Les enjeux maritimes à l’ère de l’interdépendance complexe

 

Le Maroc a lancé une initiative visant à mettre en place un cadre institutionnel ouvert aux 23 pays africains riverains de l’Atlantique dans le but de promouvoir la sécurité, la stabilité et une prospérité partagée.

Le Policy Center for the New South a organisé une importante conférence sur « les défis stratégiques des espaces maritimes en Afrique Atlantique » le 16 avril 2024. Des universitaires, des hauts fonctionnaires et des invités de tous horizons ont saisi cette opportunité pour partager leurs réflexions et leur expertise sur un sujet aussi difficile. En outre, les participants et les invités ont beaucoup appris et ont ouvert la voie à davantage de débats sur des questions stratégiques que le PCNS maîtrise bien d’un point de vue académique. 

J’aimerais partager mes réflexions sur ce sujet important, certaines d’entre elles ont été exprimées en privé ou publiées au cours des deux dernières années. Pourtant, rien ne sort de nulle part. 

Pour faire court, je dirais qu’au cours des vingt dernières années au moins le Maroc a œuvré pour faire de la côte atlantique africaine une zone de coopération et de paix. L’idée de créer une organisation regroupant les pays africains riverains de l’Atlantique, qui remonte à 2009, s’ancre dans cette vision.

A cet égard, le Maroc a lancé une initiative visant à mettre en place un cadre institutionnel ouvert aux vingt-trois pays africains riverains de l’Atlantique dans le but de promouvoir la sécurité, la stabilité et une prospérité partagée.

De même, en septembre 2023, en marge de la 78ème session de l’Assemblée générale des Nations Unies, les États-Unis et le Maroc ont annoncé la création du « Partenariat pour la coopération atlantique ». Cette forme de partenariat devrait couvrir pour la première fois l’Atlantique Nord et Sud.

 

 

Le 6 novembre 2023, le Roi Mohammed VI a réitéré l’engagement du Maroc à réhabiliter son littoral national afin de « transformer la région atlantique en un espace d’interaction et d’intégration économique et lui assurer de jouer son rôle aux niveaux continental et international ». 

La vision du Maroc est perçue dans ce qu’on appelle un « régionalisme ouvert ». Les ports, les autoroutes, les chemins de fer et les pipelines font partie des projets que les initiateurs souhaitent mettre en œuvre.

 

Le Maroc : Une Politique Africaine Ferme Et Flexible 

 

L’ambition et la perspective perspicace sont les moteurs de projets aussi attrayants. À cet égard, outre le pipeline, un important projet routier est sur la table. Le Maroc a presque terminé l’autoroute Tiznit-Laayoune, qui ira très au sud pour rejoindre les frontières mauritaniennes.

Dans la même perspective, le Maroc lance une initiative internationale visant à améliorer l’accès à l’océan Atlantique pour les pays du Sahel. Le Maroc mettra ses infrastructures routières, portuaires et ferroviaires à la disposition de ces pays. Le 23 décembre 2023, une réunion ministérielle de coordination a eu lieu à Marrakech avec la participation des ministres des Affaires étrangères du Burkina Faso, du Tchad, du Mali et du Niger.

On assiste à deux morceaux parallèles joués ensemble à distance, dans le but d’aboutir à un seul morceau. La première piste est le pipeline Afrique-Atlantique. La deuxième voie consiste à aider les pays africains enclavés à accéder à l’ Atlantique tout en obtenant leur part du projet de gazoduc.

 

 

Et encore une fois, rien n’arrive à l’improviste. Ce que fait le Maroc depuis trente ans est ancré dans sa politique africaine. En effet, la politique africaine marocaine a évolué au fil des années, tirant les leçons de ses succès et de ses échecs.

Le Maroc doit se battre sur trois fronts, pour ainsi dire. Premièrement, la politique constante des anciennes puissances coloniales visant à perpétuer la structure féodale des relations internationales. L’Espagne et la France ont habilement mis en œuvre cette stratégie depuis quatre décennies. Cette stratégie a été mise en œuvre avec la coopération et la complicité de certains pays, tant en Europe qu’en Afrique du Nord.

Deuxièmement, la quête d’identité à travers une idéologie importée dans le but d’imaginer des faits historiques ou de construire une nation à partir de zéro. Des pays comme la Libye et l’Algérie ont joué cette carte avec une telle intensité qu’ils ont plongé la région dans un état permanent d’insécurité et d’instabilité. 

