Un océan, une communauté : le GDR Omer brise les silos

Scientifiques, décideurs et artistes, ont redessiné les contours de la recherche pour éclairer les choix politiques et sociétaux lors d’une grande conférence organisée par le Groupement de Recherche OMER au siège du CNRS, à Paris les 3 et 4 février. Une ambition audacieuse, à quelques mois de la Conférence des Nations-Unies sur l’Océan, qui pourrait changer la donne pour la protection de l’océan. 

 

L’année de la Mer 2025 du CNRS

 

Dans le cadre de l’Année de la Mer 2025, le CNRS propose une série d’articles pour explorer de grands événements à la fois scientifiques et politiques dédiés à l’océan tout au long de l’année. Cette série mettra également en lumière les enjeux océaniques à travers les témoignages de doctorants et doctorantes, les initiatives des porteurs de programmes nationaux, et les perspectives de chercheurs et chercheuses engagés en France et à l’international.

« Les océans souffrent », alertait l’UNESCO à l’été 2024. Face à cette crise complexe, la science doit briser ses silos et reconnecter ses savoirs. C’est ce que fait le GDR OMER (Océan et mers). Créé en 2021, ce groupement de recherche du CNRS a fait de l’interdisciplinarité son cheval de bataille : tous ses groupes de travail et les thèses qu’ils financent repoussent ainsi les frontières traditionnelles de la science fondamentale. Véritable pépinière d’idées, OMER se situe comme une réflexion en amont d’autres projets sur l’océan qui existent aussi à l’échelle nationale et internationale.

À quelques mois de la 3e Conférence des Nations Unies sur l’Océan (UNOC3) et du One Ocean Science Congress (OOSC) qui se tiendront à Nice début juin, le GDR OMER a fait le point – lors des journées Océan et Mer du CNRS – sur ses dernières avancées, abordant des enjeux tels que les motivations de la recherche et le rôle des jeunes chercheurs dans les sciences marines. Pour la première fois, il s’est ouvert à de nouveaux acteurs externes à la recherche. Pendant deux jours, plus de 200 personnes, chercheurs, décideurs, acteurs des médias et artistes, se sont réunis au siège du CNRS pour explorer des questions cruciales : comment la science peut-elle mieux tacler les enjeux de l’océan ? Et comment les savoirs scientifiques peuvent-ils se consolider et progresser et ainsi nourrir des décisions politiques, économiques et sociales éclairées ?

Plus de 200 personnes ont assisté aux Journées Océan et Mer du CNRS les 3 et 4 février au siège du CNRS à Paris. © CNRS

L’interdisciplinarité : un pont essentiel entre savoirs et pratiques

Avec plus de 1 300 contributeurs, le GDR OMER sait fédérer la recherche. Ses groupes de travail abordent des thématiques aussi variées que les espaces littoraux, l’océan numérique ou les sons océaniques. « Centraliser les recherches sur l’océan semble évident, mais confronter toutes les spécialités autour de cet objet commun est une vraie complexité, témoigne Fabrizio D’Ortenzio, directeur du GDR OMER. C’est pourquoi nous avons lancé ces journées d’échanges ».

Chaque année, ces journées de rencontre permettent de suivre les travaux réalisés, d’échanger sur les avancées méthodologiques et thématiques, et de répondre aux enjeux émergents comme la gestion de nouvelles technologies (IA, jumeaux numériques…) et les questions qu’elles soulèvent (impact économique, environnemental, science ouverte,…). Les défis posés par l’interdisciplinarité scientifique comme la formation de nouveaux chercheurs, le dialogue entre les disciplines ou la publication de résultats interdisciplinaires ont été soulevés lors des tables rondes et des expositions rythmant la journée. Mais cette année, la nouveauté du programme tenait à son ouverture vers d’autres sphères de notre société.

L’urgence d’une science ouverte vers d’autres communautés

Après trois années de consolidation de la recherche, le GDR a souligné l’urgence d’une science plus ouverte vers les décideurs publics. Avec l’UNOC3 en ligne de mire, Olivier Poivre d’Arvor avait répondu présent à l’invitation du GDR OMER : « Il est utile de faire ce point d’étape. A Nice, nous serons à un moment formidable alors que se trouvera autour de la table de nombreux leaders qui pourront écouter et entendre. Ce contexte rend cette conférence passionnante et indispensable », déclarait l’envoyé spécial du Président de la république pour la Conférence des Nations-Unies sur l’océan à l’ouverture de la session « Agir pour l’océan – relier les sciences océaniques aux politiques publiques ».

Olivier Poivre d’Arvor, envoyé spécial du Président de la République pour la Conférence des Nations-Unies sur l’océan avait répondu présent aux journées Océan et Mer du CNRS. © CNRS

L’écho d’un monde politique en demande de connaissances scientifiques robustes pour prendre des décisions. « Nous avons pour mission de fédérer l’ensemble des composantes économiques, environnementales et sociales de la politique maritime. Pour ce faire, toutes nos politiques publiques, toutes nos décisions, se fondent sur la science. Pourtant, jamais l’action publique n’a été aussi contestée. Pour aller plus loin, il est évident que nous avons besoin d’approfondir des approches interdisciplinaires comme celle du GDR OMER », souligne Éric Banel, directeur général des affaires maritimes, de la pêche et de l’aquaculture (DGAMPA) et invité de la conférence.

