UE-Maroc : la Commission sous pression pour sauver l’accord de pêche
24 octobre 2024
24 octobre 2024
L’onde de choc provoquée par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) concernant les accords de pêche UE-Maroc ne cesse de s’amplifier. Ce séisme juridique, provoqué par trois arrêts du 4 octobre, remet en cause les fondements mêmes de la relation entre Bruxelles et Rabat.
En coulisse, un haut responsable de l’UE, s’exprimant sous le couvert de l’anonymat, a qualifié la décision de la CJUE d’« abus de pouvoir ». « Ce que la Cour fait à travers un cas individuel revient, de facto, à essayer de changer la position officielle de l’UE sur un sujet de politique étrangère, poursuit-il. Le traité de Lisbonne ne permet pas à la Cour de décider quelle est la politique étrangère de l’UE. C’est le rôle du Conseil d’agir de cette façon. »
Cette réaction épidermique traduit un malaise profond au sein de l’exécutif européen. Lors de la réunion de la Commission pêche du Parlement européen, le 17 octobre, le représentant de la Commission von der Leyen a adopté une posture prudente, voire attentiste. « La Commission est toujours en train de l’étudier pour en délimiter les conséquences », a-t-il déclaré, ajoutant qu’il ne fallait pas « confondre vitesse et précipitation ». Cette prudence de la Commission contraste fortement avec l’urgence ressentie par les élus des régions directement impactées par la décision de la CJUE.
« C’est un aveu d’échec », a lancé le député socialiste espagnol Nicolas Gonzalez Casares. Il a exhorté la Commission à « passer à l’action » plus rapidement, soulignant les enjeux économiques et sociaux pour la flotte de pêche espagnole et l’ensemble de la filière. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : l’accord permettait à 128 navires de 11 pays membres de l’UE de pêcher dans les eaux marocaines.
L’Espagne, avec 93 navires, en était le plus grand bénéficiaire. Pour ce pays, l’enjeu est de taille : 20 % de sa production totale de pêche provient des eaux marocaines. M. Gonzalez Casares a mis en lumière la situation critique de la région de Cadix, la plus affectée par la décision de la CJUE.
Mais au-delà des enjeux économiques immédiats, c’est la dimension géopolitique qui inquiète. Nicolas Gonzalez Casares a agité le spectre d’un rapprochement entre le Maroc et la Russie si l’UE tardait trop à réagir. Une crainte plus que fondée. Selon l’agence de presse espagnole Europa Press, l’accord de pêche entre le Maroc et la Russie, arrivé à expiration en septembre, a été prorogé jusqu’à la fin de l’année dès le lendemain de la décision de la CJUE.
Cet accord octroie aux navires russes un quota annuel de pêche de 140 000 tonnes, principalement de petits poissons pélagiques, dans la zone économique atlantique du royaume. Plus inquiétant encore, une commission mixte entre le Maroc et la Russie sur la pêche a examiné les termes d’une future coopération qui couvrirait l’ensemble de la façade atlantique, de Tanger à Lagouira. De quoi faire frémir Bruxelles et Madrid.
Face à ce séisme diplomatico-juridique, la France tente de ménager la chèvre et le chou. Dans un communiqué sibyllin, le Quai d’Orsay « prend note » des arrêts de la CJUE, tout en réaffirmant son « attachement indéfectible » à son « partenariat d’exception » avec le Maroc. Cette position d’équilibriste sera sans doute mise à l’épreuve lors de la visite d’Emmanuel Macron à Rabat du 28 au 30 octobre, une occasion propice à une mise au point diplomatique.
La CJUE, dans ses arrêts, a rappelé que le Sahara occidental jouit d’un « statut séparé et distinct » par rapport au Maroc, conformément au principe d’autodétermination. La Cour estime que tout accord incluant ce territoire nécessite le consentement du peuple sahraoui.
À DécouvrirLe Kangourou du jourRépondreToutefois, les juges luxembourgeois ont ouvert la porte à un consentement implicite, sous réserve que deux conditions soient remplies : l’accord ne doit pas créer d’obligations pour le peuple sahraoui et doit prévoir des avantages « précis, substantiels et vérifiables » pour celui-ci.
La balle est désormais dans le camp de la Commission européenne. Comment concilier les exigences juridiques de la CJUE avec les réalités économiques et géopolitiques d’une région stratégique ? Le Néerlandais Peter van Dalen, eurodéputé du groupe souverainiste ECR, s’interroge sur l’existence d’un « plan B » de la Commission, tandis que les Verts demandent comment la Commission compte consulter les représentants du peuple sahraoui pour se conformer à l’arrêt. Le défi est de taille, et l’avenir des relations UE-Maroc en dépend.