COP15: à Montréal, des engagements historiques pour la biodiversité

Après quatre ans de discussions, 195 Etats se sont engagés à prendre des « mesures urgentes » pour protéger 30 % de la planète, restaurer 30 % des écosystèmes et doubler les ressources destinées à la protection de la nature d’ici à 2030.

La route fut longue et chaotique et jusqu’au bout l’issue des négociations aura paru suspendue à la question critique des moyens financiers. Mais, après quatre ans de discussions, plus de 190 Etats ont finalement adopté, lundi 19 décembre au Canada, un accord historique pour essayer de s’attaquer au gigantesque défi de l’effondrement du vivant. Protéger 30 % de la planète, restaurer 30 % des écosystèmes, réduire de moitié les risques liés aux pesticides, doubler les financements globaux en faveur de la protection de la nature : des dirigeants du monde entier se sont engagés à prendre des « mesures urgentes » pour « arrêter et inverser la perte de biodiversité » d’ici à la fin de la décennie.

« Beaucoup ont comparé l’accord de Montréal à l’accord de Paris pour le climat. Cette analogie est très à propos car nous venons de faire un pas significatif pour la protection de la nature. Et sans Montréal, il n’y a pas Paris, car la lutte contre le réchauffement a besoin de la biodiversité », a salué Steven Guilbeault, le ministre de l’environnement canadien, au côté de son homologue français. « C’est un accord historique car on pose un cadre ambitieux, dans lequel rien n’est au rabais, a appuyé Christophe Béchu. Chacun va maintenant devoir prouver qu’il est à la hauteur de ce texte et que ce n’est pas un accord de papier, le travail commence. »

Initialement prévue en 2020 dans la ville chinoise de Kunming, reportée à de multiples reprises en raison de la pandémie de Covid-19 et finalement déplacée au Canada, la 15e conférence mondiale pour la biodiversité (COP15) était présentée comme la « COP de la décennie » : elle avait pour mission d’établir un nouveau cadre mondial pour succéder aux « accords d’Aichi », une série d’objectifs adoptés en 2010 au Japon qui s’étaient soldés, en 2020, par un constat d’échec généralisé.

A la COP15, l’espoir de conclure un « accord de Paris » pour la biodiversité Au cours des dernières décennies, l’érosion de la biodiversité n’a fait que s’aggraver : les espèces déclinent à un rythme inédit, plus de 75 % des espaces terrestres ont déjà été altérés et la majorité des océans sont pollués. « La sixième extinction est provoquée par l’homme, pas par une météorite », a rappelé l’acteur américain James Cromwell lors de son passage au palais des congrès de Montréal.

« Nous ne sommes pas en train d’approcher d’un point de non-retour pour la nature, nous y sommes », a aussi alerté la secrétaire exécutive de la Convention sur la diversité biologique (CDB), Elizabeth Maruma Mrema. Dimanche, alors que le monde entier avait les yeux tournés vers le Mondial de football au Qatar, une autre finale s’est jouée au Canada. Dans la matinée, la Chine, qui préside la COP, a mis sur la table une nouvelle version du projet d’accord, présentée comme un texte de compromis. Les pourparlers se sont alors accélérés, permettant de débloquer en moins de vingt-quatre heures les principaux points de blocage.

