Vol 9 – N°9 Spécial issue UNOC 2025
23 mai 2025
23 mai 2025
Ce numéro spécial met en lumière la rencontre entre l’art et la science sur la Côte d’Azur, à l’occasion de la 3e Conférence des Nations Unies sur l’Océan (UNOC) et du Congrès One Ocean Science (OOSC), organisés à Nice en juin 2025. Il retrace la riche tradition naturaliste et scientifique de la région tout en valorisant les initiatives culturelles contemporaines comme la Biennale des Arts et de l’Océan. Ce dossier rend hommage aux figures historiques, aux pionniers de la biologie marine et aux chercheurs d’aujourd’hui qui contribuent à une meilleure compréhension et préservation des océans.
Nous soulignons l’importance cruciale de l’océan pour la santé de la planète, la prospérité économique et le bien-être humain, tout en mettant en lumière les menaces urgentes auxquelles il est confronté : changement climatique, pollution, surpêche et gouvernance insuffisante. Il présente le One Ocean Science Congress (OOSC) et la 3e Confé-rence des Nations Unies sur l’Océan (UNOC3), qui se tiendront en juin 2025 à Nice, comme des événements clés pour promouvoir la durabilité de l’océan à travers des politiques fondées sur la science, l’innovation et la coopération interna-tionale. Le congrès OOS formulera des recommandations scientifiques à l’attention des chefs d’États et de gouverne-ments, tandis que deux autres forums de haut niveau — le Sommet sur l’élévation du niveau de la mer et la résilience cô-tière, et le Forum sur l’économie bleue et la finance — aborderont respectivement l’adaptation au des zones littorales et l’investissement durable. L’ensemble de ces efforts aboutira au Plan d’action de Nice pour l’océan, structuré autour d’une déclaration politique, d’engagements volontaires et de priorités stratégiques centrées sur le renforcement des processus multilatéraux, la mobilisation des financements et l’accroissement des connaissances scientifiques afin de faire progres-ser l’Objectif de Développement Durable 14 et garantir un océan résilient et prospère pour les générations futures.
Science et connaissance ont toujours été une source d’inspiration pour les artistes. C’est dans cet esprit que la Fondation Tara Océan collabore étroitement et organise des expositions avec des artistes, pour cultiver un autre regard sur ses expéditions scientifiques et l’Océan. En résidences artistiques à bord de la goélette et la station polaire, à travers leurs regards uniques et leurs créativités, ils capturent et réinterprètent la richesse de l’Océan, la recherche scientifique et la vie quotidienne à huis clos. L’objectif est de sensibiliser le public à la beauté et l’importance de l’Océan.
Au début de sa longue carrière, Ernst Haeckel (1834 – 1919) s’est rendu deux fois à Villefranche-sur-mer. D’abord en tant qu’étudiant, en 1856, lors d’un voyage d’échantillonnage à Nice, puis de nouveau en 1864, lorsque ses parents l’envoyèrent à Nice pour un dépaysement total à la suite du décès prématuré de sa première femme. Les deux visites semblent avoir été des événements clés dans le développement de la science et de l’art de Haeckel au début de ses études, d’abord sur les radiolaires, puis sur les méduses. Lors de sa visite en 1856, il observa pour la première fois des radiolaires vivants, groupe de protistes planctoniques microscopiques, sujet de son premier travail monographique en 1862 qui le rendit célèbre à un jeune âge. Pendant la visite de 1864, il résida à Villefranche-sur-mer. Il y fit pour la première fois des observations détaillées sur le développement et la morphologie des méduses. Il a par la suite produit des monographies monumentales sur les radiolaires et les méduses, par exemple les rapports Challenger, qui demeurent aujourd’hui ses principales contributions scientifiques. La renommée artistique de Haeckel provient en grande partie de son livre « Kunstformen der Natur ». Le livre s’appuie beaucoup sur des illustrations de radiolaires et de méduses, plus que d’autres groupes d’organismes, et contient des images emblématiques de méduses et de radiolaires, suggérant une influence majeure dans l’art de Haeckel pour ces deux groupes, étroitement liée aux visites de Haeckel à Villefranche-sur-mer.
