Yosheta Surroop, biologiste marine : «Nous avons replanté plus de 35 000 fragments de coraux»

 

Yosheta Surroop, 22 ans, est diplômée en biotechnologie. Elle est biologiste marine à temps partiel pour l’ONG EcoMode Society qui œuvre pour la conservation de nos océans depuis 2012. Quelles sont les étapes de la culture des coraux ? Pourquoi est-ce important ? Elle nous l’explique.

Expliquez-nous la fragmentation des coraux.
Une fois que le corail, dit « Coral of Opportunities », est retiré des profondeurs de la mer, il est placé dans un bac rempli d’eau de mer pour le garder humide. A l’aide d’une pince, des fragments de coraux sont fixés sur des cordes, lesquelles sont par la suite attachées à des structures stables, telles que des structures métalliques connues comme « Spider Frames ». Les pépinières sont surveillées pour empêcher les prédateurs tels que le Crown of Thorns Starfish d’y faire des ravages. 

Nous utilisons également des techniques de micro-fragmentation, où nous fragmentons les coraux en très petites tailles (3-5 millimètres) et nous les fixons à l’aide d’époxy compatible avec les coraux sur des structures en béton.

C’est le bicarbonate de calcium dans le béton qui favorise la croissance des coraux ? 
Effectivement. De plus, la conception permet une pénétration adéquate de la lumière du soleil. Au fur et à mesure que les coraux grandissent, leurs squelettes calcaires s’accumulent et se lient, contribuant à la colonie de coraux. Nous avons créé et renforcé 20 blocs de béton avec des barres de fer de 10, 12 et 16 millimètres de diamètre. Les coraux cultivés dans la pépinière de Pointe-aux-Feuilles sont ensuite transférés à Pointe-d’Esny, où le nombre d’espèces de poissons a considérablement augmenté depuis l’établissement des pépinières.

Vous nous donnez des exemples des espèces de poissons dont le nombre a augmenté grâce à la culture des coraux ?
Certainement. Les espèces de poissons dont le nombre a augmenté depuis cette initiative de culture de coraux pour sauver nos récifs coralliens sont le Grey Damselfish (Chrysiptera glauca), le Spottail coris (Coris caudimacula), le Honeycomb grouper (Epinephelus merra), le Convict surgeonfish (Acanthurus triostegus) et l’Epaulette surgeonfish (Acanthurus nigricauda).

En combien de temps les coraux deviennent-ils matures ?
Les taux de croissance varient de 0,3 à 2 centimètres par an pour les coraux massifs et jusqu’à 10 centimètres par an pour les coraux ramifiés.

Quelle est la superficie d’une pépinière de coraux et combien y en a-t-il à Pointe-aux-Feuilles ?
Une pépinière mesure un mètre de long avec une largeur de deux mètres. À Pointe-aux-Feuilles, nous avons installé plus d’une centaine de pépinières.

Combien de fragments ont été plantés ?
À ce jour, nous avons réussi à planter plus de 35 000 fragments de coraux dans les pépinières sous-marines.

Pourquoi faut-il replanter les coraux ?
Les récifs coralliens agissent comme des forêts tropicales marines. Ce sont des points chauds de biodiversité, fournissant un habitat à de nombreuses espèces marines telles que les poissons, les crustacés et les éponges. Étant donné la dépendance de Maurice à cette diversité marine en tant que petit État insulaire en développement (SIDS), nous comptons sur les récifs coralliens pour l’économie, avec une production de poisson d’environ 29 000 tonnes métriques. L’économie bleue contribue à 10 % du Produit intérieur brut. 

De plus, les récifs coralliens protègent la côte en agissant comme des barrières naturelles contre l’énergie des vagues. Cette protection côtière, ainsi que leur capacité à attirer les éco-touristes, boostent l’économie de Maurice grâce à l’industrie du tourisme.

Quel constat faites-vous de l’état des coraux dans cette partie de l’île ?
Les récifs coralliens sont menacés par diverses activités anthropiques, notamment les déchets agricoles et industriels, le développement côtier et le tourisme. Les changements climatiques sont un autre facteur significatif, car l’augmentation des températures de surface de la mer et l’acidification des océans provoquent l’expulsion des zooxanthelles présentes dans les polypes coralliens. Ces micro-algues ont une relation symbiotique avec les coraux, fournissant des nutriments par photosynthèse en échange d’un abri. Leur expulsion entraîne ainsi la mort des coraux et un blanchissement subséquent.

Quels sont les impacts d’une marée noire sur les coraux de ce site, comme celle causée par l’échouement du MV Wakashio en 2020 ?
L’exposition à l’huile déversée peut avoir plusieurs effets néfastes sur les coraux tels que le stress biochimique, reproductif et développemental, entraînant la mort des tissus. Mais aussi, une activité zooxanthellaire altérée, une production accrue de mucus, l’expulsion des larves et des changements dans la calcification. EcoMode Society a réussi à entamer la restauration du site affecté par le déversement de l’huile lourde du MV Wakashio.

