Le réchauffement des océans entraîne un blanchissement massif des coraux dans le monde

L’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique a confirmé qu’« un nouvel événement mondial de blanchissement des coraux » est en cours depuis février 2023, le deuxième épisode en moins de dix ans.

Les conséquences de 2023, année la plus chaude mesurée depuis le début des relevés, sont déjà visibles sur les coraux, une des richesses de la nature les plus menacées par le changement climatique d’origine humaine. Même s’il est impossible encore de mesurer la mortalité réelle dans les colonies de polypes, le processus étant en cours, les vagues de chaleur marines ont fait entrer de nombreux récifs de la planète dans une zone létale. Lundi 15 avril, l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (NOAA) a ainsi confirmé que la Terre « connaît un nouvel événement mondial de blanchissement des coraux ».

Selon les scientifiques de l’agence américaine qui ont compilé les observations venues de nombreuses régions et les relevés des températures de surface des mers (Sea Surface Temperature, SST) entre février 2023 et avril 2024, cet épisode, le quatrième depuis le début des relevés en 1985, le deuxième en moins de dix ans, est « important ». « Il est encore prématuré pour évaluer les impacts, mais cela semble très puissant, d’autant plus que cela survient très vite après celui de 2016 alors que les coraux ont besoin de plusieurs années, parfois dix ans pour se régénérer quand ils n’en meurent pas », estime Jean-Pierre Gattuso, océanographe (CNRS) au Laboratoire d’océanographie de Villefranche (Alpes-Maritimes). En 2018, une étude publiée dans la revue Nature avait révélé que la chaleur de 2016 avait provoqué la mort de 30 % des coraux de la grande barrière australienne.

Cette fois-ci encore, la globalité du phénomène est impressionnante. Selon la NOAA, il touche la Floride aux Etats-Unis, la mer des Caraïbes, le Brésil, le Pacifique oriental le long du Mexique, de vastes zones du Pacifique Sud (notamment la Polynésie française), la mer Rouge, le golfe Persique et le golfe d’Aden, les Seychelles, Mayotte, la côte ouest de l’Indonésie mais aussi la Grande Barrière de corail. Le 8 mars, les autorités australiennes avaient déjà annoncé que, pour la septième fois en vingt-six ans, un « blanchissement massif » frappait la plus grande structure vivante au monde. Le cinquième épisode en huit ans dans cette zone.

« A mesure que les océans du monde continuent de se réchauffer, le blanchissement des coraux devient de plus en plus fréquent et grave, alerte Derek Manzello, coordinateur du recueil de ces données, dans la publication de la NOAA. Lorsque ces événements sont intenses et se prolongent, ils peuvent provoquer la mortalité des coraux. » « Graves conséquences » Le blanchissement est une réaction des coraux à différentes sources de stress. Face à la chaleur, au froid, à l’acidification ou à certaines maladies qui se multiplient à cause des pollutions marines, les polypes peuvent expulser les algues avec lesquelles ils vivent en symbiose, ce qui leur fait perdre leur couleur. Si l’épisode ne dure pas trop longtemps et ne se répète pas trop souvent, ils peuvent survivre. Mais l’intensité du réchauffement climatique laisse de moins en moins de répit aux colonies, lieu de vie de 25 % de la biodiversité sous-marine. « Le corail est une sentinelle du milieu marin, résume Karina von Schuckmann, océanographe au sein de l’organisation Mercator Ocean International. Sa disparition a de graves conséquences pour tout un écosystème autour de lui, mais aussi pour les sociétés humaines, notamment les populations locales qui vivent de la pêche et sont protégées par cette barrière naturelle. »

