Exploiter les courants marins pour réduire les émissions de CO2 du secteur maritime

 
Si le transport maritime était un pays, il serait le sixième plus gros pollueur. Grâce à des données satellitaires précises, un scientifique australien a créé une sorte de Google Maps des courants marins, un algorithme permettant aux navires d’économiser du carburant et de réduire leurs émissions de CO2.

C’est un rouage essentiel de l’économie mondiale, mais aussi un acteur majeur du réchauffement climatique. Près de 90% de toutes les marchandises que nous consommons sont transportées par bateau, sur d’immenses porte-conteneurs, à travers les océans du globe. L’empreinte carbone de ce mode de transport est considérable: plus d’un milliard de tonnes de CO2 dégagées par année.

 

Courants marins pour l’heure peu exploités

 

Pour tenter d’y remédier, Shane Keating, océanographe à l’Université de Nouvelle-Galles du Sud, par ailleurs mathématicien, propose que ces navires exploitent la force des courants marins pour économiser leur carburant et, ce faisant, réduire leurs émissions de CO2.

Dans Super Mario, il faut parfois sauter sur des plateformes mouvantes. Il faut le faire dans le bon timing: sauter dessus quand elle va dans la bonne direction, puis en redescendre avant qu’elle fasse demi-tour. Pour les courants océaniques, c’est pareil

Shane Keating, océanographe à l’université de Nouvelle-Galles du Sud

Si cela peut paraître évident, ces courants marins sont pour l’heure peu, voire pas du tout, pris en compte par les transporteurs maritimes. Ces derniers optent systématiquement pour le trajet le plus court entre deux ports, sauf que celui-ci est assez rarement le moins énergivore, contraignant parfois les bateaux à naviguer à contre-courant. Conséquence: les navires en question consomment davantage de carburant.

Pour visualiser sa solution au problème, l’océanographe australien propose une comparaison avec un jeu vidéo bien connu: Super Mario. « Dans ce jeu, il faut parfois sauter sur des plateformes mouvantes. Il faut le faire dans le bon timing: sauter dessus quand elle va dans la bonne direction, puis en redescendre avant qu’elle fasse demi-tour », image-t-il dans l’émission Tout un monde. Pour les courants océaniques, c’est pareil: « On se laisse porter quand ils poussent dans la direction souhaitée et on s’en écarte s’ils partent dans la mauvaise direction. »

Plus concrètement, Shane Keating a créé un algorithme, ainsi qu’une entreprise, Ocean Intelligence, pour le commercialiser. Cet algorithme calcule l’itinéraire optimal pour les bateaux, permettant un trajet aussi rapide que celui avec moteurs diesel, tout en économisant des quantités importantes de carburant.

 

Gulf Stream pourtant cartographié en 1770 déjà

 

Les courants marins sont connus depuis des siècles. Le Gulf Stream par exemple, le courant marin le plus connu, a par exemple été cartographié par Benjamin Franklin, l’un des pères fondateurs des Etats-Unis, en 1770 avec pour objectif d’accélérer le transport du courrier entre l’Amérique et l’Europe. Cependant, des milliers d’autres courants, plus modestes et plus imprévisibles, existent, appelés aussi « tourbillons océaniques ».

On a fait des tests sur différents types de cargos, des ferries de croisière, des bateaux de pêche. Et on peut économiser entre 5 et 25% de carburant, en fonction de l’itinéraire. Ce qui s’accompagne aussi d’une réduction des émissions de CO2 de l’ordre de 15 à 25%

Shane Keating, océanographe à l’université de Nouvelle-Galles du Sud

Depuis décembre 2022, le satellite franco-américain SWOT fournit des données précises sur ces tourbillons. Pour Shane Keating, il s’agit là d’une avancée majeure.

« On peut désormais établir des prévisions beaucoup plus précises sur les mouvements de l’océan sur 24 heures », se réjouit-il. Avant d’ajouter: « On a fait des tests sur différents types de cargos, des ferries de croisière, des bateaux de pêche. Et on peut économiser entre 5 et 25% de carburant, en fonction de l’itinéraire. Ce qui s’accompagne aussi d’une réduction des émissions de CO2 de l’ordre de 15 à 25%. »

 

Emballement de la communauté scientifique

 

Globalement, l’algorithme de Shane Keating enthousiasme une bonne partie de la communauté internationale. Pour Nathan Bindoff, océanographe à l’Université de Tasmanie et contributeur à plusieurs rapports du GIEC, il serait même urgent de le mettre en place.

« Ce genre d’algorithme intelligent permet au secteur du transport maritime de réduire ses émissions, de faire des économies, de gagner du temps », souligne-t-il, insistant sur le fait que ce secteur représente entre 2 et 3% des émissions au niveau mondial. « Il est donc important de s’y attaquer. »

Les entreprises du secteur y ont d’autant plus intérêt à l’adopter rapidement que l’organisme qui les régit, l’Organisation maritime internationale, s’est engagée à ce que le transport maritime atteigne la neutralité carbone d’ici à 2050.

Pour l’instant, aucune entreprise de transport maritime ne l’a encore adopté, mais Shane Keating indique qu’il est en discussion, parfois très avancée, avec certains des grands noms du secteur.

Source: RTS