L’Arctique, véritable laboratoire en été
29 août 2022
29 août 2022
Le pergélisol de l’Arctique est l’un des points chauds du réchauffement de la planète. Ces sols gelés en permanence abritent beaucoup de matière organique qui, en dégelant, se décompose et libère du méthane, un gaz à effet de serre particulièrement puissant. Mais le phénomène est contrebalancé par un changement des populations microbiennes en faveur d’espèces se nourrissant de méthane.
« On surveille les émissions gazeuses des sols sur un réseau de 2000 km allant de la Saskatchewan à l’Arctique », explique Oliver Sonnentag, de l’Université de Montréal, joint à Yellowknife. « On voit plus de méthane dans le Sud, mais dans le Nord, c’est plus limité à cause des changements bactériens. » Les microbes se nourrissant de méthane relâchent du CO2, un phénomène contrebalancé par la captation du CO2 atmosphérique par les plantes, qui poussent davantage à cause des étés plus longs et chauds. Le projet de M. Sonnentag prévoit la formation d’Autochtones qui font l’entretien des stations de captage et en récoltent les données tous les mois, pendant l’hiver.
L’énergie solaire est mal adaptée pour l’Arctique, parce que les jours sont très courts l’hiver. Les éoliennes souffrent du gel, tout comme les hydroliennes (alimentées par le courant des fleuves et rivières). La filiale canadienne d’une firme américaine d’hydroliennes veut remédier à ce problème.
« Le potentiel hydrocinétique du Canada est très grand », explique Alexandre Paris, qui dirige ORPC Canada. « Au Québec, beaucoup de gros fournisseurs d’Hydro-Québec pourraient fabriquer des hydroliennes. Nous testons une hydrolienne en Alaska depuis trois ans, et ça fonctionne bien. Nous faisons aussi, cet été, des tests dans un centre de recherche fédéral à Ottawa et nous récoltons des données hydrologiques sur des sites au Nunavik. » Le défi des hydroliennes dans l’Arctique est le « frasil », un état entre l’eau et la glace qui peut mener à la formation de blocs de glace sur les structures.
À l’Université McGill, Lyle White fait la comparaison entre les microbes de l’Arctique et ceux qui pourraient se trouver sur Mars ou sur Europe, la lune de Jupiter qui a un océan sous une chape de glace.
« Nous avons trouvé un microbe détenteur du record de température de reproduction », souligne M. White, qui fait ses travaux à la station de recherche du Haut-Arctique de McGill, dans l’île Axel Heiberg, au Nunavut.
« Il peut se reproduire à -15 degrés. » Plus récemment, M. White a décrit, avec des collègues, des bactéries capables de se nourrir de méthane dans la source thermale de Lost Hammer, dans l’île Axel Heiberg. Ces bactéries pourraient entrer en action s’il y a des déversements de pétrole en Arctique, en raison de l’exploitation de gisements ou du trafic maritime.
Dans les années 1980, l’une des plus importantes populations de grandes oies des neiges au monde, dans l’île Bylot de la mer de Baffin, a soudainement explosé. Le phénomène a été observé parce qu’une station de recherche s’y trouvait depuis les années 1950. « On a décidé de regarder l’effet sur l’écosystème de l’île, ce qui fait qu’on a des données détaillées sur plus de 30 ans », explique Pierre Legagneux, de l’Université Laval. « La population d’oies s’est stabilisée, mais on ne voit pas d’impact sur la végétation. On essaie de comprendre ce qui se passe. »
Il s’agit de données précieuses pour comprendre les impacts des changements climatiques. « Ailleurs, on a observé que les populations de lemmings souffraient de l’augmentation de la pluie l’hiver, qui durcit la surface de la neige. Nous n’avons pas vu ça pour le moment, mais on surveille encore si ça se produit aussi dans l’île Bylot. »
L’Arctique n’a peut-être pas de grandes forêts, mais ses mers ont des « forêts » de kelp, une algue brune où de nombreux poissons et animaux se cachent et trouvent de la nourriture.
Philippe Archambault, de l’Université Laval, est un spécialiste du kelp arctique, qui devrait d’ici 2050 devenir plus fourni dans le sud de la baie d’Hudson et sur la côte du Labrador, entre autres. Son équipe fait notamment des activités de formation sur l’importance du kelp pour les communautés inuites.
Une étudiante au doctorat de McGill, Julia Baak, passe quant à elle son été en Islande, où elle attache des capteurs de géolocalisation sur les pattes de mouettes tridactyles, afin de suivre leurs migrations annuelles.