Transport maritime : la tension persiste en mer Rouge
5 janvier 2024
5 janvier 2024
Les rebelles houthistes yéménites ont affirmé mercredi avoir pris pour cible un navire de l’armateur français CMA CGM. Ce dernier a annoncé jusqu’au doublement des tarifs de fret sur ses lignes Asie-Europe.
Deux bâtiments militaires américains patrouillant en mer Rouge afin d’empêcher les attaques de navires commerciaux par les rebelles houthistes, sur une photographie diffusée par la marine américaine, le 9 août 2023.
Malgré la création d’une force maritime internationale sous l’égide des Etats-Unis, la situation est loin d’être revenue à la normale en mer Rouge. Les navires s’acheminant vers l’entrée sud du canal de Suez restent sous la menace des rebelles houthistes du Yémen. Dernière cible en date : Le Tage, porte-conteneurs de l’armateur français CMA CGM, visé par une attaque du mouvement chiite soutenu par l’Iran.
« Les forces navales des forces armées yéménites ont mené une opération visant le navire CMA CGM Tage qui se dirigeait vers les ports de Palestine occupée », ont affirmé les rebelles, mercredi 3 janvier, dans un communiqué publié sur le réseau social X. Le navire de 300 mètres de long, qui n’a pas subi de dommages, se dirige en fait vers le port égyptien d’Alexandrie, selon le site spécialisé VesselFinder.
Cette attaque s’ajoute à la frappe de missile dont le porte-conteneurs Maersk-Hangzhou, du géant danois AP Moller-Maersk, a été victime, dimanche 31 décembre, avant d’être menacé d’abordage par quatre bâtiments yéménites. Trois d’entre eux ont été coulés par des vaisseaux de la Ve flotte américaine croisant dans la zone, selon l’US Navy.
Maersk a annoncé, mardi, sa décision d’« interrompre tous les transits par la mer Rouge et le golfe d’Aden jusqu’à nouvel ordre ». D’autres armateurs de porte-conteneurs, de pétroliers, de méthaniers ou de vraquiers préfèrent encore éviter la région et contourner l’Afrique par le cap de Bonne-Espérance pour rejoindre la Méditerranée et l’Europe, rallongeant de 6 000 kilomètres et d’une semaine le trajet depuis la Chine jusqu’à Rotterdam (Pays-Bas). Ils augmentent les coûts de main-d’œuvre et surtout de carburant, qui sont répercutés sur les clients.
L’italo-suisse MSC a ouvert le bal des hausses de taux de fret le 1er janvier. A partir du 15 janvier, CMA CGM va les augmenter fortement – et jusqu’à les doubler – sur ses lignes au départ de l’Asie vers les ports de la Méditerranée et de l’Europe du Nord, est-il indiqué sur son site Internet : ils passeront à plus de 3 000 dollars (plus de 2 700 euros) pour les conteneurs équivalant 20 pieds et à plus de 6 000 dollars pour les 40 pieds. En réponse à la montée des tensions au Moyen-Orient, certains tarifs avaient déjà été relevés en novembre, tout comme le « péage » du canal de Suez, une des principales ressources financières de l’Egypte avec 8,6 milliards d’euros en 2022.
Fin décembre, Maersk et CMA CGM, numéros deux et trois mondiaux du transport de « boîtes », avaient quand même rouvert les lignes passant par l’isthme égyptien, suspendues mi-décembre par la plupart des compagnies de porte-conteneurs. L’armateur danois jugeait pourtant que « le risque global dans la zone n’a pas été éliminé à ce stade ». Et le groupe français se disait prêt à modifier ses itinéraires en permanence pour assurer la sécurité des cargaisons. L’allemand Hapag-Lloyd, lui, estimait plus sage d’éviter la mer Rouge.
Quelque 20 000 navires et 12 % des marchandises mondiales – dont les deux tiers des biens manufacturés et des matières premières destinés à l’Europe – transitent chaque année par le canal. Chez CMA CGM, MSC, Hapag-Lloyd, le chinois Cosco ou le taïwanais Evergreen, la zone est sous surveillance vingt-quatre heures sur vingt-quatre, les frappes de drones ou de missiles houthistes étant presque ininterrompues depuis la mi-novembre dans le golfe d’Aden, le détroit de Bal-al-Mandeb séparant la péninsule arabique de l’Afrique et la mer Rouge. Un tanker a même été endommagé, le 23 décembre, à 400 kilomètres des côtes occidentales de l’Inde.
L’attaque contre le Tage est la 24e recensée depuis la mi-novembre par le commandement militaire américain au Moyen-Orient (Centcom). Cela justifie plus que jamais, selon Washington, l’opération « Prosperity Guardian » (« Gardien de la prospérité »), qui s’appuie sur une force navale internationale destinée à sécuriser la zone désormais la plus risquée du monde pour les navires marchands. Sa constitution par une vingtaine de pays était censée, selon le président américain, Joe Biden, afficher la solidarité des Occidentaux.
Mais depuis le 23 décembre, elle n’a pas dissuadé les houthistes, maîtres d’une grande partie du territoire yéménite, d’attaquer des navires y compris ceux sans lien avec Israël. Et de nombreux pays occidentaux ne sont pas au rendez-vous, même s’ils ont affiché leur soutien public à cette initiative, comme la France. La position jugée trop « pro-israélienne » de M. Biden a freiné les ardeurs au moment où de nombreux pays européens demandent au premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, d’épargner les civils gazaouis.
La France, l’Italie et l’Espagne veulent garder leur liberté d’action et ne pas se laisser entraîner dans une escalade militaire dangereuse. Depuis novembre, l’US Navy, la Royal Navy britannique et la marine française ont abattu des missiles ou des drones houthistes – chacune de leur côté. L’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis ont refusé de participer à la coalition. Comme d’autres pays, l’Inde craint aussi des représailles sur son territoire en cas de frappes sévères contre les rebelles yéménites.
Il n’y a pas d’accalmie à attendre sur cette « autoroute maritime » de la mer Rouge et du canal de Suez tant que les opérations israéliennes se poursuivront à Gaza pour éliminer la branche armée et les chefs politiques du Hamas. Les tensions pourraient même se prolonger. Et gagner le détroit d’Ormuz, le goulet d’étranglement par où transite 20 % du pétrole mondial, si le conflit finissait par impliquer directement la République islamique d’Iran.