Troisièmement, le processus de reconstruction nationale combine l’aspiration à la modernité et des réformes en douceur visant à moderniser les structures institutionnelles vieilles de plusieurs siècles. C’est la politique sur laquelle le Maroc travaille depuis son indépendance en 1956.

On peut résumer la politique africaine du Maroc en quatre processus qui se sont déroulés en tenant compte du contexte et des contraintes objectives. Premièrement, une politique basée sur la nécessité de récupérer les territoires perdus au profit de la France et de l’Espagne au cours des premières années qui ont suivi l’indépendance.

 

 

 Deuxièmement, un signal d’alarme au milieu des années 1970 car, consciente, elle perdait du terrain. Si vous voulez tout prendre, vous perdez tout. 

Troisièmement, élaborer le processus sur l’échiquier politique interne pour éviter que l’opposition politique ne se retrouve du côté des adversaires, voire des ennemis, du Maroc. 

Quatrièmement, un modèle de travail collectif par la participation englobant les acteurs des secteurs public et privé.

 

Défis et temps difficiles à venir

 

Les projets mentionnés ci-dessus sont très ambitieux. Pourtant, les pays africains concernés doivent surmonter de nombreux obstacles.

Premièrement, les menaces à la sécurité. La région sahélo-saharienne constitue un refuge pour les réseaux du crime organisé. Ces réseaux comprennent des organisations terroristes travaillant main dans la main avec des mouvements distincts. Certains ne cachent pas leur objectif de prendre le pouvoir. 

 

 

La coopération internationale pour mettre fin au chaos est la bande sahélo-saharienne la plus nécessaire. Le Maroc a appelé à des efforts combinés au niveau régional pour faire face aux multiples menaces ancrées dans le terrorisme et l’extrémisme politique et religieux. Pourtant, jusqu’à présent, certains pays voisins ont décidé de s’y opposer. 

Les experts des affaires d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne sont conscients que ces pays favorisent, directement ou indirectement, la collision entre les mouvements séparatistes, les réseaux du crime organisé et les services de renseignement.

Deuxièmement, l’échec de la création de complexes de sécurité régionaux viables. Des perceptions dichotomiques de l’insécurité et une volonté biaisée de jouer de nouvelles cartes politiques et diplomatiques dans la région et dans un espace plus large, y compris la Méditerranée et l’Afrique subsaharienne, ont entravé l’ensemble du processus.  

En outre, les acteurs cherchant à établir de tels complexes de sécurité régionaux appartiennent à des espaces politiques et culturels différents. Ils sont chargés de rivalités historiques et de survivances psychologiques non résolues.

Les organisations régionales offrent une chance de traiter les questions politiques et de sécurité, mais elles ne peuvent en résoudre aucune lorsque les complexes de sécurité sont conçus pour atteindre des objectifs différents, qui ne sont généralement pas ceux d’une paix totale. Le problème des complexes de sécurité est que l’équilibre des pouvoirs change ainsi que la hiérarchie des acteurs.

 

 

Troisièmement, la dimension religieuse est présentée à la fois par l’islam soufi modéré et par diverses versions de l’islam radical. A cet égard, les confréries méritent d’être mentionnées. Les confréries combinaient prosélytisme, commerce et illumination culturelle.

 Le rôle des confréries (Zawiyas et Turuq ; chanter : Zawiya ou Tariqa) ​​est un indice très intéressant qui montre que les relations stables entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne n’ont jamais été rompues, malgré la barrière du Sahara et la présence coloniale au XIXe et 20èmes siècles.

Ces acteurs importants pourraient être utilisés par certains pays de la région et en dehors de la région pour obtenir des scores géopolitiques. Bien que rien ne prouve que les confréries authentiquement établies aient des liens avec les réseaux du crime organisé dans la région sahélo-saharienne, elles pourraient être contraintes de joindre leurs efforts à ceux des réseaux du crime organisé pour mettre en péril la stabilité en Afrique du Nord et en Afrique subsaharienne. 

Ils pourraient être plus enclins à semer le chaos parce qu’ils perdent du terrain et sont convaincus que l’initiative du Maroc en faveur des pays africains enclavés est sérieuse et a une chance d’atteindre les objectifs espérés par ses partisans.

 

Changement de paradigmes

 

Premièrement, l’idée d’un partenariat dans le cadre d’une interdépendance positive mérite d’être mentionnée. Cela signifie que les acteurs impliqués s’efforcent de travailler de bonne foi pour obtenir des résultats à tous les niveaux d’intérêt mutuel. Ils ne se concentrent pas sur le paradigme hiérarchique pour déterminer ce qui est nécessaire pour progresser. Par conséquent, aucune dépendance en coulisse n’est à craindre ou à observer. Bien entendu, cela n’exclut pas que des problèmes surviennent, mais les voies et moyens permettant de les résoudre sont clairement définis et mis en œuvre.

