De port en port, traverser la Méditerranée aux Temps modernes
26 janvier 2024
26 janvier 2024
De port en port, nous allons traverser la Méditerranée ou plutôt les Méditerranées, car cet espace est celui des mobilités, des exils, des migrations, de la pêche, de la guerre et bien sûr du commerce. La Méditerranée a été pensée, réfléchie, fantasmée et pourquoi pas inventée. Quelle représentation ces femmes et ces hommes qui pêchent, vivent et prennent la mer en Méditerranée ont-ils de leur environnement ?
L’idée d’une culture méditerranéenne unitaire est une construction idéologique récente, héritée de l’histoire coloniale. « La Méditerranée est un ensemble de micro-mers densément connectées les unes aux autres », décrit l’historien Guillaume Calafat. Ce sont « plusieurs régions, plusieurs entités politiques, qui communiquent et qui créent un espace producteur de normes, de règles, d’idées. » L’historien précise que « la construction historiographique de la Méditerranée comme région, comme civilisation et comme idée se développe à partir des années 1770-1780 et se renforce au 19e siècle. Nous sommes en partie héritiers de la façon dont la Méditerranée a été pensée comme un objet d’histoire. »
Avant le 19e siècle, les hommes et les femmes de ces espaces géographiques ne se considèrent pas comme les membres d’un ensemble culturel et historique unitaire que serait le monde méditerranéen. Pourtant, les points de contact entre ces régions, les échanges commerciaux, diplomatiques et religieux sont légion.
Si la date de 1492 semble plutôt correspondre à un moment charnière de l’histoire atlantique, il s’agit aussi d’une rupture essentielle dans le cas méditerranéen : la chute de l’émirat de Grenade et l’expulsion des Juifs d’Espagne. Cette homogénéisation de l’espace ibérique et la dispersion des séfarades bouleverse les équilibres méditerranéens et annonce une explosion du phénomène diasporique, qui structure profondément les logiques à l’œuvre dans cet espace pour les siècles suivants.
À cet égard, l’historien Mathieu Grenet, qui signe avec Guillaume Calafat Méditerranées. Une histoire des mobilités humaines (1492-1750) chez Points, souligne l’importance de multiplier les échelles pour appréhender les déplacements en Méditerranée. Il explique étudier à la fois les groupes afin de « restituer le caractère massif de certaines migrations – 250 000 Juifs séfarades, 300 000 Morisques, plusieurs dizaines de milliers de Grecs, etc. » et laisser aussi une place à l’individu. « Nous avons porté beaucoup d’attention à une troisième échelle, celle de la famille, et à la manière dont les mobilités se structurent collectivement comme des aventures intimes, dans lesquelles on met en jeu sa famille, on bouge avec ses enfants ou on les laisse. » L’historien ajoute que « très rapidement, les princes qui excluent les Juifs ou les Morisques norment la question de savoir si les parents ont le droit d’emmener les enfants et sous quelles conditions. »
L’importance majeure des grands mouvements de migrations ne doit cependant pas faire oublier que l’essentiel des mobilités humaines en Méditerranée à l’Époque moderne concerne de très petits déplacements. Ces micro-mobilités du quotidien, qui prennent souvent la forme du cabotage, signalent une porosité constante entre l’espace maritime et l’espace terrestre : naviguer prolonge les logiques commerciales, religieuses, politiques à l’œuvre dans les différents États.
Ces mobilités, qu’il s’agisse de grandes traversées collectives ou de courts voyages individuels, ne sont pas exemptes de périls. Des tempêtes aux attaques de corsaires en passant par la crainte de perdre ses papiers et documents, le danger guette les femmes et les hommes qui s’aventurent sur les eaux méditerranéennes. Les ordres religieux, qu’ils soient juifs, catholiques, protestants ou musulmans, mettent en place des solutions, qui fonctionnent la majeure partie du temps selon une logique assurantielle, ou qui proposent aux malheureux qui se seraient fait capturer par des corsaires ou par un navire ennemi de procéder à leur rachat.
Qu’elles soient individuelles ou collectives, quotidiennes ou historiques, pourquoi ce sont avant tout les mobilités humaines qui écrivent l’histoire de la Méditerranée ?