Se déplacer en Méditerranée, les Anciens en Thalassa

Dans la Grèce et la Rome antiques, qu’est-ce qui pousse les hommes et les femmes à prendre la mer et à circuler en Méditerranée ? En quoi cette variété de déplacements indique-t-elle la centralité de l’espace méditerranéen pour les cultures antiques ?

Avec
  • Cecilia D’Ercole Historienne, archéologue et anthropologue des mondes antiques, directrice d’études à l’EHESS
  • Soazick Kerneis Professeure d’histoire du droit et du droit romain à l’Université Paris Nanterre, directrice du Centre d’Histoire et d’Anthropologie du Droit
  • François Lefèvre Professeur d’histoire grecque à Sorbonne Université

Au début de l’automne 1975, des embruns et de l’air iodé soufflent à la télévision française, quand est créée l’émission Thalassa, le magazine de la mer. Son titre est bien choisi, puisqu’il nous conduit sur les flots, avec un écho à l’Antiquité grecque. Que représentait la mer pour les Grecs ? Était-elle comparable à la Mare nostrum des Romains ? Nous voici donc « au milieu des terres », en Méditerranée, quand les Anciens partent en Thalassa !

Les Grecs ont une relation ambivalente avec la mer, faite de fascination et de peur. La navigation en Méditerranée est en effet dangereuse et les tempêtes, naufrages et autres errances abondent aussi bien dans la réalité que dans la littérature homérique – sans parler des pirates. Néanmoins, la civilisation grecque, mais aussi phénicienne, carthaginoise, et plus tard romaine, sont souvent qualifiées de thalassocratie. Cette appellation indique que leur puissance se fonde sur les ressources maritimes et sur la maîtrise de la mer, aussi bien sur un plan commercial que guerrier.

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Les Grecs sont en effet de redoutables guerriers sur les mers, en particulier à partir de l’apparition de la trière, au 5e siècle avant J.-C., un navire de combat perfectionné, qui permet de mobiliser 200 personnes. Lors de la guerre du Péloponnèse (de 431 à 404 avant J.-C.), qui oppose les cités d’Athènes et de Sparte, les batailles se passent en grande partie sur mer, ce qui signe une transformation des manières de combattre, et consacre la figure du rameur, qui dépasse celle de l’hoplite, le soldat d’infanterie.

Les Grecs sont également de formidables commerçants et sillonnent la mer Méditerranée pour acheminer et vendre des biens aux provenances variées. Dès l’âge de bronze, les routes commerciales méditerranéennes sont parcourues par des marchands, qui peuvent être des artisans résolus à prendre la mer pour vendre leurs produits, ou des marchands professionnels. Les métaux précieux (or, argent, étain), les esclaves, les ambres, le corail, l’huile, le blé, le sel, le vin, le bois, les céramiques sont quelques-unes des marchandises qui circulent sur les routes maritimes de Méditerranée. Elles font parfois l’objet d’un commerce de longue distance, qui permet de relier des mondes lointains via la Méditerranée. L’étain par exemple est acheminé depuis l’Armorique, les Cornouailles ou la Syrie.

Les circulations d’hommes et de femmes dans le bassin méditerranéen sont ainsi particulièrement denses. Elles ne se limitent cependant pas aux affrontements guerriers ou aux échanges commerciaux, mais peuvent être de véritables migrations, choisies ou subies. La colonisation grecque, qui se développe entre les 8e et 6e siècles avant J.-C., est un enjeu à la fois économique, par la création de comptoirs commerciaux, mais aussi démographique et culturel, avec l’installation de populations venues d’une cité qui fondent une nouvelle ville, indépendante et autonome. Les récits de fondation de villes dans l’Antiquité sont ainsi souvent l’occasion de mettre en scène des étrangers. C’est le cas de Rome même, fondée par le prince troyen Énée, exilé après la fin de la guerre de Troie, ainsi que le raconte Virgile dans l’Énéide.

Source: radio france