Discours de Madame Rym Benzina, Présidente de La Saison Bleue, prononcé lors de la Conférence internationale sur l’économie bleue durable dans le Golfe de Guinée, le 9 juillet à Yaoundé (Cameroun)
22 juillet 2025
22 juillet 2025
Un Avenir Bleu Régénératif pour le Golfe de Guinée : Coopération et Innovation au Service de l’Afrique
Je remercie les autorités du Cameroun pour l’invitation
Excellences Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Monsieur le Ministre,
Monsieur l’Envoyé Spécial des Nations Unies pour l’Océan, messieurs & mesdames les représentant.e.s des délégations, de l’organisation
Mesdames, Messieurs, distingués Invités,
C’est avec une profonde humilité et une immense fierté que je me tiens devant vous aujourd’hui, en tant que femme africaine engagée, Tunisienne, et Présidente de l’association La Saison Bleue. Nos cœurs battent au rythme des vagues, nos actions sont guidées par la nécessité de protéger notre précieux océan, et notre vision est celle d’une économie bleue régénérative, porteuse d’espoir et de prospérité pour notre continent.
Nous sommes réunis ici, au Cameroun, cœur battant du Golfe de Guinée, pour la Conférence Internationale sur l’Économie Bleue Durable. Votre présence témoigne de votre engagement envers la sauvegarde de notre océan, et de votre conviction que le développement durable ne peut se faire sans une économie bleue régénérative. Votre dévouement est une source d’inspiration et une nécessité cruciale pour l’avenir de l’Afrique et de notre planète.
Le Golfe de Guinée : Un Carrefour Stratégique en Péril
Le Golfe de Guinée, avec sa biodiversité exubérante et ses ressources marines abondantes, est un pivot central de l’économie bleue africaine. Malheureusement, cette région est confrontée à des défis interdépendants qui menacent son équilibre fragile :
* La pollution marine, qui étouffe nos écosystèmes et empoisonne nos ressources. Je pense notamment au plastique, mais également à toutes les pollutions chimique et tellurique.
* La surexploitation des ressources, qui épuise nos stocks de poissons et compromet la sécurité alimentaire.
* La pêche illégale, qui prive nos communautés locales de leurs moyens de subsistance et déstabilise nos économies. A noter que la pêche dite INN conduit à la perte de 300 000 emplois de pêches artisanales et fait perdre à l’Afrique de l’ouest 10 milliards $ par an
* Le changement climatique, qui amplifie les phénomènes extrêmes, acidifie les eaux, la désoxygène, élève le niveau de la mer, s’ajoute à l’érosion et menace nos côtes.
* L’insécurité maritime, qui entrave le commerce, favorise les trafics illicites et déstabilise la région.
L’Afrique Océanique : Une Puissance en Émergence
Face à ces défis, le Cameroun, le Golfe de Guinée, l’Afrique ne se résigne pas. Comme le soulignait le Secrétaire Général des Nations Unies, Antonio Guterres, à la Conférence Océan des Nations Unies de Nice, il y a tout juste un mois, »l’avenir de l’Afrique s’inscrit aussi dans ses eaux ». Loin de l’image d’un continent purement continental, l’Afrique se révèle comme une puissance océanique en pleine émergence, un « Continent Insulaire » baigné par trois océans : la Méditerranée, l’Atlantique et l’océan Indien auquel il faut rajouter la mer Rouge.
Le commerce international, véritable moteur de la croissance africaine, transite à plus de 90 % par les voies maritimes. Nos ports, nos détroits et nos canaux jouent un rôle crucial dans ces échanges, reliant l’Asie à l’Europe et faisant de la « mer africaine » un carrefour vital pour l’économie mondiale.
