A l’ONU, des négociations à haut risque pour protéger la haute mer

 

Les gouvernements sont réunis à partir de ce lundi, à New York, pour finaliser un traité international destiné à préserver la biodiversité dans des zones jusqu’ici très peu régulées. La question financière sera au coeur des débats.

Au-delà des 200 milles nautiques des côtes, le « Far West ». La haute mer, qui occupe plus des deux tiers des océans, reste un immense espace largement non réglementé, dont moins de 1 % est réellement protégé. Un manque que les Etats essaient de pallier tant bien que mal.

Ce lundi, les gouvernements du monde entier vont à nouveau se retrouver à New York, au siège des Nations unies, pour finaliser un traité international destiné à préserver une biodiversité complexe menacée. Au large des zones économiques exclusives (ZEE), à plus de 200 milles nautiques (370 kilomètres) des côtes donc, l’océan n’appartient en théorie à personne et le principe de liberté y a prévalu jusqu’ici.

Les discussions pour parvenir à un accord, qui serait juridiquement contraignant, vont durer deux semaines. Cette réunion « constitue une occasion historique de décider de nouvelles mesures qui changeront la donne pour l’océan », insiste la High Seas Alliance, un partenariat regroupant une trentaine d’ONG qui exhortent les Etats à signer un traité « solide ».

Mais rien n’est encore tout à fait joué. Un optimisme prudent semble dominer, alors que certains, comme l’Union européenne (France en tête avec son deuxième espace maritime mondial), poussent pour un traité ambitieux.

Succès de la COP15

Mais le risque n’est pas nul « d’un accord a minima où les sujets importants sont éliminés, pour se réduire à une simple déclaration de bonne volonté », note Denis Bailly, économiste et spécialiste du droit de la mer. Beaucoup dépendra des positions de la Chine et de la Russie, dans un contexte diplomatique pour le moins compliqué.

En août, la cinquième session d’un travail entamé en 2018 (alors envisagée comme la dernière) avait tourné court malgré des avancées importantes. Cette fois-ci, les observateurs espèrent que le succès de la conférence de l’ONU sur la biodiversité (la COP15) qui s’est tenue à Montréal en décembre exercera une forme de pression sur les négociateurs.

Combler des vides juridiques

Aujourd’hui, plusieurs conventions s’appliquent en haute mer : sur la navigation maritime, la gestion des pêches ou encore la protection des espèces migratrices. Mais ce fonctionnement en silo est jugé très insuffisant. « La valeur ajoutée du futur traité est de proposer un dispositif plus centralisé, et de combler des vides juridiques », explique Julien Rochette, qui dirige les programmes Océan et Gouvernance internationale de la biodiversité de l’Iddri.

En premier lieu, le traité doit permettre de créer des aires marines protégées en haute mer, et d’offrir des outils juridiques pour atteindre l’objectif de protection de 30 % de l’océan d’ici à 2030, sur lequel les Etats se sont engagés lors de la COP15.

Le futur texte doit aussi instaurer des études pour évaluer l’impact des activités humaines (pêche, éolien offshore, etc.) sur l’environnement marin. Mais la question de l’utilisation de ces études d’impact n’est pas tranchée, notamment celle de savoir à qui reviendrait la décision finale (l’Etat concerné ou un comité scientifique). Il aborde également les transferts des technologies marines. Enfin, il se penche sur l’utilisation des écosystèmes marins , en particulier les ressources génétiques et la manière dont les Etats se partageraient les bénéfices tirés de leur exploitation.

Cet enjeu économique de taille reste un des points de crispation majeurs que les gouvernements vont devoir négocier. La question cruciale du financement et des transferts des pays du Nord vers le Sud occupera le coeur des débats à New York. Elle a « le potentiel de faire ou défaire les négociations, comme nous l’avons vu récemment dans les conférences sur le climat et la biodiversité », estime le think tank européen Jacques-Delors.

L’intérêt du secteur privé

La question explosive de l’exploitation des fonds marins relève d’une autre autorité internationale, l’AIFM, qui doit se réunir le mois prochain. La pêche est elle aussi absente du traité. Mais le secteur « pourra être affecté, notamment au travers des aires marines protégées », indique Cyrille Barnerias, de l’Office français de la biodiversité. Si des études scientifiques déterminaient, par exemple, que des espèces étaient menacées par des activités de pêche, des mesures de régulation pourraient devoir être prises par les organisations de gestion compétentes.

Parmi les entreprises les plus intéressées aux négociations, les câbliers sont pour l’instant les rares à afficher leur position publiquement, en particulier sur les aires marines protégées et les études d’impact. « Nous craignons des réglementations et des contraintes excessives, alors qu’elles ne se justifieraient pas », explique Didier Dillard, le PDG d’Orange Marine, filiale qui gère la flotte de navires câbliers du groupe.

« Des études ont été faites sur l’impact des câbles sous-marins sur la faune et la flore marines, et il est quasi nul. Si à chaque fois que nous avons besoin de réparer en haute mer, nous devons faire une étude d’impact, cela peut poser problème, surtout s’il s’agit d’un câble capital pour la communication d’un pays », fait valoir le dirigeant.

Source: Les Echos