Emmanuel Macron se prononce contre l’exploitation des grands fonds océaniques

 
La déclaration du président de la République, jeudi, lors de la conférence des Nations unies sur l’océan qui se tient à Lisbonne, a créé la surprise, alors que la France semblait jusqu’à présent tentée par la quête des ressources minérales dans les abysses.
Le sujet n’était pas inscrit au menu des discussions officielles de la conférence des Nations unies sur l’océan, qui se tient à Lisbonne jusqu’au 1er juillet. Pourtant, la question de l’exploration et de l’exploitation des grands fonds marins a largement occupé l’actualité de ces rencontres internationales jusqu’à la déclaration, courte mais retentissante, d’Emmanuel Macron, jeudi 30 juin : « Je pense que nous devons élaborer un cadre légal pour mettre un coup d’arrêt à l’exploitation minière des fonds en haute mer et ne pas autoriser de nouvelles activités qui mettraient en danger les écosystèmes [océaniques]. » Le président de la République a provoqué l’agréable surprise des ONG de défense de l’environnement, tant il semblait tenté jusqu’à présent par la quête d’encroûtements cobaltifères, sulfures et nodules polymétalliques dans les abysses.
L’entrevue qu’il a eue avec l’océanographe très respectée Sylvia Earle a pu jouer dans cette position prise non pas en assemblée plénière, mais à l’Oceanarium de Lisbonne, devant un bassin où passaient des requins et face à un auditoire d’une quarantaine d’acteurs du monde maritime. A l’ouverture des rencontres de l’ONU, cette pionnière, ancienne directrice scientifique à l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (NOAA), soulignait que l’industrie minière s’accompagne d’impacts environnementaux partout. Et s’interrogeait : « Sur la terre ferme, nous pouvons au moins surveiller, voir et résoudre les problèmes, et minimiser les dégâts. Six mille mètres sous la surface, qui regarde ? »
Comme la France a le deuxième plus vaste domaine maritime au monde et que son président se présente en champion de la défense du monde marin – il a d’ailleurs proposé de recevoir la prochaine conférence de l’ONU sur l’océan en 2025, organisée conjointement avec le Costa Rica –, Paris était attendu au tournant. La pression y est encore montée d’un cran ces derniers jours pour obtenir un moratoire protégeant les profondeurs océaniques des convoitises industrielles. Les ONG environnementales – très mobilisées – ainsi que de nombreux scientifiques – plus de 600 d’entre eux ont lancé un appel contre ce potentiel stress supplémentaire pour le fond des mers – sont déterminés à défendre les écosystèmes profonds, qui restent mal connus. Ils font valoir de surcroît que c’est précisément dans son plancher que l’océan remplit une fonction essentielle : stocker le CO₂. Est-ce alors opportun d’y envoyer des robots collecteurs soulever des panaches de sédiments ?
 
Mardi avait été présentée une « déclaration parlementaire mondiale pour un moratoire sur l’exploitation minière des grands fonds marins » à l’initiative de deux députées européennes (Verts/ALE) de France, Marie Toussaint et Caroline Roose, ainsi que d’un député du Vanuatu. Ce texte est aujourd’hui signé par 98 parlementaires de 36 pays. « L’ONU est le cadre approprié pour porter ce débat car l’océan constitue un bien commun, assure Marie Toussaint. La Commission européenne elle-même s’est déjà positionnée en faveur d’une pause en la matière. » Lundi, des Etats du Pacifique avaient annoncé la création d’une « Alliance des pays pour un moratoire contre l’exploitation minière des océans », aux côtés de la Coalition pour la conservation des fonds marins et du WWF. L’activité mise en cause « compromet l’intégrité de notre habitat océanique qui soutient la biodiversité marine et contribue à atténuer les effets du changement climatique », a déclaré Surangel Whipps, président des Palaos, rejoint par les Fidji et Samoa. Greenpeace s’inquiète de surcroît du fonctionnement de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM). Cette instance basée en Jamaïque est chargée de délivrer des permis d’exploration en haute mer, souvent présentée au nom de la science, mais que les ONG qualifient plutôt de campagnes de prospection des ressources minérales. L’AIFM est en train de préparer dans une certaine opacité un code minier idoine, préalable à la délivrance de licences d’exploitation à des industriels obligatoirement parrainés par un Etat. La République de Nauru (9 800 habitants) en ayant demandé une, l’AIFM risque d’avoir à accélérer afin de lui répondre dès l’été 2023.
De quel côté penchera la majorité des Etats dans cette affaire ? Ils restent partagés. Alors que le Chili vient de suggérer l’instauration d’une pause de quinze ans, d’autres pays seraient prêts à soutenir l’essor d’un secteur industriel qui, espèrent-ils, entraînera la production d’engins sous-marins d’avenir. On retrouve certains d’entre eux parmi les initiateurs d’un événement en marge de la conférence plénière, intitulé « Assurer la gestion des ressources minérales des fonds marins et la protection du milieu marin de la zone [en haute mer] au profit de l’humanité ». Parmi les organisateurs figurent les îles Cook, le Tonga, le Canada, le Sénégal, l’Inde, Singapour, la France et l’Ifremer aussi.
Le clivage sur ce thème est apparu nettement lors du dernier congrès mondial de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) à Marseille, en septembre 2021. La France, qui détient deux permis d’exploration hors de ses propres eaux, n’avait pas voulu approuver la résolution appelant à mettre un terme à l’exploitation des grands fonds marins. Améliorer les connaissances scientifiques à leur sujet nécessite d’y mener des expéditions, avait alors argumenté le chef de l’Etat, ce qu’il a répété à Lisbonne. S’engagera-t-il pour autant en plaidant une démarche de précaution à l’AIFM ?
Les hésitations françaises laissent place aux doutes. Il y a peu, le 5 mai 2021, Jean Castex signait une circulaire enjoignant au gouvernement de préparer une « stratégie nationale d’exploration et d’exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins ». L’ancien premier ministre donnait trois ans à son équipe pour y parvenir. Mais l’appareil d’Etat ne s’est pas encore vraiment saisi du dossier, à en croire la mission d’information sénatoriale sur les grands fonds, qui a rendu son rapport le 21 juin. Celui-ci, très documenté, conclut lui aussi qu’il serait « prématuré » de se lancer dans une activité destructrice pour les espèces inconnues vivant à plusieurs milliers de mètres sous la surface, d’autant que sa rentabilité est loin d’être établie. Les sénateurs insistent aussi sur la nécessité d’informer sur un sujet aussi essentiel les élus des outremers, directement concernés, mais aussi la société civile tout entière, voire de les consulter.

Source: Le Monde