Grâce à ses livres illustrés sur la région, Albanis Beaumont a été l’un des premiers à faire de la région de Nice, aujourd’hui connue sous le nom de Côte d’Azur, une destination prisée des riches et curieux de Grande-Bretagne. Ses oeuvres de grand format présentaient des scènes de campagne attrayantes et remarquablement détaillées, notamment des vues du littoral. Ses textes couvraient des aspects de l’histoire ancienne et naturelle, sujets d’intérêt pour l’aristocratie de l’époque. Bien que célèbre à son époque, Beaumont est aujourd’hui un personnage oublié et ses oeuvres sont peu connues, hormis des collectionneurs de livres rares. L’ouvrage présente d’abord un bref récit de la vie atypique d’Albanis Beaumont et de celle, tout aussi atypique, de son collaborateur artistique, Cornelius Apostool, graveur à l’origine de nombreuses estampes réalisées à partir de ses dessins. Les biographies sont suivies d’une exposition de ses oeuvres présentant des vues de la région, accompagnées de notes sur leur réception à l’époque. Il s’agit du « Voyage historique et pittoresque du comté de Nice » de 1787, des « Select Views of the South of France with Topographical and Historical Descriptions » de 1794, du « Travels through the Maritime Alps from Italy to Lyon across the Col de Tende, by the way of Nice, Provence, Languedoc, etc. » de 1795, ainsi que de la traduction non autorisée de l’ouvrage de 1787, publiée anonymement sous le titre « « An Historical and Picturesque Description of the County of Nice » (1792).
Nous racontons l’histoire de l’évolution des connaissances de la flore et la faune dans la région niçoise et en particulier celle de la faune pélagique. Dans les années 1800, Antoine Risso, Jean Gabriel Prêtre, François Péron et Alexandre Lesueur décrivent et peignent les fleurs, les poissons et des invertébrés marins. Au milieu du siècle, le naturaliste niçois, Jean Baptiste Vérany accueille des savants allemands et suisses – Johannes Müller, Rudolf Leuckart, Ernst Haeckel et Carl Vogt – qui influencent les recherches et le destin de la biologie dans la région par leurs descriptions illustrées d’organismes jusqu’alors ignorés comme les siphonophores et les radiolaires. Et dans les années 1880, Hermann Fol, Jules Barrois et Alexis Korotneff créent une station marine accueillante à Villefranche sur Mer, reconnue depuis comme un site exceptionel pour l’étude du plancton. A partir du milieu du 19ème, le Muséum d’Histoire Naturelle de Nice s’enrichit des collections de Risso, Vérany et Jean Baptiste Barla épaulés par Vincent Fossat, un peintre / illustrateur talentueux. A la fin du siècle, la région niçoise attire les souverains et aristocrates anglais et russes, des biologistes et des peintres impressionistes. Dans un article compagnon (Sardet 2024 /2 Les modernes – de 1970 à 2024), nous montrons que les organismes explorés au 19ème siècle sont toujours l’objet de recherches à l’Institut de la Mer de Villefranche (IMEV).
Dans un article complémentaire (Sardet 2024/ 1 Les anciens : de 1800 à 1900), nous avons relaté l’histoire de l’exploration de la faune de la région niçoise, et en particulier des organismes pélagiques. Dans cet article, nous examinons comment, plus d’un siècle plus tard, la recherche scientifique en biologie et physiologie cellulaire et moléculaire du développement a évoluée à la station marine de Villefranche sur Mer. Alors que la biologie et l’écologie du plancton sont prédominants sur le site et ont progressivement conduit à la croissance d’un grand laboratoire d’Océanographie de Villefranche (LOV), à partir des années 1960 de nouvelles équipes de recherche sur la physiologie des poissons et des protistes ont été accueillies. Et dans les années 1980, une équipe de recherche créée par le CNRS a évoluée graduellement en l’actuel Laboratoire de Biologie du Développement (LBDV). Nous décrivons comment les techniques d’imagerie et de biologie cellulaire moléculaire ont permis d’analyser l’ovogénèse, la fécondation et le développement chez les oursins, tuniciers, cténophores, cnidaires et d’autres organismes marins dont certains étaient déjà étudiés par les fondateurs et les visiteurs de la station marine au 19ème siècle. Nous soulignons que de nouveaux modèles – l’ascidie Phallusia, l’appendiculaire Oikopleura et la méduse hydrozoaire Clytia – se sont développés sur le site. Nous détaillons aussi les efforts des chercheurs pour promouvoir leurs découvertes par le biais de photographies, de dessins, d’expositions et sites internet esthétiques.
Cet article souligne l’importance de combiner des approches à la fois scientifiques et artistiques pour développer la conscience des problématiques océaniques et développer une culture marine et maritime. L’expérience de l’Université Internationale de la Mer, basée sur la Côte d’Azur, en donne l’illustration. L’article esquisse différentes manières par lesquelles la combinaison des arts et les sciences contribue à l’acculturation à l’océan et à son étude. Il montre également le rôle d’une double démarche scientifique et artistique dans la prospective des mers et des littoraux. Acculturation et prospective sont essentielles pour relever les défis posés à long terme par les transformations de l’océan, comme le met en évidence UNOC3.