Yachts à moteur et écologie de (com)plaisance
29 septembre 2020
29 septembre 2020
Mettons-nous un instant à la place d’un de ces nombreux vacanciers du mois d’août, installé sur une plage de Méditerranée à quelques encablures de la marina où s’alignent des bateaux à moteur de toutes tailles, du pneumatique de cinq mètres équipé d’un hors-bord de 25 ch, à l’énorme yacht poussé par de puissants moteurs, sans parler de ces moustiques des mers que sont les jet-ski.
Qu’observons-nous sur la plage ? Un nombre de décibels supérieur ou égal à celui d’une rue parisienne aux heures de pointe, une vague odeur d’essence, quelques reflets moirés à la surface de l’eau, des trains de vagues aberrants qui déferlent alors qu’il n’y a ni vent, ni houle.
Encombrements des ports
Lancez-vous maintenant sur un frêle esquif à voile ou à rames, dans l’espoir de retrouver le charme discret de la navigation de plaisance d’autrefois. Aux abords d’une de ces monstrueuses marinas, vous allez être secoué, bousculé, agressé par le bruit des moteurs et par les vagues croisées et anarchiques que soulèvent en permanence les engins défilant comme sur une autoroute, le matin vers le large, et le soir vers le port.
Le 31 août 2019, 769 500 bateaux de plaisance à moteur étaient immatriculés en France, dont 40 % construits par des chantiers français. Entre septembre 2018 et septembre 2019, ce parc s’est augmenté de 9 508 unités dont 3 148 faisaient moins de cinq mètres et 2 400 étaient des engins pneumatiques.
Les marinas sont souvent au fond d’une baie. Comme le bruit des multiples bateaux à moteur rend le fond de baie infréquentable, un nombre toujours croissant d’amateurs cherche à s’équiper, selon leurs moyens, de bateaux assez rapides pour sortir de la baie et atteindre la fameuse plage calme et solitaire qui se trouverait là-bas, de l’autre côté de la pointe…
Oui, mais voilà ! Comme tous les bateaux ont la même idée au même moment, la fameuse plage supposée sauvage, se transforme au mois d’août en piscine municipale tout aussi encombrée et bruyante que le fond de la baie, tandis que le « charmant petit village en bord de mer » que les plaquettes publicitaires persistent à vanter, est devenu un immense parking nautique aux allures de zone industrielle.
Les Français sont attachés aux vacances d’été en bord de mer. On pourrait donc s’attendre à ce que ce motonautisme, fort peu écologique, fasse l’objet d’indignations, de commentaires, d’études et de recherches, afin de proposer des loisirs nautiques plus conformes à l’idéal du retour à la nature. Ce n’est pourtant pas ce que l’on observe.
Qu’il s’agisse de publications scientifiques, de décisions administratives, d’articles de presse ou de sites Internet, on ne trouve presque aucune trace du souci de protéger la majorité des vacanciers – qui n’ont pas de bateau de plaisance à moteur – contre les nuisances de la minorité qui en utilisent.
Curieusement, l’attention du public a été portée sur les effets nocifs des bruits de moteur sur la faune marine. Des études scientifiques ont montré l’effet dévastateur des bruits marins sur les baleines et les dauphins. L’impact des moteurs marins sur la faune aquatique a même fait l’objet d’un rapport au Sénat.
Pendant ce temps, l’impact des mêmes moteurs sur la catégorie des homo sapiens en vacances ne semble pas intéresser grand monde. À ma connaissance, aucune étude scientifique du niveau sonore sur les plages proches d’une marina en période estivale n’a été réalisée…
Les quelques tentatives limitées de réglementation ne font que confirmer notre analyse : la question des nuisances engendrées par les navires de plaisance à moteur est un thème orphelin qui n’a intéressé jusqu’ici ni les chercheurs, ni le législateur, ni les autorités publiques locales, ni les médias.
Lorsqu’on considère les discours passionnés que suscitent les sujets liés à l’écologie, on peut s’étonner que la question des nuisances provoquées par les navires de plaisance à moteur éveille si peu d’intérêt. Pourtant, les utilisateurs de ces bateaux ne font que des ronds dans l’eau pour le plaisir. Il devrait donc être possible de leur proposer de s’amuser autrement, d’autant que ces usagers eux-mêmes, se plaignent du bruit que fait leur moteur !
Paddles, planches à voile, kitesurf, kayak de mer et voiliers sont des engins nautiques à promouvoir. On peut espérer que des moteurs électriques et une nouvelle conception de l’architecture des bateaux à moteur, moins agressive, permettra dans le futur une réduction du niveau sonore, des vagues induites par leur passage, de la consommation de pétrole et des émissions de CO2. Mais en attendant, que faire de l’immense parc des bateaux à moteur bruyants et polluants déjà construits ? Et comment empêcher le nombre de ces bateaux polluants d’augmenter chaque année ?
Une évolution de la réglementation semble souhaitable. Elle passe probablement par une stricte limitation de la vitesse autorisée dans une zone côtière suffisamment vaste pour que la protection des riverains soit mieux assurée. Elle passe sans doute aussi par une forte taxation des bateaux bruyants et polluants, qu’ils soient neufs ou d’occasion et pourquoi pas, par l’interdiction pure et simple des jet-ski et des moteurs particulièrement bruyants.
La lenteur, la méditation, l’adaptation respectueuse aux forces de la nature sont des valeurs mises en avant par le mouvement écologique, mais il reste encore beaucoup de travail pour les faire entrer dans les mœurs. Le sage retour aux bateaux à voiles et à rames qui ferait de la mer, à nouveau, un milieu qu’il faut mériter et qui vous le rend bien, suppose de débarrasser nos côtes des engins les plus polluants.
D’après The Conversation