Pêche maritime : le leadership marocain et les défis à relever [Par Charaf Louhmadi]

 

Selon la Food and Agriculture Organization, le Royaume occupe le premier rang aux niveaux arabe et africain en matière de pêche de poissons et de fruits de mer, et la 17ème place à l’échelle mondiale en termes de variétés et de richesses halieutiques. Par ailleurs, le Maroc a été élu le 6 juillet dernier, membre du Conseil d’administration de la FAO. Aussi a-t-il occupé, en 2022, la première place mondiale en termes d’exportations de sardine en conserve valorisées à 5,9 milliards de dirhams. Ces chiffres confirment le poids prépondérant du Royaume à l’échelle mondiale s’agissant de ce secteur stratégique. Hormis son rôle dans la sécurité alimentaire marocaine, l’halieutique contribue à la croissance économique du pays, en créant plusieurs centaines de milliers d’emplois directs et indirects (700 000 en 2019), en réduisant le déficit économique. Il génère plusieurs dizaines de milliards de dirhams de devises étrangères. En outre, le secteur de la pêche, un des plus importants du pays en termes d’activité, permet d’accélérer les échanges extérieurs et représente une part conséquente des exportations agroalimentaires (45% en 2019). Cela étant, le Maroc dispose d’une cartographie structurée d’acteurs centraux intervenant dans ce secteur, laquelle comprend :

-Le ministère de l’Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural et des Eaux et Forêts, avec un département dédié à la pêche et des délégations des pêches maritimes

-L’Institut national de recherche halieutique

-L’Agence nationale pour le développement de l’aquaculture

-L’Office national des pêches

Plus d’une dizaine d’établissements de formation maritime d’instances consultatives :

-Les chambres des pêches maritimes

-Le Conseil supérieur pour la sauvegarde et l’exploitation du patrimoine halieutique

D’organes qui agissent de manière indirecte :

-La Direction de la Marine marchande (organe sous la tutelle du ministère de l’Equipement du Transport et de la Logistique)

-Les Forces armées royales (FAR)

-L’Agence nationale des ports

-L’Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSA)

Le budget global dont dispose le département de la pêche maritime est passé d’environ 550 millions de dirhams en 2011 à près 800 millions de dirhams en 2020, soit une hausse de 45%. En même temps, le budget d’investissement, fraction du budget général, a stagné entre 2011 et 2020 se situant autour d’environ 300 millions de dirhams. Les investissements couvrent essentiellement le développement du secteur de la pêche et de l’aquaculture.

Exportations marocaines : vers quelles destinations ?

La pêche maritime pèse significativement dans la balance commerciale du pays. Le solde commercial est largement excédentaire malgré une tendance haussière des importations (essentiellement des crevettes et du saumon venus de Norvège, des Pays-Bas et de l’Espagne). En 2019, les exportations sont estimées à 22 milliards de dirhams et en 2021 à 24,2 milliards de dirhams, soit plus de 2,5 milliards de dollars. En 2022, l’exportation des produits maritimes a généré des revenus records : 28 milliards de dirhams, une volumétrie de 883 000 tonnes. Les exportations ont augmenté de 16% entre 2021 et 2022, principalement en raison de la hausse des volumes de vente des produits suivants :

-Sardine congelée (+43%, soit une hausse de 67 000 tonnes)

-Conserve de sardine (+9% soit une hausse de 12 000 tonnes)

-Huile et farine de poisson (+36% soit une hausse de 52 000 tonnes)

L’augmentation en valeur des exportations s’explique également par la hausse des prix moyens des produits ci-dessous :

+23% pour la conserve de sardine

+20% pour la sardine congelée

+42% pour la farine et l’huile de poisson

Le Maroc se positionne en taur leader mondial dans l’exportation des sardines (congelées et en conserve), du poulpe et des semi-conserves d’anchois. Sue un plan plus large, sont exportées différentes gammes de produits maritimes, qui peuvent être répertoriées sous trois catégories :

