La posidonie, « super-plante » sous-marine
5 juillet 2023
5 juillet 2023
La posidonie protège les plages de l’érosion, sert de nurserie pour de nombreuses espèces et surtout de puits de carbone. Mais en 100 ans, entre 10 % et 30 % ont disparu en Méditerranée. Des scientifiques veulent maintenant la réintroduire dans la rade de Marseille – une première dans la ville.
Le zodiac saute sur les vagues. Dans le dos, la basilique Notre-Dame de la Garde, en face : les îles du Frioul. C’est ici que Patrick Astruch et son équipe veulent donner un coup de pouce à la posidonie. Il est ingénieur de recherche au GIS Posidonie, une association rattachée à l’Université Aix-Marseille.
« Le site de plongée aujourd’hui, c’est dans une concession de récif artificiel, dans la rade de Marseille. Elle est la plus grande concession de récif d’Europe en termes de volume. On est sur 27 000 mètres cube de récif artificiel », dit-il, aux manettes du petit bateau. Pas de mouillage, pas de pêche… Dans ce secteur, toute activité est interdite. Une aubaine pour les chercheurs : « C’est un site qui est assez favorable à notre expérimentation puisque l’herbier de posidonie est en pleine recolonisation dans cette zone ».
La posidonia oceanica, communément appelé la posidonie, est endémique en Méditerranée. Environ deux millions d’hectares tapissent l’ensemble de la grande bleue, on les appelle également les « forêts bleues », et pour certaines depuis 3 000 ans. L’herbier joue un rôle crucial dans l’écosystème de la Méditerranée. « La posidonie est une zone de frayère et de nurserie pour de nombreux poissons, de crustacées, et cetera. La canopée que va jouer un rôle dans l’atténuation de houle et va donc être utile pour lutter contre l’érosion du littoral. Et ensuite, poursuit-il, c’est une espèce qui va constituer des rhizomes et des racines qui vont rester dans le sédiment et qui vont former ce qu’on appelle la matte. Et cette matte, ça correspond à un des puits de carbone naturels les plus performants au monde ». À titre d’exemple : un hectare de Posidonie capte quatre fois plus de CO2 qu’un hectare de forêt amazonienne. En Corse, 50 000 hectares de posidonies stockent à eux seuls environ un cinquième des émissions de CO2 de l’île.
Le rôle de la posidonie pour le littoral : « On essaie de nous vendre des plages tropicales avec du sable blanc qui n’existent pas en Méditerranée » – À la plage de Juan-les-Pins avec Patrick Astruch
Le bateau ralentit. Thomas Schohn, également ingénieur d’études au GIS Posidonie, jette le « galito » par-dessus bord. « Notre assurance-vie », rigole-t-il. La petite bouée jaune leur permettra de s’orienter sous l’eau et de ne pas être emporté par le courant. Ici, à 25 mètres de profondeur, les chercheurs ont planté plus de 9 000 graines au mois de mai. En automne dernier, l’herbier a connu une floraison exceptionnelle. Si la posidonie fleurit tous les quatre à six ans, une floraison d’une telle ampleur ne survient que tous les dix ans. Un effet positif du changement climatique ? Ou plutôt liée au stress en raison des nombreux canicules l’année dernière ? Pour l’instant, les chercheurs l’ignorent. Pour la nature, c’est – pour l’instant – une « bonne nouvelle », estime Patrick Astruch.
Au printemps, les chercheurs ont récolté des milliers de graines pour les semer ici, au large des plages du Prado.
Patrick Astruch a ramené une vingtaine de graines dans un bocal en verre. « Là, on a une belle graine de posidonie. Elle a poussé depuis un mois et demi à peu près. On voit un premier faisceau de feuilles qui a poussé », se réjouit-il.
Ces plantules seront maintenant remises à l’eau, semées dans le fond marin et ensuite cartographiées.
D’ici septembre, les chercheurs du GIS Posidonie devraient avoir les premières indications sur la réussite ou l’échec de leur mission. En revanche, ils auront des résultats concluants seulement à partir de cinq, voire dix ans. La posidonie est une des plantes avec la plus faible croissance, de l’ordre d’un centimètre par an, soit un mètre par siècle. C’est donc aussi une plante longévive, dans certains cas elles vivent depuis 2 000 à 3 000 ans. Si tout va bien, cette expérimentation pourrait servir de modèle à l’avenir, espère Bruno Belloni, océanographe au GIS Posidonie. « La prochaine fois qu’il y a une importante floraison, au lieu de planter 10 000, 9 000 graines, on peut faire ça avec des dizaines de milliers, des centaine de milliers de graines ».
Si les chercheurs veulent trouver un moyen pour repeupler les forêts bleues, c’est surtout parce que depuis un siècle, 10 à 30 % de l’herbier a disparu en Méditerranée. Les raisons sont multiples : rejets des eaux usées dans la mer, pollution et, surtout, l’amarrage sauvage, avance Patrick Astruch. « L’ancre va être posée et la chaîne va se déplacer au gré des changements de vent, on appelle ça un rayon d’évitement ou le bateau va bouger la chaîne va suivre la position du bateau. Et là, on peut avoir des surfaces vraiment importantes dégradées sur une seule action d’ancrage ».
« Quelles sont les risques pour cette nouvelle plantation de posidonies ? », Patrick Astruch, ingénieur de recherche au GIS Posidonie
Afin de protéger durablement l’herbier de posidonie, plusieurs chercheurs, organisations, États et confédérations d’États (dont l’Union européenne) ont uni leurs forces il y a trois ans. Le Mediterranean Posidonia Network (MPN) veut protéger d’ici 2030 « 100 % de l’herbier en Méditerranée », explique Frédéric Villers, chargé de mission à l’Office français pour la biodiversité (OFB) qui coordonne le MPN. Pour cela, il faudrait d’abord une législation homogénéisée dans tous les pays méditerranéens, explique-t-il. En France, la posidonie est protégée depuis 1988. Sur certaines parties des côtes de Corse et de la Côte d’Azur, les bateaux de plus de 24 mètres de long n’ont plus le droit de mouiller depuis quatre ans.
Autre mesure : d’ici deux à trois ans, l’office français de la biodiversité veut mettre en place un parc de plusieurs centaines de bouées écologiques. « Je dirais que c’est un peu comme une logique de parking saisonnier. Vous allez sur cette bouée, vous amarrez à la bouée et puis vous pouvez passer la journée sur la boue et repartir quand vous le souhaitez. L’intérêt de cette bouée, c’est que le fond reste intact parce qu’il est interdit de jeter l’ancre », explique Frédéric Villers.
Et aussi au niveau national, plusieurs acteurs du secteur privé et public ainsi que des ONG (dont WWF France, l’OFB et Union des Ports de Plaisance Provence-Alpes-Côte d’Azur et Monaco (UPACA)) font chose commune pour protéger la posidonie : fin juin 2023, ils ont créé l’Alliance Posidonia. Ensemble, ils veulent sensibiliser les différents usagers de la mer.