Rôle majeur des peuples autochtones L’accord de « Kunming-Montréal » contient une nouvelle série de 23 objectifs. Le plus emblématique consiste à protéger au moins 30 % de la planète avant la fin de la décennie, alors que seuls 17 % des terres et 8 % des mers sont actuellement placés sous statut de protection. « Il s’agit du plus grand engagement en faveur de la conservation des océans et des terres de l’histoire », s’est réjoui Brian O’Donnell, le directeur de la coalition d’organisations Campaign for Nature. « Protéger 30 % de la planète et arrêter et inverser la perte de biodiversité, c’est notre 1,5 °C », assure aussi Steven Guilbeault, en référence à l’objectif climatique phare visant à limiter le réchauffement. Le ministre de l’environnement canadien, Steven Guilbeault, avec son homologue indien, Bhupender Yadav, lors de la COP15 à Montréal, Québec, le 18 décembre 2022. LARS HAGBERG / AFP L’idée du « 30 % en 2030 » était portée de longue date par la Coalition de la haute ambition pour la nature et les peuples, lancée en janvier 2021 et coprésidée par la France, le Costa Rica et le Royaume-Uni. Plus de 110 Etats en avaient rejoint les rangs et les derniers récalcitrants – dont la Chine, qui ne souhaitait pas placer sous protection un tiers de son espace maritime – se sont finalement rangés à une cible globale – et non nationale – de protection. Selon les scientifiques, les 30 % ne doivent toutefois être qu’une étape : à terme, c’est la moitié de la planète qu’il faudra protéger pour espérer sauvegarder l’essentiel de la biodiversité.

 Alors qu’un million de plantes et de végétaux sont menacés de disparition, le texte prévoit de mettre un terme aux extinctions d’espèces menacées par les activités humaines et de « réduire significativement » le risque de disparition. « Nous sommes déçus de voir qu’aucun chiffre précis pour 2030 n’est présent sur ce point », regrette toutefois Georgina Chandler, responsable des politiques internationales au sein de la Société royale britannique pour la protection des oiseaux. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Biodiversité : la COP15 au défi de protéger 30 % de la planète… et les 70 % restants Les 196 membres de la Convention sur la diversité biologique (CDB) – 195 Etats et l’Union européenne (UE) – ont en revanche reconnu le rôle majeur des peuples autochtones et des communautés locales en tant que « gardiens de la biodiversité », un point déterminant. Les peuples indigènes, qui représentent 6 % de la population mondiale, gouvernent et gèrent au moins 25 % de la surface terrestre, qui concentrent près de 80 % de la biodiversité. Le texte affirme que leur « consentement libre, préalable et éclairé » doit être respecté. « C’est un bon compromis et cela nous donne une base solide pour travailler avec les responsables politiques au niveau national », salue Jennifer Corpuz, la représentante du Forum international autochtone sur la biodiversité.

« L’action volontaire ne suffit pas » Outre les mesures de conservation et de protection, l’accord s’attaque également à d’autres causes directes de perte de biodiversité que sont l’agriculture et les pollutions. Fortement poussé par l’Union européenne, rejointe dans sa bataille par la Colombie, un objectif de réduction par deux du « risque global » lié aux pesticides et aux produits chimiques les plus dangereux a été entériné, malgré l’opposition d’un certain nombre de pays. Le texte prévoit aussi d’avancer, de façon floue, vers l’élimination totale de la pollution plastique. 

Les secteurs agricoles, forestiers et de la pêche devront être gérés de manière durable, notamment grâce au développement de l’agroécologie – la mention de ce terme étant considérée par la France comme une victoire. Les entreprises et les institutions financières, de leur côté, sont encouragées à évaluer et à rendre public l’impact de leurs activités sur la nature. Contrairement à ce que demandaient l’UE mais aussi des centaines d’entreprises, ces rapports ne seront pas obligatoires. « L’action volontaire ne suffit pas », avait pourtant plaidé Eva Zabey, la directrice exécutive de la coalition Business for Nature. « La feuille de route pour la transformation des secteurs productifs n’est ni datée ni chiffrée », regrette aussi Pierre Cannet, le directeur du plaidoyer du Fonds mondial pour la nature (WWF). Les Etats vont devoir s’atteler à combler le déficit de financement de la biodiversité, évalué à 700 milliards de dollars par an La question des ressources financières aura occupé une part considérable des discussions et fait l’objet de vives oppositions. Les Etats vont devoir s’atteler à combler le déficit de financement de la biodiversité, évalué à 700 milliards de dollars par an (environ 511 milliards d’euros).

