«Bouts du monde», jusqu’au bout des mers
31 octobre 2022
31 octobre 2022
L’océan bien écrit. Bien décrit. La dernière livraison de Bouts du Monde (Carnets de voyageurs, automne 2022) se lit tout aussi bien quand on ne part… nulle part. Et pourtant, il y a à voir dans ce numéro qui sent le large et les embruns.
«Ce qui serait con, c’est qu’ils trouvent quelque chose, et que tu n’y sois pas !» C’est avec ces mots que Georges Pernoud, père de l’émission Thalassa, avait interpellé Yves Bourgeois pour l’inciter à embarquer dans les pas d’une mission à la recherche de Lapérouse.
Jean-François de Galaud de Lapérouse, parti en 1785 avec la bénédiction de Louis XVI dans une circumnavigation hors norme pour «rectifier la cartographie de la planète, rencontrer des populations inconnues, établir de nouveaux comptoirs commerciaux, enrichir les connaissances autant que les collections scientifiques». Las, victimes des «terribles dépressions du Pacifique», la Boussole et l’Astrolabe – les deux vaisseaux du navigateur – disparaissent sans laisser la moindre trace. «La plupart des Français ignorent cette aventure, et ne retiennent du nom que celui du restaurant du quai Conti à Paris», conclut Yves Bourgeois dans son article.
Un restaurant, un quai. Quoi d’autre ? Conti ? Anita, c’en est une autre, d’aventurière ! Tout à la fois océanographe, relieuse d’art, journaliste, écrivain et photographe. Elle a pris la mer à Fécamp, avec les morutiers. Une femme à bord, un truc de dingue, dans les années 30. «Dans ce bazar ahurissant, comment ignorer cette rumeur ? Cette rumeur qui excite les imaginations à propos d’une femme qui embarquerait demain sur un chalutier. Quoi ? Une femme à bord ! Hein ! Une femme à bord ? Oui, oui ! Une femme à bord ! A bord d’un terre-neuvas, ben ça alors !» Aujourd’hui, son fils adoptif Laurent Girault-Conti fait revivre sa mémoire et ses mots : «Les pieds dans les papiers, je pataugeais dans le sangouin [un mot inventé par Anita qui décrit l’eau de mer mêlée de sang et de déchets de poisson, ndlr] parmi les déchets et les tripes de poisson que rejetaient les marins rameutés ici. Ils décollaient les têtes et tranchaient les ventres blancs pour arracher d’un jet rouge les viscères auréolés d’embruns.»
Et pour finir avec ce monde de brutes salées, voyons ce que raconte Yann Datessen, dans sa Poésie de la fugue. Point de départ, Charleville dans les Ardennes, collège Arthur-Rimbaud, l’enfant terrible du pays. Arrivée ? Tadjourah (Djibouti). «Autour du feu, je pense à Rimbaud. Il y a cent trente ans, il était peut-être assis là à fumer la pipe, se penchant sur des comptes désastreux, peut-être avait-il pleuré de rage à l’addition de chiffres qui n’étaient pas au nombre des étoiles dans le ciel juste au-dessus de nous.»
Compter les étoiles, découvrir les fonds marins avec les photos de Greg Lecœur, visiter les salles des machines des gros bâtiments de la marine marchande ou de la Royale avec les dessins de Vivi Navarro (ci-dessus), voilà, encore ce qu’on peut faire en se plongeant dans ce 52e numéro de Bouts du Monde. Sans partir loin, sans rencontrer de dangers. Hissez haut…