Si les coraux ne sont pas cultivés, que risquons-nous face aux changements climatiques ?
Si nous ne replantons pas les coraux, nous faisons face à plusieurs risques importants. Par exemple, le déclin des récifs coralliens entraîne une perte d’habitats pour les poissons, ce qui entraîne une diminution de la population des espèces dans nos lagons. Par ricochet, cela affecte le secteur de la pêche à Maurice, qui est une partie cruciale de notre PIB. 

Nous risquons aussi de perdre la biodiversité ?
Les récifs coralliens abritent de nombreuses espèces marines et sans eux, nous risquons de perdre la biodiversité y compris des espèces marines endémiques uniques à notre région. De plus, les récifs coralliens agissent comme des barrières naturelles contre l’énergie des vagues. Sans eux, l’érosion côtière augmentera, impactant négativement le secteur du tourisme, vital pour notre économie. Le déclin des récifs coralliens et des populations de poissons entraînera également des pertes d’emplois dans les secteurs du tourisme et de la pêche. Les pêcheurs perdront également leurs moyens de subsistance en raison de l’indisponibilité des poissons. 

De ce fait, replanter des coraux est essentiel pour maintenir l’équilibre écologique, protéger notre littoral et soutenir notre économie et nos secteurs d’emplois.

Qu’en est-il de l’engagement communautaire lié à cette initiative ?
EcoMode Society met l’accent sur l’engagement communautaire à travers des stratégies telles que l’implication de la communauté, des sessions de formation et des ateliers pour sensibiliser les locaux, les jeunes et les pêcheurs. Par exemple, nous avons organisé un atelier de trois jours sur la culture de coraux à l’université avec le professeur associé Dr Nadeem Nazurally. Cet atelier comprenait des conférences informatives sur l’importance des récifs coralliens et une visite à la pépinière de Pointe-aux-Feuilles où les participants ont activement contribué aux activités de culture de coraux.

Revenons à l’initiative TECH4 NATURE. Les caméras dans les dômes sous l’eau vous permettent de faire quoi comme monitoring ?
La surveillance est une étape cruciale après le transplantement des coraux pour s’assurer qu’ils poussent bien et qu’ils sont protégés des perturbations humaines telles que la navigation ou la pêche non durable. Nous devons également protéger les coraux des prédateurs comme l’étoile de mer couronne d’épines, qui se nourrit de coraux. Donc, les caméras dans les dômes sous l’eau nous aident grandement dans cette tâche de surveillance quotidienne, qui est essentielle pour répondre à ces problèmes.

Difficile de visiter le site tous les jours ?
Comme visiter le site tous les jours est chronophage, nécessitant un bateau, je viens ici une fois par semaine. C’est là que les caméras sous-marines deviennent inestimables. Elles nous permettent de surveiller les pépinières en direct depuis notre bureau ou notre domicile. Si nous détectons la présence de prédateurs, nous pouvons intervenir rapidement pour les retirer. De plus, les caméras de surface nous aident à observer toute activité inhabituelle près du site de la pépinière.

Sans cette solution technologique installée par Huawei, comment auriez-vous fait la surveillance ?
Sans cela, je pense que nous aurions été contraints de faire des visites fréquentes ou quotidiennes sur le site pour s’assurer de la croissance des coraux et de l’absence de prédateurs.

Les caméras sur la surface vous permettent de faire quoi ?
Ils permettent de surveiller la zone de la pépinière, la pêche non durable ainsi que les activités touristiques ou activités de navigation perturbatrices près de Pointe-aux-Feuilles.

Quels défis rencontrez-vous ?
Un grand défi est le besoin de compétences spécialisées pour prendre soin des coraux correctement. Il n’y a pas toujours suffisamment d’espace, d’équipements ou de financement pour cultiver les coraux à grande échelle. Les problèmes environnementaux comme les changements de température de l’eau et la pollution, peuvent également affecter la croissance des coraux. Nous avons sérieusement besoin de mieux protéger les sites déjà restaurés 

Quelle est l’importance de la collecte des données de nos jours ?
Tout d’abord, cela fournit des informations sur la résilience des récifs coralliens face aux changements climatiques et aux activités humaines. La surveillance régulière aide à évaluer leur capacité à se régénérer et à s’adapter aux conditions environnementales changeantes. La collecte de données aide les scientifiques à comprendre la biologie et l’écologie des coraux, ce qui est essentiel pour développer des stratégies efficaces de restauration et de conservation. Enfin, ces données sensibilisent le public à l’importance de préserver les écosystèmes marins, assurant la durabilité à long terme des récifs coralliens et leurs bénéfices socio-économiques.

Le mot de la fin : qu’est-ce qui vous passionne le plus dans votre travail ?
Ce qui me réjouit le plus dans mon travail, c’est le monde sous-marin lui-même. Tout a commencé lors de ma dissertation de fin d’année axée sur les herbiers marins où j’ai développé une profonde appréciation pour l’environnement caché sous les vagues. La diversité des espèces, leurs formes, couleurs et comportements variés rendent la vie marine incroyablement exquise. 

Je me sens privilégiée d’observer ce monde sous-marin dans le cadre de mon travail et de contribuer activement à sa conservation. Pouvoir prendre des mesures pour protéger et préserver cet écosystème délicat est à la fois gratifiant et inspirant pour moi.

Source: Defi media