Pour y parvenir, il faudra d’abord « éliminer, supprimer ou réformer » les subventions néfastes à la nature à hauteur de 500 milliards de dollars (365 milliards d’euros) par an. Un enjeu majeur, mais particulièrement complexe à mettre en œuvre, en raison de sa dimension sociale et politique. « L’agriculture est d’une importance primordiale pour les populations rurales, nous ne pouvons pas rediriger nos subventions qui sont critiques pour ce secteur », a par exemple expliqué le représentant de l’Inde. L’ensemble des acteurs publics, privés, nationaux et internationaux devront ensuite mettre la main à la poche pour mobiliser, d’ici à 2030, au moins 200 milliards de dollars par an, soit le double des montants actuels. L’UE, la France et l’Allemagne s’étaient engagées avant le début de la COP à doubler leurs financements en faveur de la biodiversité, et une poignée d’autres Etats ont annoncé une hausse de leurs engagements au cours des derniers jours. 

Un autre chiffre était particulièrement scruté : le montant des flux financiers vers les pays en développement devra doubler d’ici à 2025 et tripler d’ici à 2030, pour passer respectivement à au moins 20 milliards de dollars par an, puis à 30 milliards. Une coalition de pays du Sud, dont le Brésil, l’Argentine, l’Indonésie et de nombreux Etats africains, réclamaient bien plus – 100 milliards d’euros. Pour les pays développés, la hausse est toutefois importante. « S’il s’agit uniquement d’aide publique, il sera probablement très difficile d’atteindre un tel montant, mettait en garde dimanche le commissaire européen à l’environnement, Virginijus Sinkevicius. Mais, si d’autres pays s’engagent financièrement, comme la Chine ou d’autres pays arabes, alors cela peut être réaliste. » A propos de la création d’un nouveau mécanisme financier, autre sujet majeur de crispation entre le Nord et le Sud, une solution de compromis, portée par la Colombie, a été retenue. Un nouveau fonds devra être mis en place dès 2023 mais au sein d’une structure déjà existante, le Fonds pour l’environnement mondial (FEM). Il devra faire en sorte que les Etats les plus vulnérables aient accès de façon plus simple, plus rapide et plus prévisible aux ressources nécessaires pour mettre en application le nouveau cadre mondial.

Ces nouveaux engagements seront-ils réellement suivis d’effet ? Dans huit ans, les espèces auront-elles cessé de disparaître à un rythme inégalé, les écosystèmes d’approcher toujours plus dangereusement de points de bascule irréversibles ? Pour éviter que ne se répète le cuisant échec d’Aichi, les Etats se sont accordés sur un cadre de suivi qui doit leur permettre d’évaluer régulièrement les progrès et de réviser leur copie sans attendre la fin de la décennie. Des indicateurs communs ont commencé à être élaborés et un bilan mondial doit être réalisé à mi-parcours. Si le cadre en lui-même est qualifié de solide, il manque toutefois un mécanisme contraignant, ou au moins fortement incitatif, pour pousser les pays à réviser leurs plans s’ils ne sont pas sur la bonne trajectoire. « Le texte encadrant ce mécanisme est assez faible, regrette aussi Juliette Landry, chercheuse à l’Institut du développement durable et des relations internationales. Les mécanismes de suivi, en revanche, sont globalement assez positifs, même si certains éléments devront encore être précisés lors de la COP16 en Turquie, fin 2024. » A quelques jours de la fin de la COP, le ministre de l’environnement chinois, Huang Runqiu, avait appelé les dirigeants à ne pas décevoir la prochaine génération. « Nous serons tenus responsables de nos actes par la prochaine génération, cette COP doit être un tournant », avait-il lancé. « Ce sera à la société civile et à chacun d’entre nous de veiller à ce que les dirigeants respectent leurs promesses, ajoute Brian O’Donnell. C’est une responsabilité collective. »

Source: Le monde