Climat Libé Tour Marseille: Dans les ports méditerranéens, des jeunes s’emploient à recycler les filets de pêche abandonnés en mer

 
En les récoltant et en les triant, le projet Glokis donne une seconde vie à ces matériaux très nocifs pour la biodiversité locale pour qu’ils soient réutilisés à la fabrication de montures de lunettes ou de montres grâce à un partenaire breton.

Pierrot le pêcheur est le premier à avoir cru en elle. «Je suis allée le voir au vallon des Auffes quand j’ai commencé à plonger à Marseille, je voulais comprendre pourquoi il y avait tous ces filets fantômes perdus en mer.» Sabine Meneut veut sortir des «stéréotypes». Elle comprend que ces pertes, pour beaucoup, «sont dues au mauvais matériel de pêche et aux bateaux de plaisance qui ne font pas attention aux flotteurs et les coupent». Mais aussi «qu’il n’y a pas de poubelles à quai, pas de gestion de ces déchets plastique». A 22 ans, la jeune femme entrevoit tout un monde des possibles. Elle cofonde une association de plongeurs qui récupèrent les filets perdus «où continuent de s’emprisonner les poissons». Cinq ans plus tard, en 2019, Sabine Meneut quitte l’équipe et reprend la société Click-Dive, devenue cette année Glokis. Elle accompagne désormais les territoires sur «la création de filières pour les déchets atypiques, comme les filets de pêche».

Dans le hangar de 120 m2 de Port-de-Bouc, en cette mi-décembre, un grand jour se prépare, «la concrétisation de plusieurs années de travail», «l’inauguration officielle de la filière». Soit un stock de 2,5 tonnes de filets de pêche usagers qui vont être expédiés pour la première fois, direction la Bretagne. «On est prêts, assure Thomas, 23 ans, venu prêter main-forte avec une autre personne en contrat d’insertion pour finir de préparer les sacs. On récupère les filets de pêche, on les démêle, les trie, les nettoie pour enlever tout ce qui est cordage, algues accrochées, etc. Puis on les enroule en pelote sur une table, pour ensuite les stocker dans des sacs. Rien n’est difficile, il faut juste de la patience.»

«Pour pouvoir être légitime, il fallait de la donnée»

«Une fois par an désormais, ces “big bags” seront ainsi envoyés à notre partenaire industriel à Brest, Fil & Fab, une jeune entreprise comme nous, continue Sabine Meneut. C’est la seule capable en France de broyer et régénérer des filets de pêche en granulés.» Ils vont redevenir une matière première résistante aux UV et au sel, pour des montures de lunettes, un fabricant d’ailerons de surf, ou encore les montres d’un grand horloger suisse. «Certes, cela reste du plastique, mais nous apportons aux marques une ressource qui réutilise des déchets, que personne ne connaît et qui ont une histoire, relève la directrice générale de Glokis. Et cela leur évite d’acheter ces granulés en Asie.

Pour autant, il n’a pas été simple de convaincre. Des portes se sont d’abord fermées sur leur jeunesse, une vingtaine d’années chacun dans la balance : «Votre projet, il est mignon, il ne marchera pas», présume plus d’un financeur potentiel. «Pour pouvoir être légitime, il fallait de la donnée», comprend Sabine Meneut. Filets à dorade, à sole… La pêche artisanale varie selon les saisons et les lieux : un filet cassera plus vite sur certains fonds rocheux de Méditerranée. Sabine Meneut décroche une première étude pour l’Occitanie. Elle établit qu’entre 30 et 40 tonnes de filets de pêche y sont jetés chaque année en décharge. Huit ports de la région sont à présent équipés de bacs de récupération pour Glokis, qui a aussi noué des partenariats avec la métropole de Nice, le comité régional des pêches en Corse ou encore l’étang de Berre. Rien du côté de Marseille pour le moment. «Tout le monde se renvoie la balle sur le Vieux-Port, c’est Sherlock Holmes», sourit Sabine Meneut. En attendant, elle a installé un bac pour Pierrot et les autres pêcheurs du Vallon.

Source: Libération