Les îles Marquises inscrites au patrimoine mondial de l’UNESCO

 

La 46e session du Comité du patrimoine mondial de l’UNESCO s’est tenue à New Delhi en Inde du 21 au 31 juillet 2024. Elle a notamment accueilli Te Henua Enata (« La Terre des Hommes »), c’est-à-dire les îles Marquises, dans son club prestigieux, selon des critères qui relèvent à la fois de la valeur culturelle et de la valeur naturelle de l’archipel.

Nul doute que cette 46e session du Comité du patrimoine mondial de l’UNESCO aura été sensible à cette singularité qui renforce le caractère exceptionnel des Marquises : le tissage intime et millénaire, sur cet archipel, de la présence humaine et des élans grandioses de la nature. 

Avec 24 nouveaux biens, ils sont désormais, à l’issue de cette session, 1 223 biens inscrits au patrimoine mondial. 952 sur des critères culturels, 231 sur des critères naturels. 40 seulement, dont les îles Marquises, sont inscrits sur la base des deux séries de critères, naturels et culturels. 

Mieux encore, ils sont actuellement 5 à relever des deux écosystèmes terrestres et maritimes, et seuls 2 de ces 5, outre les Marquises, sont situés dans l’Océan Pacifique (le lagon sud des îles Chelbacheb et Papahānaumokuākea). 

« Le dossier marquisien apporte ainsi un éclairage nouveau et différent sur la zone Pacifique, dans cette catégorie très restreinte de sites inscrits au patrimoine mondial », nous fait remarquer Anatauarii Tamarii.

Archéologue de formation, Anatauarii Tamarii dirige la cellule du patrimoine culturel à la Direction de la culture et du patrimoine de la Polynésie française. Il travaille depuis sept ans sur le dossier de candidature à l’inscription de Te Henua Enata – les îles Marquises au patrimoine mondial de l’UNESCO. Il est responsable du volet culturel du dossier. 

Un dossier pour lequel le ministère de la Culture (Direction générale des patrimoines et de l’architecture) s’est mobilisé avec force, lui apportant tout le soin d’une expertise à la mesure des enjeux.

Entretien.

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Le périmètre inscrit (en rouge) au patrimoine mondial de l’UNESCO.

 

Le succès vient aujourd’hui récompenser les efforts de toute une équipe soutenue par la Polynésie française, la communauté de communes des Marquises et le ministère de la Culture. C’est aussi le début d’une nouvelle ère pour l’archipel. Qu’attendez-vous de son inscription sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO ? 

Anatauarii Tamarii : Les Marquisiens en attendent sans nul doute une certaine reconnaissance à travers la valorisation de leur patrimoine. Mais plus encore, il s’agit pour eux d’un vrai projet de société. Ils en attendent l’amélioration de leur qualité de vie avec le développement durable de l’archipel. Leur objectif aujourd’hui, grâce au label de l’UNESCO, c’est ainsi de donner toute sa mesure à une politique de développement qui soit cohérente avec leur mode de vie : une plus grande prospérité en préservant leur patrimoine et leurs traditions. 

Ce que j’espère pour ma part, c’est que les Marquises deviennent, dans les prochaines décennies, une destination de tourisme culturel et naturel dont les visiteurs respecteront l’environnement et ses communautés locales. Ces dernières seront directement engagées dans la préservation de cet héritage unique. 

L’archipel est l’un des plus isolés de la planète, ce qui le protège relativement du tourisme de masse. Grâce aux mesures de gestion et de conservation liées à l’inscription au patrimoine mondial, il continuera d’inspirer et de fasciner le monde par sa beauté, sa biodiversité exceptionnelle et son riche patrimoine culturel. 

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Un Tiki, vallée de Taa Oa

 

Que représentent concrètement ces mesures de gestion et de conservation ?

A.T.: Elles seront tout d’abord dotées de moyens, un soutien financier et technique apporté par « le pays » [la Polynésie française, qui comprend cinq archipels dont celui des Marquises, est une collectivité d’outre-mer, « pays d’outre-mer » ou POM, au sein de la République française], mais aussi éventuellement par des fondations, pour mettre en œuvre un plan de gestion, préservation et conservation du site.

Ici se présente le grand défi qui succède à ce grand succès, un défi qu’on ne finira jamais de relever : adopter une démarche toujours plus inclusive et participative à l’égard des habitants de l’archipel. En ce sens, il ne s’agit pas seulement de consulter les communautés locales, mais de leur donner un véritable rôle à jouer dans la gestion de ce bien commun. Au regard de ce défi, les sept années que nous venons de passer ne sont que des hors-d’œuvre !

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Vallée de Puamau

 

Et pourtant, cette candidature représente déjà un long chemin parcouru…

A.T.: C’était une succession de défis à relever : d’abord mettre en place une équipe pluridisciplinaire pour mettre en forme un projet de société. Ensuite, traduire ce projet dans un langage « UNESCO » ! Un travail de recherche des mots justes, des expressions, des concepts capables d’exprimer la perception océanienne du monde à l’attention de cette institution internationale. Et, inversement, un travail tout aussi délicat pour trouver les bonnes formulations à l’adresse des populations locales.

