Une ferme d’algues en voie de devenir un puits de carbone géant

La « forêt dorée » au centre de l’Atlantique devrait être en mesure de capter une gigatonne de dioxyde de carbone chaque année.

Les données confirment que l’augmentation massive des émissions de gaz à effet de serre nous dirige tout droit vers un scénario de chaos climatique. Ce fait motive les scientifiques et les entreprises à inventer des solutions ambitieuses en matière de captation de carbone.

C’est dans cette optique que l’entreprise britannique Seafields Solutions a décidé d’utiliser, de manière inusitée, ses biens fonciers pour développer une ferme d’algues géante au milieu de l’océan Atlantique, capable de capturer une gigatonne de dioxyde de carbone par an.

 

Des objectifs d’envergure

 

Ambitieuse, la société désire être en première ligne de la « révolution agricole basée sur l’océan » en installant une ferme de sargasse de 94 000 kilomètres carrés dans le gyre de l’Atlantique Nord, où elle tourbillonnera plus ou moins en place.

The planned location for the giant seaweed farm. (Seafield Solutions)L’emplacement prévu pour la ferme d’algues géante. (Seafields Solutions)

Dans une entrevue avec The Weather Network, John Auckland, directeur et co-fondateur de Seafields Solutions, a expliqué que non seulement l’élimination du carbone de l’atmosphère est un problème urgent pour atténuer les graves impacts du changement climatique, mais que les algues peuvent être utilisées pour créer des solutions durables telles que du biocarburant et du bioplastique.

 

Une algue fort utile

 

La sargasse est un type d’algue qui a été choisi par l’entreprise en raison de sa grande capacité à stocker du carbone dans sa biomasse, de sa nature flottante et de sa capacité à doubler de taille toutes les deux semaines.

Lorsque les sargasses atteignent une certaine taille, elles sont récoltées et compressées en ballots destinés au fond de l’océan. Seafields Solutions a baptisé ces ballots « batteries de carbone » puisqu’une fois au fond de l’eau, le carbone qui y est piégé, reste au fond de l’océan et hors de l’atmosphère pendant des milliers d’années.

The compressed Sargassum becomes a "carbon battery" and sinks to the bottom of the ocean. (Seafield Solutions)La sargasse compressée devient une « batterie de carbone » et coule au fond de l’océan. (Seafields Solutions)

Des tests en mer sont en cours à Saint-Vincent pour voir si l’entreprise peut être la première à « domestiquer » la sargasse. Lorsque l’entreprise aura prouvé que les algues peuvent pousser à l’intérieur de la barrière au large, les prochaines phases consisteront à tester des méthodes d’écopage et de naufrage et à fournir la preuve que laisser les ballots au fond de l’océan n’a aucun impact sur l’environnement.

« Les ballots coulent jusqu’à une profondeur de 4 000 mètres en 7 heures. Cela signifie qu’ils se déplacent si rapidement qu’il est très difficile pour un animal de les manger en descendant. C’est aussi un élément très important », a expliqué M. Auckland.

A mat of wild Sargassum growing in the ocean. (Seafield Solutions)

L’équipe conçoit également des tuyaux qui transporteront de l’eau froide, à faible salinité et riche en nutriments, à une profondeur de 350 mètres. Ceux-ci pourront être utilisés pour les algues en croissance.

Ce transport par eau ne nécessite aucun apport énergétique. Mais M. Auckland souligne que même si la technologie des canalisations existe depuis plusieurs décennies, elle doit encore être testée et mise à l’échelle pour être économiquement viable.

La ferme d’algues ne sera donc pas entièrement autonome. Environ 2 000 employés travailleront sur place par cycle de trois mois, tout en vivant dans des installations et maisons terrestres.

« C’est comme construire la Station spatiale internationale au milieu de l’océan », a déclaré M. Auckland. La société espère que cette opportunité d’emploi pourra attirer les personnes de l’industrie pétrolière et gazière extracôtière qui s’intéressent au secteur de la durabilité.

Étant donné l’aspect nouveau des puits de carbone, M. Auckland a indiqué qu’il y voyait aussi un potentiel pour le tourisme.

« Victor Smetacek, notre fondateur visionnaire parle de la “République des sargasses” comme étant une destination touristique. Les gens voudront venir voir cette “forêt tropicale dorée” qui s’étend à perte de vue. Ça va être beau et vraiment une opportunité touristique intéressante », a déclaré M. Auckland.

Ce dernier a rappelé que les sargasses peuvent aussi être utilisées pour fournir des solutions de rechange durables aux produits à base de combustibles fossiles, tels que les biocarburants, les bioplastiques et les émulsifiants.

« L’industrie cosmétique est absolument dépendante, car elle a besoin d’émulsifiants qui permettent à l’huile de se mélanger à l’eau. C’est absolument essentiel dans les nombreux produits cosmétiques et dans notre alimentation », a expliqué M. Auckland.

« Nos partenaires, CarbonWave, ont réussi à créer un émulsifiant à partir de sargasses, la première alternative potentiellement commercialement viable à un émulsifiant à base de combustible fossile. Nous pourrons donc bientôt commencer à fournir cela à l’industrie cosmétique ».

Dr. Mar Fernández-Méndez, lead scientist, analyzing the growth rates of Sargassum samples. (Seafield Solutions)Dr Mar Fernández-Méndez, scientifique principal, analysant les taux de croissance d’échantillons de sargasses. (Seafields Solutions)

 

Un parcours semé d’embûches…

 

Comme pour toute initiative en cours de développement, M. Auckland reconnaît que des défis les attendent.

« Nous pourrions voir nos activités bloquées. Il pourrait y avoir une réglementation qui nous empêcherait d’opérer dans les eaux internationales médio-océaniques. Il n’y a actuellement aucune réglementation qui nous en empêche légalement. Mais, il existe certains cadres dans les politiques internationales auxquels nous devrions adhérer », a déclaré ce dernier.

La perception d’une ferme d’algues géante de 94 000 kilomètres carrés et de son impact environnemental pourrait aussi faire partie des autres obstacles potentiels. Bien que les recherches de l’entreprise indiquent que le projet aurait très peu d’impacts négatifs, il existe des écosystèmes voisins qui nécessiteront des évaluations et une surveillance environnementale.

La viabilité commerciale est également une priorité absolue, ce qui, selon M. Auckland, comporte un risque « incroyablement faible », car tous les aspects de cette initiative intègrent des concepts et des technologies éprouvées.

La société a pour objectif de lever 5 millions de livres sterling de financement de démarrage d’ici le début de 2023. Puis, 20 millions de livres sterling supplémentaires seront nécessaires pour arriver à faire fonctionner la ferme d’algues, en plus des investissements en crédits carbone. M. Auckland estime qu’il faudra environ une décennie avant que la ferme d’algues soit en mesure de capter une gigatonne de carbone par an. On est donc loin de réserver nos vacances à la ferme, reste que le potentiel fait rêver.

« Ce que nous constatons, c’est que les investisseurs comprennent vraiment que la haute mer offre une quantité énorme d’espace et de potentiel. Cette conviction est donc très forte et peut nous amener très loin », conclut M. Auckland.