’issue d’une réunion avec les représentants des 50 sites les plus émetteurs de gaz à effet de serre du pays. Le président de la République a indiqué que cette stratégie nationale serait guidée via une « planification par technologie » en évoquant les trois principaux dispositifs qui pourraient être mis en place.

La première technologie est notoire et déjà en pleine croissance dans l’Hexagone puisqu’il s’agit de la filière de l’hydrogène décarboné dont la France entend devenir le leader. La seconde est l’exploitation de la biomasse dans le cadre des usages ne présentant pas d’alternatives. La dernière est la capture et la séquestration de carbone puis sa réutilisation industrielle qui reste relativement méconnue.

 
« Il est essentiel de préparer un déploiement à grande échelle de cette technologie car c’est la seule qui permette cette décarbonation pour certaines plateformes », a insisté le chef de l’Etat citant l’exemple du site de Dunkerque.

Plusieurs procédés de capture et tout autant de contextes géologiques pour le stockage

 

Comme son nom l’indique, le CCS (NDLR: pour Carbon Capture and Storage) consiste à capter du CO2 dans les fumées émises par les usines et autres sites industriels et à l’isoler de l’atmosphère en le stockant dans des formations géologiques du sous-sol. Pour cela, trois procédés différents de capture existent.

Tout d’abord, la post-combustion, qui vise à laver les fumées au contact d’un solvant qui absorbe le gaz puis est chauffé dans une tour de regénération pour séparer le CO2: la plateforme de Dunkerque utilise ce modèle. Davantage en amont, la pré-combustion a une application plus restreinte et permet d’extraire le CO2 de combustibles comme le pétrole ou le charbon. Enfin, l’oxycombustion a l’avantage de faciliter la capture du carbone en privilégiant l’oxygène afin d’obtenir une fumée plus concentrée qu’avec de l’air ambiant.

Concernant les grandes familles de contexte géologique aptes à stocker le carbone, elles sont au nombre de trois: les roches ultrabasiques, les réservoirs déplétés d’hydrocarbures et les aquifères salins.

« Les premières sont nombreuses en Islande mais rares en France en raison du contexte volcanique, explique Thomas Le Guénan, ingénieur de recherche spécialiste de stockage de CO2. Par contre, on trouve les réservoirs déplétés d’hydrocarbures dans la région de Pau. Ils sont a priori favorables au stockage car ils ont déjà contenu du gaz ou du pétrole. »

Il s’agit de roches avec des porosités situées jusqu’à 3 kilomètres de profondeurs et auxquelles on peut accéder via des forages afin que le gaz coule dedans. Les acuiphères salins sont plutôt présents dans le bassin parisien et sont proches des réservoirs déplétés à la seule différence qu’ils n’ont jamais contenu d’hydrocarbures. « Ils sont donc plus favorables sur le long terme et le CO2 vient y prendre la place de la saumure », précise l’expert du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).

 

Une génèse à la fin du siècle dernier

 

Si cette technologie bénéficie depuis peu d’une exposition croissante en France, elle est en réalité exploitée depuis la fin du XXème siècle ailleurs. C’est la Norvège qui a été précurseuse en la matière en instaurant une taxe pour chaque tonne de CO2 émise dans les années 1990 et en lançant le tout premier projet de CCS au large de ses cotes en 1996 pour capter et stocker 1 million de tonnes chaque année. « Les Américains injectaient même du CO2 dans le sol dès les années 1970 mais c’était pour recupérer davantage de pétrole et non pas à des fins climatiques », ajoute Thomas Le Guénan. Toujours est-il que les Etats-Unis jouissent aujourd’hui d’un important écosystème de start-ups qui multiplient les projets de CCS.

« Le gouvernement américain mise aussi sur l’incitation financière avec la création d’un système de crédit d’impôt pour encourager les initiatives sachant qu’un autre existe aussi pour la production d’hydrocarbures », souligne Florence Delprat-Jannaud, responsable des programmes de captage et stockage du CO2 au sein de l’IFP Energies Nouvelles.

Une France en retard mais des zones géographiques ciblées

 

Sur le CCS, l’Europe est scindée en deux. Pendant des années, la mer du Nord a servi à produire du pétrole et est désormais un site de stockage naturel où se positionnent d’autres pays que la Norvège comme le Royaume-Uni ou les Pays-Bas. « Ils ont une conscience au haut niveau politique des enjeux de CCS », affirme Thomas Le Guénan. L’Allemagne a longtemps interdit le stockage de carbone sous la pression d’une partie de la population sceptique vis-à-vis des conséquences immobilières de cette technologie.

« Historiquement, la France est plutôt rattachée à cette « Europe du Sud » mais les récentes déclarations d’Emmanuel Macron sont un signal positif en matière d’inscription de cette technologie à l’agenda politique », poursuit l’ingénieur du BRGM.

