Comme partout sur la planète, la biodiversité polaire souffre du changement climatique et des activités humaines. Hausse du trafic maritime et des croisières, acidification de l’océan, fonte des glaces, nouvelles espèces envahissantes, microbes et bactéries… Les pressions se multiplient sur la faune et la flore, déjà fragilisées par le réchauffement climatique. L’Arctique, par exemple, se réchauffe quatre fois plus vite que le reste de la planète. Yan Ropert-Coudert, directeur de l’Institut polaire français et anciennement du groupe d’experts «oiseaux et mammifères marins» au Comité scientifique de la recherche antarctique (SCAR) est spécialisé dans la compréhension de l’évolution des environnements polaires. À l’occasion de l’accord de la COP 15 Biodiversité à Montréal, il fait un état des lieux de la situation aux pôles.
Quelles sont les menaces pour la biodiversité polaire ?
Les pressions sont multiples et s’accumulent : chaque population est la cible de plusieurs agressions. Il y a la fonte et le recul des glaciers, l’augmentation du niveau de la mer, l’accumulation de polluants, l’arrivée d’espèces envahissantes, le trafic maritime et son lot de pollution sonore, plastique et des fuites d’hydrocarbures. La biodiversité océanique est mal connue, il y a encore beaucoup d’endroits inexplorés sous la glace. Le réchauffement climatique donne de nouvelles perspectives, de nouvelles inconnues. Par exemple, un morceau de glace fondu, c’est plus de lumière dans l’océan, une modification du zooplancton et donc de tout l’écosystème qui en dépend.
Il y a aussi l’arrivée de nouveaux pathogènes…
En effet. Les oiseaux sont particulièrement menacés par la grippe aviaire, qui remonte de plus en plus au nord. Avant, l’entrée des microbes dans ces milieux isolés était limitée, les milieux polaires n’étaient quasiment jamais en contact avec ces parasites. Maintenant, avec le réchauffement climatique, la grippe aviaire peut faire des massacres sur les colonies d’oiseaux de mer. De même, la fonte du pergélisol [ces terres continuellement glacées, nldr] relâche des microbes et d’autres espèces microscopiques. On s’en inquiète pour l’humain, mais ces pathogènes vont également toucher les animaux avec, potentiellement, de lourdes conséquences.
Des polluants ont été retrouvés sur des animaux polaires, comment est-ce possible ?
Les polluants organiques persistants s’accumulent aux pôles avec les précipitations. C’est ce qu’on appelle l’effet sauterelle. Pour faire simple, les courants atmosphériques, selon différentes températures, entraînent les molécules chimiques nocives jusqu’aux régions polaires. Même chose avec les pesticides : les pollinisateurs de l’Arctique subissent les mêmes dangers qu’ailleurs. Plus on remonte la chaîne alimentaire, plus il y a une accumulation de polluants, comme chez la mouette tridactyle, tout en haut de la chaîne.
L’Arctique connaît une acidification trois à quatre fois plus rapide que les autres océans… Quelles en sont les conséquences ?
Il y a des effets directs : les animaux les plus sensibles, les coquillages, auront des coquilles calcaires moins solides, moins épaisses à cause de l’eau plus acide. Ils seront plus sensibles aux maladies et à la prédation. Ensuite, les effets indirects : les animaux qui dépendent de ces coquillages vont trouver moins de nourriture. Bref, c’est toute la chaîne alimentaire qui sera bouleversée. Autre chose : le plumage des oiseaux marins pourra s’abîmer lorsqu’ils plongent. Les plumes agissent comme une couche d’isolation, comme une combinaison de plongée en quelque sorte. Si elles sont détériorées, elles seront moins imperméables, l’oiseau sera moins protégé du froid et de l’eau.
Quelles espèces sont les plus menacées ?
Quand on parle des animaux qui dépendent de la banquise, on pense aux ours polaires, aux phoques. Mais il y en a quantité d’autres, comme le guillemot à miroir, un oiseau qui se reproduit à la limite de la banquise. Il suit la glace lorsqu’elle régresse, il est même inféodé à cette limite pour survivre entre terre et glace. Avec le réchauffement, la glace remonte de plus en plus au nord, là où il y a moins de terres libres où cet oiseau peut se reproduire. Côté végétation, il y a un risque de disparition de certaines espèces végétales indigènes, avec les feux de toundra qui se multiplient.
Des espèces pourront s’adapter, d’autres pas. C’est très compliqué de savoir à l’avance quelles seront les gagnantes, et celles qui disparaîtront. Tout va s’enchaîner : on n’est qu’au début de l’effondrement et la suite ne sera qu’un château de cartes. On essaie d’imaginer des scénarios mais la complexité de la nature est telle que nos modélisations ne sont jamais parfaites. Pour comprendre ce qu’il se passe, il faut aller sur le terrain, suivre les espèces de près.
Les régions polaires sont des zones particulièrement fragiles, quel espoir pour la biodiversité ?
Ce sont des zones sensibles, bien sûr, car ce sont des écosystèmes qui dépendent de la glace et que les températures augmentent. On a mis ces régions à l’avant-poste du réchauffement climatique car les changements y sont très visibles. Bien que l’Antarctique et l’Arctique soient moteurs de ces changements, puisque la fonte des glaces a des conséquences mondiales, on sait que les changements ne sont pas exclusifs à ces zones.
Pour la biodiversité, il y a trois solutions : s’adapter, bouger ou périr. Or, la biodiversité polaire est très adaptée à son milieu. Pour faire très simple, plus on est adapté à son milieu, moins on est flexible. La faune et la flore polaires ont opéré des adaptations extrêmes au cours de leur évolution. Par exemple, le manchot a réussi à changer au point de ne plus pouvoir voler et ses ailes lui servent désormais de rames, plus adaptées au milieu aquatique. Mais il est très difficile de trouver une parade en cas de changement brusque, comme c’est le cas avec le réchauffement climatique actuel.
Des solutions existent-elles ?
Tant qu’on ne règle pas le problème du réchauffement climatique, je ne vois pas comment on pourra régler le reste. Il y a des choses à faire au niveau mondial, comme légiférer sur le plastique, mettre en place des aires marines protégées pour diminuer les pressions qui s’ajoutent à la hausse des températures. La pêche ainsi que l’exploitation minière et d’hydrocarbures doivent être mieux régulées. Il faut de grands textes mondiaux, comme celui de la COP 15 biodiversité, mais il faut nécessairement que ces accords trouvent un écho au niveau régional. Sinon, ça ne sera que de belles déclarations.
Source: Libération