Bren Smith : « L’agriculture océanique régénératrice peut sauver les océans »

 

Dans « Le fermier des océans » (L’arbre qui marche), Bren Smith, pêcheur, raconte comment il est passé de la pêche intensive à un modèle novateur : l’agriculture océanique régénératrice, qu’il explique diffuser à des milliers d’aspirants agriculteurs dans le monde.

Bren Smith est un enfant de la pêche intensive. Né à Terre-Neuve, au Canada, il quitte l’école à 14 ans pour devenir pêcheur sur des chalutiers mastodontes qui ont contribué à faire chuter la population de morues dans les eaux canadiennes, durant les années quatre-vingt-dix.

Puis, il a changé de voie, essayé l’aquaculture, est devenu ostréiculteur, ouvert deux fermes océaniques emportées par des ouragans. Avant de se lancer dans l’agriculture régénératrice : un modèle de polyculture sous-marine qui cultive un mélange d’algues et de crustacés et ne nécessite aucun intrant. Il diffuse ce modèle via GreenWave, qui propose aux particuliers de tenter l’agriculture océanique régénératrice. Dans Le fermier des océans (L’arbre qui marche), il raconte cette conversion.

Bren Smith : Je suis né dans la ville de Petty Harbour, un port isolé de Terre-Neuve situé à l’extrême est de l’Amérique du Nord. Quelques douzaines de maisons, une usine de transformation du poisson, une coopérative de pêcheurs, le tout égayé par les couches de restes de peinture de bateau – des oranges, des rouges, des jaunes, des verts qui nous guident vers la maison à travers le brouillard.

Faire les courses pour le dîner impliquait une marche de cinq minutes jusqu’aux quais pour la morue, le flet ou les prises accessoires provenant des bateaux de jour. Les enfants vendaient des langues de morue en porte-à-porte pour un peu d’argent.

Vous étiez vous-même pêcheur en haute mer…

J’ai abandonné mes études secondaires à 14 ans pour pêcher partout dans le monde. C’était à l’apogée de la pêche industrialisée, lorsque les bateaux détruisaient des écosystèmes entiers avec des chaluts. Après l’effondrement des stocks de morue chez moi, à Terre-Neuve, 30 000 personnes ont perdu leur emploi du jour au lendemain. J’étais face à la réalité : on détruisait des emplois à terme, en détruisant la planète. Je me suis donc lancé dans un voyage de rédemption écologique.

J’ai fini par devenir ostréiculteur dans le détroit de Long Island. Ma ferme a été détruite par deux tempêtes consécutives : la tempête tropicale Irene en 2011 et la super-tempête Sandy en 2021. Elles ont attaqué avec une onde de tempête de six pieds qui a enseveli mes cages à huîtres dans trois pieds de boue. Plus de la moitié de mon équipement a été perdue, et plus de 80 % de ma récolte a été détruite.

Je me sentais impuissant face à la colère croissante des conditions météorologiques extrêmes. J’étais passé de pilleur de haute mer à agriculteur, mais ma ferme, mes huîtres et mon gagne-pain étaient devenus le canari dans la mine de charbon d’une crise climatique arrivée cent ans plus tôt que prévu.

 

C’est là que vous vous êtes lancé dans l’agriculture océanique.

 

J’ai emprunté toutes les idées possibles à mille ans d’agriculture océanique. Il s’agit d’un métier à la fois ancien et nouveau, un travail enraciné dans des milliers d’années d’histoire, remontant à l’époque romaine et aux murs de palourdes autochtones du nord-ouest du Pacifique. Mon objectif était de synthétiser le bon et de refuser le mauvais des pratiques industrielles. J’ai demandé à Mère Nature quoi cultiver, elle m’a répondu : uniquement des espèces sans intrants qui ne s’éloignent pas à la nage et n’ont pas besoin d’être nourries.

Je cultive le même coin d’océan depuis plus de vingt ans, toujours en cultivant un mélange d’algues et de coquillages. En 2014, j’ai lancé GreenWave avec la cofondatrice et codirectrice exécutive Emily Stengel pour développer l’agriculture océanique régénératrice. En tant qu’organisation à but non lucratif, nous nous efforçons de stimuler la collaboration et l’innovation. Considérez-nous comme un réseau d’agriculteurs, d’entrepreneurs et de chercheurs, tous déterminés à élaborer des solutions climatiques communautaires en mer. GreenWave s’associe aux communautés côtières de toute l’Amérique du Nord pour créer une économie bleue – construite et dirigée par les agriculteurs des océans – qui garantit que nous pouvons tous gagner notre vie sur une planète vivante.

 

Qu’est-ce que l’agriculture océanique régénératrice, concrètement ?

 

Il s’agit d’un modèle de polyculture qui cultive un mélange d’algues et de crustacés qui ne nécessite aucun intrant : pas d’eau douce, pas de nourriture, pas d’engrais. Ces cultures sont régénératrices : elles redonnent vie à l’océan. Il y a des millions d’années, Mère Nature a créé deux puissants agents de renouvellement : les coquillages et les algues. Les huîtres filtrent jusqu’à 50 gallons d’eau (environ 200 litres) par jour, éliminant l’azote, un nutriment qui est à l’origine des zones mortes en constante expansion dans l’océan. Le varech sucré, appelé séquoia de la mer, absorbe cinq fois plus de carbone que les plantes terrestres et est présenté comme l’équivalent culinaire de la voiture électrique.

Étant donné que ces fermes sont situées verticalement sous la surface, elles produisent des rendements élevés avec une faible empreinte au sol. Imaginez un jardin sous-marin vertical : des ancres résistantes aux ouragans sur les bords reliées par des cordes horizontales flottant à six pieds sous la surface. À partir de ces lignes, le varech pousse verticalement vers le bas, à côté des pétoncles dans des filets suspendus qui ressemblent à des lanternes japonaises et des moules maintenues en suspension dans des chaussettes en maille. Au niveau du fond marin se trouvent des huîtres dans des cages, puis des palourdes enfouies dans la boue.

Cette conception de ferme océanique régénératrice est reproductible : juste un échafaudage en corde sous-marine abordable et facile à construire. Le faible coût de construction signifie qu’il peut être reproduit rapidement. Le modèle est évolutif. Il existe plus de dix mille plantes dans l’océan et des centaines de variétés de coquillages – nous avons à peine commencé à effleurer la surface de ce que nous pouvons cultiver. Et la demande pour ces cultures ne dépend pas uniquement de la nourriture ; les algues peuvent être utilisées comme amendements du sol, aliments pour animaux, biomatériaux, etc.

Ces cultures répondent aux conditions climatiques idéales, ne nécessitant ni eau douce, ni engrais, ni aliments pour animaux, tout en créant des opportunités économiques pour les communautés côtières. Les agriculteurs océaniques peuvent s’associer à l’océan pour simultanément créer des emplois, nourrir la planète et lutter contre le changement climatique.

Source: Marianne