-Les crustacés et mollusques congelés

-Les poissons frais, salés et séchés

-Les préparations et conserves de poissons

Pour les crustacés et mollusques congelés, les exportations ciblaient en 2019 majoritairement l’Espagne avec plus de 60%, viennent ensuite l’Italie et le Japon avec des exportations plus diffuses. Concernant les poissons frais, salés et séchés, l’Espagne est le premier importateur du Royaume en 2019 avec 25% de part de marché, viennent ensuite le Brésil (20%) et la Côte d’Ivoire (10%). Les exportations des préparations et conserves de poissons étaient destinées en 2019 de manière relativement diffuse aux marchés français (en première position avec 15% de part de marché), espagnol, italien, hollandais, américain et allemand. En 2022 et selon le Morocco Foodex, le marché des exportations maritimes est segmenté comme suit :

-L’Union européenne qui capte 58% du marché global (Avec l’Espagne en tête (33%), l’Italie (10%) et la France (4%) )

-L’Afrique (15%)

-Le continent américain (9%)

-L’Europe hors UE (9%)

-L’Asie (6,5%) (portée par le Japon à hauteur de 3% des exportations totales)

Le Maroc a donc opté pour une diversification de ses partenaires commerciaux aux quatre coins du globe, avec une concentration historique des exportations en Europe, et un intérêt croissant (et également conséquent de la crise sanitaire) pour le continent africain.

Maroc-Japon : un partenariat renforcé

Le Maroc vient de signer en juin dernier un accord avec le pays du Soleil levant, portant sur le développement de l’aquaculture au niveau national. Le projet qui s’étale sur une durée de 3 années, a pour principal objectif d’accroitre l’activité aquacole au niveau local en ciblant les villages côtiers. Le partenariat nippon inclut également une dimension de recherche scientifique, de formation et d’accompagnement, avec la participation des organismes suivants :

-L’Institut de technologie de pêche maritime de Larache

-L’Agence Nationale du développement de l’aquaculture

-L’Institut national de Recherche halieutique

A noter qu’en matière de pêche maritime, les accords nippo-marocains datent de l’année 1985 avec l’octroi initial de licences au Japon permettant la pêche de la bonite et du thon dans les eaux marocaines. 

UE-Maroc : non-renouvellement de l’accord de pêche

L’accord entre le Maroc et l’Union européenne a expiré en juillet 2023 sans être renouvelé et ce, à cause d’une procédure en cours et dans l’attente d’une décision finale de la Cour de Justice de l’Union européenne. L’accord expiré contenait une compensation financière de l’UE (208 millions d’euros sur 4 ans), en contrepartie d’octroi de licences de pêche aux bateaux européens (quelque 138 licences dont 92 octroyées à l’Espagne). La suspension de cet accord, sur la base de conflit politique et en lien avec l’intégrité territoriale du Royaume et de ses eaux, est pénalisante pour les pêcheurs espagnols. Des aides d’un montant global de 302 000 euros, ont été mises en place par l’UE pour couvrir les pertes associées. Elles concernent des bateaux ayant pêché au moins 20 jours entre 2021 et 2023 dans les eaux marocaines. Rabat, qui adopte depuis des décennies une politique de diversification de ses partenaires dans le secteur de la pêche, compte la renforcer son partenariat, notamment avec le Japon, la Chine et la Russie.

Des défis stratégiques à relever

Le Royaume dispose d’un grand potentiel de richesses halieutiques considérables en particulier au Sud du Maroc où les eaux sont connues pour être particulièrement poissonneuses. Cependant, des défis majeurs sont à relever, à savoir :

-Lutter contre la pêche clandestine qui prospère et nuit aux recettes de l’Etat

-Accélérer le développement des partenariats à l’échelle mondiale (notamment avec les pays africains, l’Asie et l’Amérique latine), dans un contexte international marqué par une forte demande sur ces produits alimentaires.

-Catalyser le secteur de l’aquaculture

-Renforcer les outils technologiques sur ce secteur et ce, en renforçant les investissements dans les nouvelles technologies de pêche maritime et d’aquaculture.

-Explorer le potentiel de l’intelligence artificielle sur ce secteur

-Combattre les pratiques industrielles qui polluent les océans

Charaf Louhmadi est consultant, chroniqueur & auteur d’ouvrages.

Source: Challenge.ma