Transport maritime, un secteur qui traumatise les banquiers

 

Depuis que deux compagnies maritimes marocaines leur doivent plus de 2 milliards de DH, les banques ont tourné le dos au secteur. Pourtant, le business reste rentable. 

« Il y a 40 ans, j’étais directeur à BMCE Bank. A l’époque, j’avais financé toute la flotte de la Comanav. Mais, en 2008, la compagnie a été privatisée, le secteur libéralisé et le code d’investissement dédié au secteur, suspendu. Depuis lors, c’est la descente aux enfers pour les compagnies marocaines qui, les unes après les autres, ont pratiquement toutes disparu. Aujourd’hui, en faisant appel aux compagnies étrangères, nous contribuons à l’amortissement des navires de ces dernières. Mais si actuellement lancer une compagnie maritime nécessite beaucoup d’argent, il n’en demeure pas moins qu’il y a assez de place pour une flotte marocaine», souligne Hassan Sentissi, président de l’Association marocaine des exportateurs (ASMEX).

Il faut dire, que depuis la suppression du soutien au secteur par l’Etat, les banques se sont d’abord proposées d’accompagner le secteur, mais ont très vite baissé les bras. Les compagnies maritimes marocaines, Comarit, Comanav Ferry, leur doivent encore plus de 2 milliards de DH. En mai 2013, elles qui espéraient récupérer une partie de cette dette lors de la vente aux enchères publiques du Biladi, navire appartenant à Comarit, pour la somme d’un million d’euros, alors que la mise à prix a été beaucoup plus importante, n’avaient finalement rien obtenu. En effet, la somme a plutôt servi prioritairement à rembourser les salariés et les créanciers européens. Les banques marocaines qui en avaient financé l’acquisition, ont été laissées au bord du quai. «Actuellement, le secteur bancaire est traumatisé par la série de faillites qu’a subies le secteur du transport maritime », se désole ce responsable au sein de la division engagement d’une grande banque de la place.  

Pourtant, à en croire l’Expert maritime et portuaire, si l’achat d’un navire est toujours subordonné à un marché durable, au Maroc le trafic des vracs solides (céréales, charbon et phosphates) assure cette garantie. Et de donner l’exemple de l’acquisition à 30 millions de dollars d’un vraquier de la catégorie Handymax d’une capacité de 35.000 tonnes de port en lourd (tpl) pour l’acheminement combiné des céréales et des minerais, phosphates ou charbon. 

Au Maroc, poursuit l’Expert, chacun de ces trois segments représente 10 millions de tonnes par an. Cette répartition constitue le principal motif, en ce sens qu’elle autorise une exploitation durable du navire, d’autant plus qu’il est idéalement positionnable dans un commerce triangulaire. Cela suppose un équipage de marins hautement expérimentés et un personnel à terre qui maîtrise parfaitement le référentiel des métiers portuaires, notamment leurs prolongements mutuels. La capacité d’expertise est à la fois une richesse et un enjeu : c’est la première clé du shipping. Les Charges d’un Handymax [ 11 000 dollars par jour ($/j) ] comportent deux postes: coût d’exploitation (6.000 $/j) et Coût de capital (5.000 $/j). Le taux d’affrètement étant égal à 15.000 $/j, il en découle la marge cherchée, soit 4.000 $/j, d’où la deuxième clé du shipping : équilibrer le couple marge/coût du capital. 

Pour le montage financier, explique-t-il, la marge constitue le résultat imposable. On retient le principe de l’impôt forfaitaire sur le tonnage car cette formule permet de figer, à l’avance, la redevance qui s’élève dans notre cas à 300 $/j. Au final, on dispose d’une source d’argent frais (3 700 $/j) injectable dans l’achat d’une seconde unité similaire ; d’où la troisième clé du shipping : constamment avoir à l’esprit le renouvellement de la flotte. Il reste à lever les fonds nécessaires, soit 30 millions de dollars. Pour cela, on opte pour le crédit-bail dont l’avantage consiste à mettre en synergie les investisseurs propriétaires (crédit bailleur/fréteur). De ce fait, le navire est enregistré en leur nom propre et il est pris en location par l’exploitant (locataire/crédit-preneur), c’est-à-dire en affrètement «coque nue» pendant la durée d’amortissement. 

L’exonération de l’imposition sur les plus-values lors de la cession du navire conforte l’engagement des investisseurs. Cette acrobatie financière a pour but de répartir en amont les risques sur plusieurs intervenants. En s’associant, ces derniers démultiplient les risques en aval : c’est en cela que consiste le «serpent hypothécaire» qui est en fait la descente en cascade de plusieurs hypothèques se garantissant les unes les autres ». Au final, résume l’Expert maritime, il y a trois éléments liés : le Navire, le Crédit bailleur (propriétaire du navire) et le Locataire/Crédit preneur (exploitant du navire).

Source: Challenge