 

 

Deuxièmement, l’Afrique ne peut plus être un refuge pour les personnels de sécurité à la retraite ou les personnalités politiques en disgrâce à la recherche d’une nouvelle carrière dans une start-up. Cela signifie que les décideurs et les planificateurs politiques africains sont suffisamment mûrs pour ne pas demander à des experts vieillissants et à la retraite de leur faire la leçon sur ce qu’ils doivent faire pour répondre aux attentes de leur population. 

Non pas que ces experts soient incompétents ou manquent de vision, mais il a été affirmé au fil des années qu’ils ne peuvent pas être impartiaux ou réticents à être de mèche avec les gouvernements auxquels ils appartiennent.

Troisièmement, au cours des vingt dernières années, une nouvelle vague de nouveaux dirigeants africains en quête de liberté tant au niveau interne qu’externe a pris les commandes de nombreux pays africains. Ils sont bien formés et correspondent à la description de poste. S’il arrive que les périodes de transition politique durent plus longtemps qu’elles ne le devraient, c’est parce que la nécessité de combler le temps perdu est illimitée. Pourtant, l’espoir est permis car les objectifs sont fixés.

Quatrièmement, la nécessité d’évoluer est visible et inévitable. C’est pourquoi les réformes politiques cosmétiques introduites n’ont pas répondu aux attentes de la population. Ils doivent avancer d’un pas de plus et continuer à le faire selon un horaire régulier.

Dans le cas contraire, des coups d’État militaires interviendront et provoqueront le chaos. Les coups d’État militaires n’ont jamais résolu les problèmes politiques. Reste à organiser des élections relativement libres. C’est assez juste, à condition qu’elles constituent une étape ouvrant la voie à de véritables élections qui reflètent l’ambiance de la société.

 

 

L’Initiative atlantique, le pipeline Afrique-Atlantique et l’initiative visant à donner accès à l’Atlantique aux pays africains enclavés doivent se heurter à des obstacles encore plus difficiles. Ils doivent évoluer avec la mise en œuvre d’autres projets visant à réaliser une intégration africaine progressive. 

L’exemple le plus marquant serait celui des zones de libre-échange (ZLE), nées d’une interdépendance complexe. Toutefois, les pays concernés doivent surmonter des intérêts contradictoires et des orientations géopolitiques dichotomiques. Ils doivent trouver des moyens de réduire les sentiments de méfiance et de méfiance. Cela semble être un vœu pieux pour le moment. 

Même si l’Accord de libre-échange continental africain (ZLECAf), établi en 2018, est susceptible de créer un cadre durable pour le régionalisme développemental, il a besoin non seulement de temps, mais aussi d’une volonté politique sérieuse et de l’adhésion des milieux d’affaires.

Pour résumer, quelques conclusions : Premièrement, nous assistons à l’émergence de processus complexes d’interdépendance plutôt que de dépendance totale ou d’interdépendance unilatérale.

 Deuxièmement, un processus de partenariat et non plus d’asymétrie est en train de changer toute la perception des relations bilatérales entre acteurs étatiques. Ce sont différents projets mis sur la table. Si, à un moment donné, les gouvernements africains semblent sceptiques quant aux véritables intentions de leur partenaire, ils n’ont d’autre choix que de tenter le coup.

 

 

Troisièmement, les complexes sécuritaires en cours reposent sur une perception flexible de l’équilibre des pouvoirs et non plus sur l’ascendant hégémonique d’anciens et de nouveaux acteurs majeurs.

Quatrièmement, l’accent est mis sur une nouvelle forme d’indépendance complexe, plus prononcée que dans le sens où l’entendaient Robert Keohane et Josef Nye en 1976.

Cinquièmement, la délimitation des espaces maritimes au sens entendu dans la Convention sur le droit de la mer est un combat quotidien. Inutile de mentionner par exemple les récits sur le Maroc et l’Espagne sur la prétendue variété de questions stratégiques ou de terres rares qu’ils prétendent être incluses dans leur espace maritime territorial. 

En outre, quelques conflits juridiques et diplomatiques bilatéraux et internationaux sont enregistrés au hasard. Les parties à la Convention sur le droit de la mer utilisent les ambiguïtés de certains articles pour mettre en évidence ou écarter les arguments des uns et des autres. Mais jusqu’à présent, la négociation de bonne foi semble être le seul moyen de résoudre les questions en suspens.