La complexité de questions comme le développement des énergies marines renouvelables nécessite, par exemple, des connaissances approfondies (impacts sur l’environnement et la biodiversité, effets sur les masses d’eaux, bruits sous-marins…), mais elle demande surtout un énorme travail de conviction et d’explication, à l’image du débat public en mer que l’État a organisé en 2024. Il en est de même sur la gestion de la pêche ou la préservation des zones humides côtières. Tous ces enjeux imposent de meilleures collaborations entre science et politique.

Cependant, comme le souligne Éric Banel, cette connexion entre science et décision reste semée d’embûches : « Il y a un travail de rapprochement à faire afin que la proposition scientifique soit compréhensible pour le décideur public, et qu’inversement, la décision soit recevable par le scientifique ».

Grâce à des investissements massifs dans les programmes de recherche, la science océanique s’est beaucoup affinée ces dernières années et répond aujourd’hui aux principales attentes des décideurs. Les données sont disponibles en masse et les lieux d’échanges entre science et décision se sont multipliés. Des acteurs comme la POC (Plateforme Océan & Climat)1  sont des intermédiaires de choix entre science et décideurs. « Le véritable défi est d’organiser un dialogue fluide entre tous les acteurs : scientifiques, industriels, associations, citoyens, etc. sans lesquels la décision publique est difficile à prendre », ajoute Éric Banel.

Vers une gouvernance internationale de l’océan

Ce problème d’échange se reflète à l’échelle mondiale. Dépourvu de frontières, l’océan est actuellement au cœur de dynamiques internationales complexes. Cependant, comme le souligne Éric Banel, « si la gouvernance des océans est, certes, internationale, elle est tout sauf globale ». En effet, l’océan est au cœur d’intérêts divers et souvent contradictoires : environnement, transport maritime, pêche… Cette fragmentation se traduit par une multiplicité d’organisations, chacune portant des objectifs partiels (Organisation maritime internationale2 , Conseil international pour l’exploration de la mer3 , etc.).

Ces débats s’inscrivent en amont de la Conférence des Nations Unies sur l’Océan qui n’a pas manqué d’impacter la journée de par ses enjeux. Cet événement doit, en effet, proposer un cadre qui réunira ces voix divergentes autour d’une gouvernance commune et des objectifs clairs pour une gestion durable des océans. Et cette vision globale a besoin de connaissances scientifiques pour émerger. En retour, les scientifiques ont bien conscience du rôle crucial qu’ils ont à jouer. « Nous avons à cœur d’exprimer nos idées et des visions qui dépassent le cadre du GDR. C’est pourquoi trois groupes de travail d’OMER sur la gouvernance de l’océan, l’étude des grands fonds marins et la connectivité océanique, ont obtenus des sessions à la conférence scientifique One Ocean Science Congress organisé par le CNRS et l’Ifremer (qui précède l’UNOC) et qui doit faire émerger les défis prioritaires ciblés par les Nations unies», précise Fabrizio D’Ortenzio. 

Fabrizio D’Ortenzio, directeur du GDR OMER, Yunne Shin, présidente du Conseil scientifique du PPR Océan-Climat et Joachim Claudet, conseiller Océan auprès de la direction du CNRS. © CNRS

Sensibiliser tous les publics

La question de la communication scientifique était également un enjeu majeur de ces journées. « Les scientifiques ont un besoin urgent de mieux communiquer, plus vite et de manière plus adaptée à une société qui ne les écoute pas toujours », témoigne Laurent Chauvaud, chercheur et co-responsable du groupe de travail SIAM (Science et Art de la Mer) d’OMER et animateur au cours de la session « Partager autour de l’océan : le défi de l’information et du rêve ».

Pour cela, le monde académique multiplie depuis longtemps ses plateformes de diffusion allant de collaborations avec les médias à l’organisation d’expositions de vulgarisation dans les musées scientifiques. La pluralité des médias contemporains et les modes d’informations populaires actuels comme les vidéos (Youtube, réseaux sociaux…) et les podcasts, invitent les scientifiques à sortir des limites de la diffusion classique pour explorer de nouvelles façons de faire. « Ces dernières années, je sens une nouvelle génération de scientifiques qui veulent s’engager dans ce partage, mais de manière réfléchie et encadrée par des personnes qui maîtrisent les codes de la communication. Nous savons que nous devons prendre part aux débats sur l’océan, mais pas n’importe comment au risque de faire du mal au sujet malgré de bonnes intentions », remarque Fabrizio D’Ortenzio.

Enfin, l’art pourrait jouer un rôle plus important dans cette transmission. C’est ce qu’explore le travail SIAM sur l’interaction entre la science et l’art dans une perspective de communication plus inclusive et créative sur les océans. L’art permet notamment d’évoquer des réalités invisibles, comme les grands fonds marins, et d’enrichir le dialogue autour de ces enjeux cruciaux. « Connecter l’art et la science n’est pas nouveau. Au siècle des Lumières, il n’y avait pas de distinction entre les deux et étaient mélangés dans une culture commune. De la même façon qu’OMER décloisonne les disciplines, il y a un intérêt certain à reconnecter l’art et la science pour faire naître de nouvelles intelligences pour répondre aux enjeux océaniques », conclut Laurent Chauvaud.

Source : CNRS