Heureusement, le record se fera essentiellement au portant
Bien qu’instructif, cet entraînement au près ne sera pas forcément révélateur de ce que nous allons vivre sur le « Défi Pure Océan », une traversée de 3 000 milles entre les Bermudes et Lorient, qui se fait principalement avec des vents favorables. « En général, les dépressions sont encore nombreuses au mois de mai sur l’Atlantique nord et il y a une forte probabilité d’avoir du portant jusqu’au bout », avait confirmé le routeur Christian Dumard lors d’une formation météo en vue du record, organisée en mars dernier . Vu comme la vie à bord est compliquée au près, j’ai envie de dire « tant mieux ». « Tu vas voir, au portant c’est un autre monde, le bateau est à plat et beaucoup plus équilibré avec la quille basculante. Les chocs n’ont rien à voir », m’assure Fabien Biron, co-skipper de Jean-Pierre Dick et référent technique.
Jean-Pierre Dick aime partager sa passion et son expérience du grand large avec des marins amateurs. | OLIVIER BOURBON
Quoi qu’il en soit, Jean-Pierre Dick s’attend à « un voyage merveilleux qui permet d’observer des phénomènes naturels incroyables comme les courants du Gulf Stream, les grandes dépressions océaniques et les anticyclones. » Le skipper ajoute que le timing de départ est propice. « Nous profiterons des belles et longues journées de printemps, dit-il. Par contre, la météo peut nous réserver des surprises. Les vents sont souvent très forts avec de profondes dépressions se déplaçant vers l’Est. En 2022, nous avons été surpris par des conditions de mer très difficiles et avons dû abandonner aux Açores sur des problèmes de moteur. Nous espérons un meilleur résultat cette année. »
Les amateurs du bord ne sont pas là pour la balade
Pour mémoire, Jean-Pierre Dick a remporté deux fois la Barcelona World Race, le tour du monde en double en Imoca avec Damien Foxall (en 2007-2008) et Loïck Peyron (en 2010-2011). Il a également gagné quatre fois la Transat Jacques Vabre en Imoca (un record) et participé à quatre reprises au Vendée Globe (avec notamment deux 4e place à la clé). Plus récemment, il est sorti vainqueur de la Route du Rhum 2022 en catégorie Rhum Mono , à bord de son JP54 Notre Méditerranée-Ville de Nice conçu avec l’architecte Guillaume Verdier.
Jean-Pierre Dick à la barre de son JP54 aux Bermudes. | OLIVIER BOURBON
Pour notre record entre les Bermudes et Lorient, il est accompagné d’un autre marin professionnel, son co-skipper Fabien Biron. Le reste de l’équipage est composé de marins amateurs. Thierry, Raphaël et Joël sont venus vivre le grand frisson d’une transatlantique en mode record sur un bateau performant et rapide, en compagnie de l’un des meilleurs coureurs au large français, qui se révèle par ailleurs un bon pédagogue. Ces trois amateurs ne sont pas venus pour se faire balader, ils sont des équipiers à part entière. « Sur un tel bateau, il y a des gros écarts de vitesse entre un équipage actif et un équipage passif Ce que j’attends de vous sur ce record, c’est qu’il y ait une prise en compte des éléments qui font avancer le bateau rapidement, en vous aidant de Fabien ou de moi. Il faut discuter sans arrêt pour se communiquer les informations sur le bateau, le vent… », souligne Jean-Pierre Dick. De mon côté, j’ai une double mission : le rôle d’équipier et de journaliste embarqué pour raconter l’aventure de l’intérieur aux lecteurs de Voiles et Voiliers .
Le J54 « Notre Méditerranée-Ville de Nice » à quai aux Bermudes, juste avant le grand départ. | OLIVIER BOURBON
Un record, trois challengers
Le record à battre a tout juste 40 ans. Il a été établi en 1983 par Eugène Riguidel et Jean-François le Menec, sur le trimaran William-Saurin en 12 jours, 23 heures et 16 minutes. Le meilleur temps effectué par un monocoque, qui n’est que de 12 minutes plus lent, a été réalisé par Jean-Claude Parisis et Olivier de Rosny à bord de Fernande en 1979. La quête d’un record est exaltante en soi mais elle l’est encore davantage quand on a face à soi une concurrence directe. C’est justement le cas sur l’édition 2023 du Défi Pure Océan. Nous faisons face à deux multicoques. Le premier est le TS42 Banzaï mené par Vincent Willemart. Les deux bateaux ont déjà régaté deux fois l’un contre l’autre et ont chacun gagné une fois. Bien que très différents, ils affichent des potentiels similaires. Un autre multi de 42 pieds est en lice sur le Défi Pure Ocean 2023 : Triad-Be Creative , dessiné par Dick Newick en 1982 et construit en bois époxy (skipper : Jacques Valente). À bord de notre JP54, nous avons donc deux objectifs : battre un record et gagner une course.
Les routages promettent une jolie traversée de l’Atlantique. | OLIVIER BOURBON
Les conditions s’annoncent favorables pour traverser l’Atlantique à haute vitesse. Pour résumer, nous devrions pouvoir effectuer un gros run au portant, à pleine vitesse, jusqu’au nord des Açores. Il faudra ensuite négocier une deuxième grande dépression avant une fin de parcours qui s’annonce plus incertaine avec peut-être une dorsale anticyclonique à gérer pour arriver en Bretagne. Tous les routages donnent des temps permettant d’améliorer le record. « Tout va se jouer sur notre capacité à rester frais et lucides, pour mettre les bonnes voiles au bon moment, sans subir d’avarie importante bien sûr », conclut Jean-Pierre Dick.
Source: Voiles