 Sixièmement, la guerre pour le contrôle des ports maritimes et la lutte contre les pirates mettent en évidence la vulnérabilité des routes maritimes traditionnelles. 

 

 

Septièmement, la résolution des conflits interétatiques endémiques par le biais des vecteurs économiques et commerciaux est la plus nécessaire. C’est toute l’importance qu’il faut accorder à la création de zones de libre-échange.

Huitièmement, la neutralisation des acteurs non étatiques, qu’ils soient armés ou non, relativement autonomes, ou à la merci des services de renseignement des pays de la région ou de mèche avec des sociétés de sécurité privées. 

Les experts en matière de sécurité n’excluent pas que des mouvements par procuration puissent être envoyés le long des côtes atlantiques pour faire échouer non seulement l’initiative marocaine mais aussi toutes les initiatives visant à résoudre les questions juridiques maritimes en suspens. 

Neuvièmement, une complémentarité et non une concurrence entre les ports africains de l’Atlantique : Abidjan, Dakar, Apapa-Lagos, Walvis Bay-Namibie, Douala-Cameroun, Luanda-Angola, Dakhla, Nouadhibou-Mauritanie, Durban-Afrique du Sud, Accra-Ghana, etc. Les pays africains n’ont pas à s’inquiéter. 

Dixièmement, la création de zones de prospérité partagée sur les côtes atlantiques est possible. Toutefois, cela dépendra des engagements sérieux de certains pays. En ce qui concerne les pays enclavés, cela signifie que le Sénégal et la Mauritanie, pour n’en citer que quelques-uns, doivent s’engager pleinement.

 

 

Onzièmement, la stabilité et des transitions politiques fluides sont très importantes. Il va sans dire que la fragilité des institutions politiques et l’ingérence étrangère pourraient avoir un impact sur l’ensemble du processus. Cela dépend du degré d’implication des intérêts étrangers et de la capacité des gouvernements locaux à leur résister et à les vaincre.

Douze, il est important de souligner que les anciennes puissances coloniales n’ont pas renoncé à leur désir de revenir dans la région plus fortes et plus agressives. Ils ne peuvent accepter d’être remplacés par de nouveaux pouvoirs, même si ces derniers ont des perceptions différentes sur la manière de faire des affaires sans tout perdre. Ils peuvent recourir à des acteurs régionaux qui ont travaillé de mèche avec eux au cours des quarante dernières années.

Treizièmement, et plus inquiétant encore, serait la transformation du détroit de Gibraltar en une zone à ciel ouvert propice aux conflits illimités et même aux opérations dangereuses. Les différents incidents enregistrés dans le canal de Suez et le bras de fer en cours entre les pays du Golfe, l’Iran, la Chine et l’Inde, sur le contrôle (et l’utilisation pacifique) de Bab El Mandab et du détroit d’Ormuz susciteront à terme davantage d’intérêt et de tensions sur le terrain. Côte atlantique africaine.

Quatorzièmement, compte tenu des dividendes attendus de l’ Initiative atlantique , du pipeline Afrique-Atlantique et de l’initiative en faveur des pays africains enclavés, les contraintes financières ne constituent pas un problème majeur, à condition que les acteurs impliqués comprennent le changement important dans les contextes stratégiques et géopolitiques régionaux et internationaux. échiquiers.

Quinzièmement, le nouveau changement géopolitique enflamme les experts régionaux des questions maritimes et écologiques. Ils empêchent que l’océan Atlantique ne devienne un cimetière pour la navigation internationale. C’est vrai, mais ce n’est pas une nouvelle preuve. Des efforts supplémentaires sont nécessaires pour relever les différents défis à venir. Pour l’instant, l’Initiative atlantique, le Pipeline Afrique-Atlantique et l’initiative en faveur des pays africains enclavés méritent d’être prises en compte et mises en œuvre quoi qu’il arrive. 

 

 

Le Policy Center for the New South entend poursuivre le débat sur les défis économiques et sécuritaires liés aux initiatives atlantiques du Maroc. Cette fois, le débat sera élargi à d’autres experts et décideurs africains. Le débat confirmera certainement que le système décisionnel au Maroc est ouvert aux idées judicieuses et fait de la participation, du partage et de la mise en œuvre d’un de ses leitmotivs. Une belle aventure en perspective.

Source: moroccoworldnews