Repenser Notre Approche : Une Économie Bleue Régénérative
Dans ce contexte, il est impératif de repenser notre approche du développement économique et de bâtir une économie bleue régénérative, qui ne se contente pas d’exploiter les ressources, mais qui les restaure, les régénère et les valorise. Nous devons rompre avec les modèles extractivistes du passé et embrasser une vision holistique, qui place l’humain et l’environnement au cœur de nos préoccupations. Cela signifie :
– Investir dans la pêche durable, en soutenant les pratiques artisanales, en luttant contre la pêche illégale et en promouvant une aquaculture responsable.
– Développer un tourisme côtier respectueux de l’environne ment, qui valorise la culture locale et profite aux communautés côtières.
– Encourager les énergies marines renouvelables, en exploitant le potentiel de l’éolien offshore, de l’énergie houlomotrice et de l’énergie thermique des mers.
– Soutenir la recherche et l’innovation, pour développer des technologies propres et des solutions adaptées aux défis de notre continent grâce au numérique et à l’IA
– Miser sur la Science pour une meilleure connaissance et pouvoir agir pour le bien de la biodiversité et une économie régénérative
– Impliquer les communautés locales dans la gestion des ressources marines, en reconnaissant leurs savoirs traditionnels et en leur donnant les moyens de participer aux décisions qui les concernent, les impliquer dans la restauration de la biodiversité, des herbiers marins, des mangroves
– Répliquer et partager les meilleures pratiques, les projets réussis dans toute la région
L’Unité Africaine : Une Force Motrice pour le Changement
Pour relever ces défis, l’Afrique doit parler d’une seule voix sur la scène internationale. Il n’y a pas d’Afrique du Nord, du Sud, de l’Est, de l’Ouest ou de l’Océan Indien, il y a une seule Afrique, interconnectée, reliant les pays côtiers et enclavés, riche de sa jeunesse, de ses startups innovantes, de ses femmes engagées et de ses communautés locales. Je pense que l’Union Africaine doit jouer pleinement son rôle de catalyseur et d’intégrateur, en appelant à une transformation profonde de nos modes de gouvernance et d’investissement. Mais je pense aussi qu’avant c’est à chaque pays de penser sa transformation vers cette économie bleue durable.
Pour soutenir cet effort collectif, je vous invite à rejoindre le Blue Africa Summit, qui se tiendra les 9 et 10 octobre 2025 à Tanger, au Maroc, sous le Haut Patronage de Sa Majesté le Roi Mohammed VI. Ce sommet sera l’occasion d’unir nos visions et de travailler ensemble pour le Pacte pour une Afrique Bleue Durable.
Le Pacte pour une Afrique Bleue Durable : Un Cap vers l’Avenir
Mesdames et Messieurs, nous avons dressé un tableau des défis auxquels l’Afrique est confrontée. Mais il est temps de parler de solutions. C’est pourquoi je suis particulièrement fière de vous présenter une initiative qui représente une véritable rupture, une boussole pour naviguer vers un avenir bleu : la Mission « Pacte pour une Afrique Bleue Durable ».
Ce Pacte, porté par l’Académie du Royaume du Maroc et La Saison Bleue, a été officiellement présenté à Nice le 11 juin 2025, dans le cadre du programme de la 3ème Conférence Océan des Nations Unies (UNOC3). Et a été retenu dans des Engagements de Nice pour l’Océan.
Il nous incombe aujourd’hui la responsabilité de présenter cette feuille de route d’ici un an et demi, à l’automne 2026 lors de la 4ème édition du Blue Africa Summit.