En France, cinq zones réfléchissent activement au développement du CCS. Il y a évidemment Dunkerque où les projets de captage sont déjà bien concrets et prévoient une exportation du CO2 vers des sites de stockage en mer du Nord. La réflexion est également entamé du côté du Havre avec là aussi une exportation du carbone capturé. Le BRGM travaille beaucoup dans le bassin sédimentaire parisien, et plus particulièrement la zone de Grandpuits (Seine-et-Marne), bien que celui-ci contienne surtout des petits émetteurs de CO2. Dans le sud-ouest, c’est la zone de Lacq, une commune à proximité de Pau, qui est ciblée en raison de son passé de production de gaz. Un projet transfrontalier avec l’Espagne pourrait d’ailleurs voir le jour. Enfin, la vallée du Rhône est le dernier espace, de Lyon à Marseille, avec la piste d’un stockage dans la Méditerranée mais les scénarios sont ici moins matures.

 

Un changement d’échelle nécessaire dans les prochaines années

 

A l’heure actuelle, une trentaine d’installations à grande échelle captent et stockent 40 millions de tonnes par an à travers le monde: une goutte d’eau face au 40 gigatonnes de C02 émises chaque année. Un récent rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) constitue un motif d’espoir en estimant à 1000 gigatonnes les capacités de stockage de CO2.

« Si on regarde les scénarios vers la neutralité carbone, il faudra quand même avoir capté 100 fois plus de carbone d’ici 2035 », rappelle Florence Delprat-Jannaud.

Pour illustrer l’accélération indispensable sur le CCS, l’experte de l’IFP Energies Nouvelles mentionne l’exemple de Dunkerque. Encore au stade d’expérimentation, le cas du site d’ArcelorMittal doit permettre de capter jusqu’à une demi-tonne de C02 par heures quand l’échelle industrielle nécessite de multiplier ce chiffre par 200 voire 300. Dans cette optique, Thomas Le Guénan plaide pour la mobilisation de grands industriels qui ont la possibilité de se relier à des hubs de stockage de carbone, voire même d’en créer eux-mêmes. Preuve en est le pharamineux projet Northern Lights, porté par Equinor, TotalEnergies et Shell, dont la fin de la première phase dans un an et demi. A partir de mi-2024, plusieurs pays pourront venir y stocker le CO2 qu’ils ont capté dans la limite de 1,5 million de tonnes chaque année.

 

La hausse des quotas de carbone est un levier de rentabilité pour le CCS

 

Alors que la récente adoption de la taxe carbone aux frontières par l’UE est un nouveau facteur à prendre en compte pour les industriels songeant au CCS, la chute de la valeur des quotas de carbone échangés au sein de la communauté européenne est une véritable aubaine. Son niveau particulièrement bas pendant les années 2010 a freiné de nombreux projets mais en repartant à la hausse pour atteindre environ 90 euros la tonne actuellement, elle joue à présent un rôle plus incitatif vis-à-vis des gros industriels. En effet, la technologie de CCS à un coût variant entre 50 et 180 euros la tonne de CO2. « Cette forte variation s’explique par le degré de concentration du carbone qui varie selon l’industrie et avec lui le degré de facilité à capter ce CO2 », précise Florence Delprat-Jannaud.

« Les industriels sont plus confiants quant à la rentabilité de le CCS mais la fluctuation du carbone reste quand même un problème car cette dimension « marché » est un frein à la projection », déplore Thomas Le Guénan.

Une technologie pour petits et gros émetteurs

 

Le coût d’une infrastructure peut varier de plusieurs dizaines à plusieurs centaines de millions d’euros (760 millions de dollars dans le cas de Northern Lights par exemple). Le choix stratégique de se doter d’une telle infrastructure est influencé par plusieurs facteurs comme la composition des fumées ou encore l’obligation ou pas de réaliser des travaux sur l’installation. Cependant, il est adapté à la plupart des gros émetteurs industriels, notamment les entreprises manufacturières, les centrales à charbon qui produisent de l’électricité mais aussi les secteurs de la sidérurgie, de la cimenterie ou encore l’industrie chimique.

« En France, on a une énergie très décarbonée avec le renouvelable mais en Chine, il y a un certain nombre de centrales à charbon qu’on ne peut pas imaginer remplacer d’un coup par du renouvelable, indique Florence Delprat-Jannaud. Il faudra donc peut-être passer par du captage et stockage de CO2. »

Et les plus petits émetteurs ont aussi une place à prendre dans le procédé en s’orientant vers la mutualisation dans le captage mais aussi le transport du CO2 les sites de stockage afin de réduire l’impact du coût d’investissement. « Une solution pour eux peut aussi être de combiner le stockage du carbone avec de la géothermie afin de générer de la chaleur par la même occasion », évoque Thomas Le Guénan.

 

Un « plan CCS » présenté par le gouvernement avant l’été

 

Dans une autre partie de l’écosystème, des start-ups et fonds philanthropiques se lancent dans l’investissement à destination du captage atmosphérique que le Giec encourage également dans une logique de déploiement de tous le portefeuilles de solution face à l’urgence climatique. Plus coûteuse que le CCS classique, cette technologie consiste à aller capturer le CO2 directement dans l’atmosphère, ce qui pourrait compenser les émissions très diffuses de carbone. Dans un peu moins d’un an, l’Etat du Wyoming inaugurera un grand site spécialisé dans la captation atmosphérique avec un objectif annuel de 5 millions de tonnes capturés d’ici 2030.

Source: BFM