Code minier : négociations tendues au sein de l’Autorité internationale des fonds marins

 

Des voix de plus en plus nombreuses réclament au moins un moratoire, au nom des dommages irréversibles pour l’environnement marin. Car l’industrie minière peut faire disparaître des espèces que l’on n’a même pas encore découvertes.

Le calendrier s’accélère et les relations se tendent au sein de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM). Cette organisation basée à Kingston, en Jamaïque, détient un pouvoir extraordinaire sur rien de moins que l’état de santé de la planète. Elle est, en effet, habilitée à agir au nom de tous sur l’océan mondial en dehors des eaux nationales – un espace gigantesque déclaré par l’Organisation des Nations unies (ONU) « patrimoine commun de l’humanité ».Article réservé à nos abonnés

La notoriété assez récente de l’AIFM doit beaucoup aux campagnes d’alerte menées à son encontre par les ONG environnementales, dont l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), et des centaines de scientifiques, extrêmement inquiets pour les écosystèmes marins, que l’on connaît encore très mal.

Née en 1994, l’AIFM est une des trois institutions créées par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, elle-même laborieusement adoptée en 1982. Elle compte à ce titre 168 membres, dont l’Union européenne. La mission qui lui a été initialement assignée consiste à organiser et contrôler l’exploration et l’exploitation des ressources minérales marines. A elle de faire en sorte que les pays développés ne soient les seuls à tirer profit de la « zone » (plus de la moitié des océans s’étendant au-delà des 200 milles marins des côtes) au fond de laquelle sont disséminés des nodules et sulfures polymétalliques, des encroûtements cobaltifères.

 

Tests à grande échelle

 

L’environnement n’était pas le souci premier d’un organisme conçu dans les années 1990 comme devant se financer à terme avec les revenus tirés de l’exploitation des fonds profonds. L’Autorité n’est pas armée pour infliger des sanctions ou effectuer des contrôles à des milliers de mètres sous la surface en haute mer. Jusqu’à présent, son secrétariat d’une cinquantaine de personnes vit avec les contributions des Etats membres et n’a délivré que des permis d’exploration d’une durée de quinze ans renouvelables : il en a accordé trente et un à des contractants, entrepreneurs et Etats associés. De quoi prospecter 1,5 million de kilomètres carrés.

Mais la donne a changé avec les campagnes menées à l’automne 2022 par le canadien The Metals Company, en quête de nodules dans la zone Clarion-Clipperton, dans le Pacifique. Cet épisode inédit a montré que l’assemblée générale n’avait pas à être formellement consultée pour que soit autorisé ce genre de tests à grande échelle.

l’AIFM prépare un code minier qui donne lieu à moult négociations juridiques et diplomatiques entre les Etats, à la virgule près. Il doit prendre en compte les questions technologiques, financières et environnementales. En principe, tant que ce règlement n’a pas abouti, l’extraction ne peut commencer. Mais certains Etats et entreprises font pression pour qu’il soit adopté dès juillet 2023. Une prochaine session de travail est prévue en mars. Pour sa part, The Metal Company affiche son intention de demander une licence d’exploitation avant la fin de cette année et annonce vouloir lancer son activité dès 2024, avec ou sans code minier. Position paradoxale A contrario, des voix de plus en plus nombreuses réclament au moins un moratoire, au nom des dommages irréversibles pour l’environnement marin. L’industrie minière peut faire disparaître des espèces que l’on n’a même pas encore découvertes.

Emmanuel Macron a affirmé solennellement, en novembre 2022, son soutien ferme à « l’interdiction de toute exploitation des grands fonds marins ». La position de la France – qui détient deux permis d’exploration – va-t-elle faire bouger les équilibres au sein de l’AIFM ? Paris siège parmi les trente-six membres du conseil de cette organisation depuis sa création, mais doit céder sa place aux Pays-Bas pour un an, en 2023. 

l’AIFM s’est retrouvée sous les projecteurs de l’actualité et dans une position paradoxale à la COP15 de Montréal, la Conférence de l’ONU sur la biodiversité. D’un côté, son secrétaire général, Mickael Lodge, y est venu défendre son action, vanter le rôle de son institution dans la « protection de l’environnement marin et de la biodiversité en eaux profondes pour le bénéfice de tous ». De l’autre, les représentants de plusieurs gouvernements – Chili, Costa Rica, Espagne, France, Allemagne, Nouvelle-Zélande, Palaos et Vanuatu – se sont réunis sur place aux côtés de la Deep Sea Conservation Coalition qui rassemble une centaine d’ONG, pour exprimer leur souhait d’imposer une « pause de précaution » dans la course aux grands fonds, et réfléchir à la façon de convaincre d’autres gouvernements de rejoindre leur fronde.

Source: Le monde