La pêche suspendue pour préserver les dauphins
19 janvier 2024
19 janvier 2024
Pour préserver les dauphins, les pêcheurs français et étrangers du golfe de Gascogne resteront à quai pendant un mois à partir de lundi, une première depuis 1945, au grand dam d’une filière qui redoute la «casse sociale».
Le gouvernement français a officialisé jeudi l’extension à tous les pavillons de la mesure, ordonnée fin décembre par le Conseil d’État, le juge administratif suprême, tout en promettant d’accompagner tous les acteurs du secteur.
Situation inédite depuis la Seconde Guerre mondiale, la pêche va s’interrompre presque entièrement jusqu’au 20 février au large de la côte atlantique française, de la Bretagne, dans le nord-ouest de la France, à la frontière espagnole, au sud.
La mesure vise à réduire les décès de petits cétacés pris accidentellement dans les filets. Elle trouve son origine dans le doublement du nombre d’échouages de dauphins observé depuis 2016 sur la côte, passé de 646 à près de 1400 sur l’hiver 2022-2023, selon l’observatoire Pelagis.
Le Ciem, l’organisme scientifique international de référence, estime à environ 9000 le nombre de dauphins communs morts chaque année à la suite d’une capture accidentelle sur la façade atlantique française, pour un niveau soutenable de 4900 décès au maximum.
L’arrêt de la pêche pour les bateaux de plus de huit mètres et pour certains types de pêche, valable aussi en 2025 et 2026, laisse à quai 450 navires français. Le Comité national des pêches a fustigé des «ONG extrémistes» défendant une espèce, le dauphin commun, «pas en danger dans le secteur».
«C’est aberrant de stopper des entreprises pendant un mois», s’indigne auprès de l’AFP Raymond Millet, patron d’un fileyeur. «Les bateaux de neuf, dix, onze mètres, ce ne sont pas des bateaux qui pêchent des dauphins, il faut arrêter… Ça fait quarante ans que je pêche, je pêche des dauphins à chaque fois que je perds une molaire!», ironise le sexagénaire.
L’administration évoque une indemnisation d’environ 80% du chiffre d’affaires des entreprises de pêche. «Il va y avoir de la casse sociale», redoute pourtant Franck Lalande, armateur de deux bateaux, en déplorant des indemnisations insuffisantes. Toute la filière s’inquiète, crieurs et mareyeurs compris.
Pascal Bouillaud, directeur du syndicat mixte du port de pêche de La Rochelle, évoque «55% du tonnage et du chiffre d’affaires perdu sur les criées sur la période concernée car ce sont des mois extrêmement porteurs».
Les mareyeurs, qui transforment le poisson frais débarqué dans les criées, estiment leurs pertes à plus de 60 millions d’euros. «Certains mareyeurs, fragilisés, risquent de ne pas s’en sortir», prévient Guillaume Badoinot, président d’une Union locale du mareyage. En réponse, le gouvernement a promis jeudi d’accompagner l’ensemble de la filière.
Malgré la menace de poursuites, certains pêcheurs ont laissé entendre qu’ils pourraient sortir en mer. La Préfecture maritime de l’Atlantique promet, elle, des patrouilles «un peu plus présentes que d’habitude».
«Si les pêcheurs ne jouent pas le jeu, c’est contre-productif pour eux» car «on va alors constater la mortalité» des dauphins, plaide Philippe Garcia, président de Défense des milieux aquatiques, l’une des associations ayant eu gain de cause devant le Conseil d’État.
Les pêcheurs estiment être stigmatisés, alors que beaucoup ont équipé leurs navires d’effaroucheurs ou de caméras de surveillance, initialement synonymes de dérogations. «Tout ce qu’on demande, c’est une solution pour qu’il n’y ait plus de captures accidentelles de cétacés et qu’on puisse continuer à travailler normalement», explique Gaël Gueffier, patron d’un fileyeur à Bayonne.