Par exemple : projeter le concept de « valeur universelle exceptionnelle » sur des aires géographiques où les populations ont des représentations bien à elles. Comment faire dialoguer les notions, les représentations du monde, et comment en déduire le tracé de périmètres à inscrire au patrimoine mondial ? Ce n’est pas si évident. Et en même temps on était au cœur du sujet : un bien « mixte » où le culturel se tisse étroitement avec le naturel.

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Au large Ua Pou

 

Comment se comprend cette « mixité » dans l’archipel des Marquises ?

A.T.: En réalité, le dossier marquisien est deux fois mixte : il mêle nature et culture, mais il mêle aussi des périmètres terrestres et maritimes. Il y a sept composantes réparties sur l’ensemble de l’archipel, qui comprennent, autour de chaque île, une zone maritime de trois milles nautiques.

L’archipel se situe dans le nord du Pacifique sud, à environ 1500 km au nord-est de Tahiti, et son aspect en est encore plus éloigné : pas de cocotiers ni de grandes plages de sable fin, mais des sommets volcaniques escarpés (jusqu’à 1100 mètres d’altitude) dont les pentes plongent à pic dans l’océan, des baies profondes en forme d’amphithéâtre, et quelques vallées abruptes et isolées, qui coupent les chaînes de montagne. 

Des paysages grandioses que les peuples venus ici les premiers ont dû trouver à leur mesure, puisqu’ils ont nommé l’archipel « la terre des Hommes ». Quoi qu’il en soit, ils se sont remarquablement adaptés à cet environnement, en peuplant les vallées, depuis le littoral jusqu’aux crêtes des montagnes, et en vivant aussi sur l’océan, qui à leurs yeux n’avait rien de terrifiant et ne constituait pas un obstacle, bien au contraire. Grands pêcheurs, la mer était aussi leur autoroute : ils sillonnaient aisément l’archipel d’une île à l’autre (six îles actuellement habitées : deux grandes Nuku Hiva et Hiva Oa, puis Ua Pou – celle-ci nommée par certains « l’île cathédrale » à cause de ses pitons de phonolithe, Ua HukaFatu Iva et Tahuata).

Aujourd’hui les Marquisiens tentent de se réapproprier ces espaces-là. Mieux : ils cherchent, par une sorte de réveil culturel, à se réapproprier la façon dont leurs ancêtres les percevaient.

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Il vous a fallu délimiter, sur ces six îles et sur l’espace maritime qui les relie, des périmètres qui rassemblent toutes les richesses naturelles et culturelles de l’archipel, hors des espaces urbains ou agricoles. Quelles sont ces richesses qui représentent la valeur universelle exceptionnelle des Marquises ?

A.T.: Nous venons d’évoquer la grande diversité de paysages volcaniques qui surplombent l’océan : montagnes majestueuses, vallées profondes, forêts sèches, demi-sèches, forêts de nuages, falaises plongeantes qui rejoignent les grands fonds marins… Les Marquises constituent un site d’observation majeur de cétacés et d’espèces océaniques d’une densité difficile à trouver ailleurs sur la planète. On compte aussi de nombreuses espèces emblématiques d’oiseaux marins et d’oiseaux nicheurs. Une biodiversité et une biodynamique uniques tant sur mer que sur terre, des habitats naturels de nombreuses espèces, tant du côté flore que du côté faune, et surtout un taux d’endémisme vraiment spectaculaire. Un témoin unique des phénomènes évolutifs liés aux conditions environnementales spécifiques de l’archipel, un lieu d’observation d’une diversité stupéfiante sur un espace somme toute assez réduit.

En ce sens, le plan de gestion élaboré dans le cadre de l’inscription au patrimoine mondial prévoit de mener à terme le travail qui consiste à répertorier et à mieux connaître toutes les espèces terrestres et maritimes présentes dans l’archipel, afin de mieux les préserver. 

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Sur l’île Hiva Oa

 

Et du côté culturel ?

A.T.: Les îles Marquises témoignent d’une civilisation qui a traversé l’océan pour s’installer là il y a près de mille ans. Les hommes se sont adaptés à la configuration et aux conditions de l’archipel où ils ont développé une culture qui s’est différenciée des autres cultures polynésiennes. Ils ont colonisé ces vallées encaissées, ce qui a commandé une organisation territoriale, sociale et politique particulière, propre aux chefferies marquisiennes.

Les Marquisiens ont créé et développé un type de sculptures monumentales (des pétroglyphes), qui témoignent de leur relation spirituelle à l’environnement, un art lié à une tradition orale d’autant plus forte qu’ils n’ont pas fait usage de l’écriture. Malgré l’arrivée des Européens, des armes à feu, des maladies, de l’alcool, de la baisse démographique concomitante et d’une acculturation inévitable du fait de la présence occidentale, les récits légendaires, la musique, la danse et les pratiques culturelles se sont maintenus pleinement vivants de génération en génération.

Aujourd’hui, les sites archéologiques, qui s’étendent jusqu’aux fonds des vallées, ne sont pas encore tous répertoriés. La conservation de la tradition orale permet de les interpréter.

Source: culture.gouv