Pendant plusieurs mois, les températures de surface des océans ont battu tous les records. Le 13 avril, la moyenne mondiale des SST atteignait 21,1 degrés, une valeur au-dessus de la courbe de 2023, plus de 0,5 degré au-dessus de la moyenne des températures enregistrées entre 1982 et 2010. Endroit particulièrement scruté, l’Atlantique Nord a ainsi connu des SST exceptionnelles depuis juin 2023. Le 31 août, la SST a atteint un record de 25,19 degrés, 0,91 degré au-dessus de la moyenne. L’océan Indien et une partie du Pacifique ont connu les mêmes anomalies. Newsletter « Chaleur humaine » Comment faire face au défi climatique ? Chaque semaine, nos meilleurs articles sur le sujet S’inscrire « Ces moyennes stupéfiantes influencent fortement les canicules marines en les rendant plus intenses et plus probables, poursuit M. Gattuso, inquiet de l’irréversibilité du phénomène.

Quand le corail meurt, il ne reste pas blanc très rapidement, il est rapidement colonisé par des microalgues et il devient excessivement difficile à d’autres coraux de se réinstaller. » Le 24 juillet 2023, au large des côtes de Floride, une température de 38,3 degrés a même été relevée lors d’une canicule marine « sans précédent, qui a commencé plus tôt, a duré plus longtemps et a été plus grave que n’importe quel événement précédent dans cette région », selon la NOAA. Responsabilité du réchauffement d’origine humaine Depuis plus d’un an, El Niño, l’oscillation australe, une variabilité naturelle qui touche le Pacifique, a certes eu une influence sur la montée de ces températures (les autres épisodes de blanchissement relevés par la NOAA avaient tous eu lieu lors des années El Niño en 1998, 2010, 2016). Et si les scientifiques tentent d’évaluer l’impact de plusieurs causes naturelles ou conjoncturelles (des blocages atmosphériques, le moindre rejet d’aérosols, etc.), ils pointent surtout la responsabilité du réchauffement d’origine humaine qui a un impact très fort.

Selon le sixième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), « les vagues de chaleur marines ont presque doublé en fréquence depuis les années 1980 et l’influence humaine a très probablement contribué à la plupart d’entre elles depuis au moins 2006 ». Ce rapport d’évaluation note aussi qu’« avec un réchauffement climatique accru, la fréquence des vagues de chaleur marines continuera d’augmenter, en particulier dans les océans tropicaux ». Cette photo aérienne prise le 5 avril 2024 montre un atoll corallien près de l’île Lizard sur la Grande Barrière de corail, située à 270 kilomètres au large de la ville de Cairns (Australie). DAVID GRAY / AFP Plusieurs études récentes ont quantifié la responsabilité des émissions de gaz à effet de serre dans l’évolution du contenu thermique des océans (Ocean Heat Content, OHC) mesuré en zettajoules. Une étude publiée le 4 avril dans Nature estime que l’OHC était supérieur de 40 % dans la couche de 0 à 300 mètres en 2023 par rapport à 1960. « Les records d’OHC ont été battus chaque année depuis 2017, mettant en évidence le réchauffement continu des océans », écrivaient les auteurs. « Il y a une augmentation sur le long terme de la température des océans et une accélération de ce réchauffement, analyse Karina von Schuckmann.

Ce contexte favorise une augmentation de l’intensité et de la fréquence des canicules marines et donc un stress beaucoup plus fort sur les écosystèmes et les coraux, notamment lorsqu’une variabilité naturelle comme El Niño se superpose. » Lire aussi : Hassan Ahmed, l’homme qui sauve les coraux des Maldives Des phénomènes qui malmènent très fortement les récifs coralliens. Selon des travaux publiés en octobre 2021 par trois cents chercheurs réunis dans l’Initiative internationale pour les récifs coralliens, qui se sont appuyés sur plus de 2 millions de données recueillies de 1978 à 2019 sur 12 000 sites, la planète a perdu 14 % de ses coraux entre 2009 et 2018. Dans leur rapport spécial sur l’océan et la cryosphère de 2019, les experts du GIEC écrivaient que 70 % à 90 % du corail pourraient disparaître avec une augmentation de température de 1,5 degré des températures de l’atmosphère, le seuil le plus ambitieux de l’accord de Paris. 

Source: Le Monde