L’Ambition du Pacte :
La Mission « Pacte pour une Afrique Bleue Durable » n’est pas simplement un projet, c’est une vision stratégique pour transformer le potentiel maritime de l’Afrique en une réalité tangible. Notre ambition est claire :
– Penser l’Afrique bleue comme partie intégrante d’un système maritime régional incluant le bassin Atlantique, la Méditerranée, l’Europe, l’Océan Indien et la mer Rouge ;
– Établir une première cartographie, pays par pays, bassin par bassin, des opportunités maritimes — économiques, environnementales et sociétales — du continent à l’automne 2025, lors de la 3ᵉ édition du Blue Africa Summit ;
– Mettre en place quatre collèges d’experts autour des thématiques suivantes :
– Produire les premières recommandations stratégiques à l’automne 2026, lors de la 4ᵉ édition du Blue Africa Summit ;
– Développer dès 2027, sur demande et lors de séquences de la Mission sur le terrain, des focus et scenarios à l’échelle globale, régionale et nationale et accompagner les états comme les investisseurs dans le développement des projets
Conclusion : Un Appel à l’Action Collective
Chers amis, l’heure est venue de passer à l’action. Nous n’avons plus besoin de bla bla bla, pas que de blue, blue blue. On ne compte plus les déclarations, les engagements pour l’Afrique bleue, les conférences, les forums, les sommets. Nous ne pouvons attendre 2063, comme l’Union africaine parfois nous le demande. C’est maintenant, tout de suite, à Yaoundé, puis à Tanger cet automne. L’avenir de l’Afrique se joue dans ses eaux, et c’est ensemble que nous devons construire une économie bleue régénérative, qui protège nos océans, nourrit nos populations et assure un avenir prospère pour les générations futures.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon le dernier rapport de l’OCDE, si l’économie bleue était un pays, elle serait la 5ème économie mondiale, et d’ici 10 ans, elle pourrait devenir la 3ème. Pourtant, aujourd’hui, l’Afrique est trop souvent absente, voire dépossédée de cette formidable opportunité. L’Asie, avec 54% du portefeuille d’actions bleues, domine ce secteur en pleine expansion.
Il est temps que l’Afrique prenne sa part, qu’elle saisisse cette occasion unique de façonner son propre destin maritime. Nos leaders politiques doivent agir, nos leaders économiques et financiers tout autant. Mais ils doivent écouter les scientifiques et les représentants de la société civile qui souvent sont ignorés dans leurs constats, leurs plaidoyers. Comme le disait votre grand écrivain camerounais, Mongo Beti, dans Mission partagée : « Le drame dont souffre notre notre peuple est celui d ‘un homme laissé à lui-même dans un monde qui ne lui appartient pas, un monde qu ‘il n ‘a pas fait, un monde où il ne comprend rien ». Alors ce monde de l’océan, prenons le dans nos mains, cette Afrique bleue, faisons la nous-mêmes, cette science au service de la protection et de l’exploitation durable de l’océan, écoutons là, chères soeurs, chers frères !
Je vous attends donc avec impatience à Tanger les 9 et 10 octobre prochains pour le Blue Africa Summit et dans les collèges d’experts, dès ce début septembre, si vous voulez être les architectes de cette boussole stratégique pour l’Océan de l’Afrique.
Enfin j’ai une dernière requête, elle s’adresse directement aux autorités du Cameroun. Je veux vous parler de la Haute Mer et des Grands fonds marins.
Le 2 mai 2025, le Cameroun a signé le traité dit BBNJ, qui protégera et permettra une exploitation durable et équitable de l’océan, de la Haute mer, c’est-à-dire de 50% de la surface du globe. Imaginez vous, la moitié de notre planète ! Le 23 septembre, cette année, à l’Assemblée générale des Nations Unies, une dizaine de pays s’ajouteront aux 50 états membres qui ont déjà ratifié lors de l’UNOC3 à Nice. Avec 60 ratifications déposées, le Traité entrera enfin en vigueur et un chapitre nouveau de l’Océan s’ouvrira. Merci au Cameroun, à son parlement, à ses autorités politiques d’être au rendez-vous de la ratification de BBNJ ce 23 septembre et d’être ainsi un champion de l’Océan sur lequel tous les projecteurs se braqueront. Il faut se dépêcher.
Je vous remercie de votre attention,
Ensemble, créons une Afrique bleue, durable, résiliente et prospère !
Ainek al baher
Rym Benzina,
Présidente de La Saison Bleue