Pourquoi y a-t-il de moins en moins de coquillages sur les plages et rochers ?
7 juillet 2022
7 juillet 2022
« En quelques dizaines d’années, le nombre de coquillages sur les plages a connu un déclin important », s’alarme le magazine de voyage National Geographic , dans un article paru lundi 4 juillet 2022. Le média s’est penché sur les plages des États-Unis. Mais en France, pour certaines espèces, la situation n’est guère plus rassurante. Mais depuis quand les coquillages sont-ils moins nombreux ? Qu’est-ce qui explique ce déclin ? Faut-il s’en inquiéter ? Existe-t-il des solutions pour préserver les espèces ? On fait le point avec Stéphane Pouvreau, chercheur en biologie marine à l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), spécialiste des coquillages et plus particulièrement des bivalves, une classe de mollusques.
Stéphane Pouvreau, y a-t-il réellement moins de coquillages sur les plages françaises ?
Tout à fait, certaines espèces de coquillages, des bivalves ou encore des gastéropodes, natives de nos côtes, sont en déclin. Et ce n’est pas uniquement le cas sur les plages. Les coquillages qui vivent dans d’autres habitats, comme les rochers ou encore la vase sont également touchés. Il se produit le même phénomène de déclin bien connu chez les insectes.
Il se trouve que les coquillages sont les invertébrés marins, soit des cousins éloignés des insectes. Et puis, plus généralement, l’érosion de la biodiversité est généralisée, elle touche tous les animaux et donc les coquillages aussi. Mais il est important de noter également que certaines espèces, se portent très bien.
Huîtres plates, palourdes, pétoncles noirs, tellines… De nombreuses espèces touchées.
Quelles sont les espèces les plus touchées ?
L’un des coquillages en fort déclin en France est l’huître plate, sur laquelle je travaille. Cette espèce native était extrêmement présente sur nos côtes européennes il y a quelques siècles et aujourd’hui, elle a quasiment disparu. Si l’on ne fait rien, elles sont vouées à disparaître. Les palourdes européennes sont également en fort déclin, les coques aussi dans certains endroits, victimes d’épisodes de mortalités, mais aussi l’ormeau, un gastéropode. En rade de Brest, non loin de l’Ifremer, les pétoncles noirs disparaissent eux aussi.
La coquille Saint-Jacques se porte très bien dans la Manche et en mer du Nord, mais sa situation est plus délicate dans d’autres zones. On peut également citer la grande nacre, ce coquillage emblématique de la Méditerranée, victime de très fortes mortalités. Quant aux tellines, ces petits bivalves, que l’on peut pêcher sur la plupart des plages de nos côtes, subissent, eux aussi, des mortalités assez fortes certains étés.
Depuis quand, le déclin a-t-il commencé ?
Il est difficile de dater le déclin des coquillages, ça dépend de l’espèce. La plupart des espèces qui n’ont pas d’intérêt en termes d’exploitation, ont été moins bien suivies que les autres. Pour celles que l’on connaît mieux, comme l’huître plate, la diminution des populations n’est pas récente. Dès le XVIIe siècle, l’engouement pour ce coquillage a commencé, et avec lui la surpêche sur plusieurs siècles. La naissance de l’ostréiculture à la fin du XIXe siècle a amorti son déclin. Mais de nombreux coquillages ont probablement commencé à décliner plus fortement au milieu du XXe siècle.
Qu’est-ce qui décime certains coquillages ?
Les facteurs sont multiples. Mais les principaux sont la dégradation de l’habitat des coquillages, la pollution des milieux côtiers liée à l’industrialisation et à l’utilisation de produits chimiques en agriculture, ainsi que la mondialisation. Ce dernier facteur a participé à l’introduction de pathologies ou d’espèces invasives venues de pays étrangers, à partir des années 1970 à 1980. Des maladies nouvelles ont alors touché les coquillages.
Il faut également ajouter le réchauffement climatique, qui fragilise les populations de coquillages natives, habituées à un climat tempéré. Certaines populations, surtout celles d’estran, sont désormais confrontées à des canicules régulières. Les animaux sont alors affaiblis et la mortalité augmente. L’acidification des océans est aussi une menace potentielle.
Et puis, le continuum terre mer explique aussi le déclin des bivalves et gastéropodes. Par exemple, le milieu côtier subi l’utilisation de pesticides sur les terres. Ceux contre les limaces et escargots atteignent aussi les mollusques, qui sont très proches physiologiquement. Certaines molécules chimiques ou pharmaceutiques peuvent entraver la reproduction de ces espèces. Et pourtant, quand les conditions environnementales sont bonnes, les coquillages sont des espèces qui se reproduisent très bien. Ils produisent énormément de larves et peuvent rapidement recoloniser un milieu… Avec un peu d’aide de notre part.
« Les moules et palourdes sont des filtreurs, qui épurent l’eau »
Faut-il s’alarmer de la diminution des populations de coquillages ?
À l’image du déclin des pollinisateurs qui inquiète, celui des coquillages est aussi alarmant. En effet, ils ont un intérêt essentiel pour la nature. Ils ont, par exemple, un rôle clé dans la construction du littoral, en fixant les sels minéraux et le calcaire, ils contribuent à l’enrichissement des sédiments côtiers depuis des milliers d’années. Et sur des millions d’années, ils participent à la formation de certaines roches littorales.
Si les plages ne sont plus engraissées de leurs coquilles, parce que ce sont bien les coquillages qui composent dans certains cas une fraction importante du sable, l’érosion s’accélère, et avec elle, les risques de submersions marines.
Et puis, les moules ou encore les palourdes, ainsi que tous les bivalves, sont de puissants filtreurs, c’est leur fonction principale. Ils épurent l’eau, donc moins il y en a, moins l’eau est filtrée. C’est un grand service rendu à la nature, qui est menacée, comme la pollinisation en milieu terrestre.
Existe-t-il des solutions pour protéger les coquillages ?
L’Organisation des nations unies (Onu) nous pousse, la science bouge et la société est demandeuse. À l’image de ce qui existe pour sauver les coraux, dont la Grande Barrière de corail en Australie, il est possible d’intervenir sur certaines espèces natives de nos côtes. Nous avons développé les mêmes stratagèmes. In situ, au fond de l’eau, nous développons une ingénierie écologique sous-marine, pour réintroduire des coquillages dans les milieux où ils sont en déclin ou ont disparu.
En effet, si on enlève certaines pressions responsables de leur déclin, ils reviennent. Des tests sont en cours pour les huîtres plates en rade de Brest et en baie de Quiberon, et plus largement à l’échelle de l’Europe. Nous essayons de « replanter » des récifs d’huîtres plates, comme ils étaient il y a quatre siècles.
C’est un peu le même système que pour les coraux qui est développé : On installe des supports pour que les larves d’huîtres plates puissent s’y fixer. Ces supports biomimétiques attirent les larves, elles y grandissent et au bout de quelques années, un récif huîtrier se reconstitue et avec lui ses services écosystémiques reviennent.
Il y a un intérêt particulier de le faire pour les huîtres plates, puisque ce sont des animaux qui créent des récifs, dans lesquels d’autres espèces viennent ensuite se fixer, se nourrir ou se reproduire cela devient un habitat pour de nombreuses autres espèces et augmente donc la biodiversité. Si des tests sont d’ores et déjà lancés pour l’huître plate, considérée comme la mascotte de la réintroduction et de la restauration écologique des coquillages en Europe, d’autres espèces pourraient, à l’avenir, avoir le même privilège.