Surchauffe des océans : des conséquences en cascade pour les humains et les écosystèmes
4 août 2023
4 août 2023
Les océans et mers du globe terrestre connaissent une hausse des températures inimaginable jusqu’à présent, conséquence du réchauffement climatique mais aussi conjugaison de phénomènes météorologiques qui s’auto-alimentent. Les répercussions sur les écosystèmes du monde entier ne font pas attendre. Hémisphères Nord et Sud, d’est en ouest, sur tous les continents, les vagues de chaleur marine qui impactent la Planète, font peser de lourdes menaces sur la vie où qu’elle se trouve.
Depuis la mi-mars 2023, le mercure à la surface des océans grimpe à des niveaux inégalés en 40 ans de surveillance par satellite, et l’impact néfaste de cette surchauffe se ressent dans le monde entier.
La mer du Japon est plus chaude de 4 degrés Celsius par rapport à la moyenne. La mousson indienne, produit du fort contraste thermique entre les terres et les mers, a été bien plus tardive que prévu.
L’Espagne, la France, l’Angleterre et l’ensemble de la péninsule scandinave ont enregistré des niveaux de précipitations très inférieurs à la normale, probablement en raison d’une vague de chaleur marine exceptionnelle dans l’est de l’Atlantique Nord. Les températures à la surface de la mer y ont été supérieures à la moyenne de 1 à 3 °C depuis la côte africaine jusqu’à l’Islande.
Et sur le continent européen, la vague de chaleur est actuellement insoutenable, tandis que l’on bat tous les records.
Que se passe-t-il donc ?
El Niño est en partie responsable. Ce phénomène climatique, qui se développe actuellement dans l’océan Pacifique équatorial, se caractérise par des eaux chaudes dans le centre et l’est du Pacifique, ce qui atténue généralement l’alizé, un vent régulier des tropiques. Cet affaiblissement des vents peut affecter à son tour les océans et les terres du monde entier.
Mais d’autres forces agissent sur la température des océans.
À la base de tout, il y a le réchauffement climatique, et la hausse des températures à la surface des continents comme des océans depuis plusieurs décennies du fait des activités humaines augmentant les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère.
La Planète sort également de trois années consécutives marquées par La Niña, le phénomène météorologique inverse d’El Niño, et donc caractérisé par des eaux plus froides qui remontent dans le Pacifique équatorial. La Niña a un effet refroidissant à l’échelle mondiale qui contribue à maintenir les températures de surface de la mer à un niveau raisonnable, mais qui peut aussi masquer le réchauffement climatique. Lorsque cet effet de refroidissement s’arrête, la chaleur devient alors de plus en plus évidente.
La banquise arctique était également anormalement basse en mai et au début du mois de juin, un autre facteur aggravant pour le mercure des océans. Car la fonte des glaces peut augmenter la température de l’eau, du fait des eaux profondes absorbant le rayonnement solaire que la glace blanche renvoyait jusque-là dans l’espace.
Tous ces phénomènes ont des effets cascades visibles dans le monde entier.
Au début du mois de juin 2023, je me suis rendue pendant deux semaines au centre pour le climat NORCE à Bergen, en Norvège, pour y rencontrer d’autres océanographes. Les courants chauds et les vents anormalement doux de l’est de l’Atlantique Nord rendaient anormalement chaude cette période de l’année, où l’on voit normalement des pluies abondantes deux jours sur trois.
L’ensemble du secteur agricole norvégien se prépare désormais à une sécheresse aussi grave que celle de 2018, où les rendements ont été inférieurs de 40 % par rapport à la normale. Notre train de Bergen à Oslo a eu un retard de deux heures car les freins d’un wagon avaient surchauffé et que les températures de 32 °C à l’approche de la capitale étaient trop élevées pour leur permettre de refroidir.
De nombreux scientifiques ont émis des hypothèses sur les causes des températures anormalement élevées dans l’est de l’Atlantique Nord, et plusieurs études sont en cours.
L’affaiblissement des vents a rendu particulièrement faible l’anticyclone des Açores, un système de haute pression semi-permanent au-dessus de l’Atlantique qui influe sur les conditions météorologiques en Europe. De ce fait, il y avait moins de poussière du Sahara au-dessus de l’océan au printemps, aggravant ainsi potentiellement la quantité de rayonnement solaire sur l’eau. Autre facteur possible aggravant la chaleur des océans : la diminution des émissions d’origine humaine d’aérosols (particules fines en suspension dans l’air) en Europe et aux États-Unis au cours des dernières années. Si cette baisse a permis d’améliorer la qualité de l’air, elle s’accompagne d’une réduction – encore peu documentée – de l’effet de refroidissement de ces aérosols.
Dans l’océan Indien, El Niño a tendance à provoquer un réchauffement de l’eau en avril et en mai, ce qui peut freiner la mousson indienne dont l’importance est cruciale pour diverses activités.
C’est sans doute ce qui s’est passé avec une mousson beaucoup plus faible que la normale de la mi-mai à la mi-juin 2023. Ce phénomène risque de devenir un problème majeur pour une grande partie de l’Asie du Sud, où la plupart des cultures sont encore irriguées par les eaux de pluie et donc fortement dépendantes de la mousson d’été.
L’océan Indien a également connu cette année un cyclone intense et lent dans la mer d’Oman, ce qui a privé les terres d’humidité et de précipitations pendant des semaines. Des études suggèrent que lorsque les eaux se réchauffent, les tempêtes ralentissent, gagnent en force et attirent ainsi l’humidité en leur cœur. Une série d’effets qui, à terme, peut priver d’eau les masses terrestres environnantes, et augmenter ainsi le risque de sécheresse, d’incendies de forêt comme de vagues de chaleur marines.
Dans l’Atlantique, l’affaiblissement des alizés dû à El Niño a tendance à freiner l’activité des ouragans, mais les températures chaudes de l’Atlantique peuvent contrebalancer cela en donnant un coup de fouet à ces tempêtes. Il reste donc à voir si, en persistant ou non l’automne, la chaleur océanique pourra l’emporter ou pas sur les effets d’El Niño.
Les vagues de chaleur marine peuvent également avoir des répercussions considérables sur les écosystèmes marins, en blanchissant les récifs coralliens et en provoquant ainsi la mort ou le déplacement des espèces entières qui y vivent. Or les poissons dépendant des écosystèmes coralliens nourrissent un milliard de personnes dans le monde.
Les récifs des îles Galápagos et ceux situés le long des côtes de la Colombie, du Panama et de l’Équateur, par exemple, sont déjà menacés de blanchiment et de disparition par le phénomène El Niño de cette année. Sous d’autres latitudes, en mer du Japon et en Méditerranée on constate également une perte de biodiversité au profit d’espèces invasives (les méduses géantes en Asie et les poissons-lions en Méditerranée) qui peuvent prospérer dans des eaux plus chaudes.
Le printemps 2023 a été hors norme, avec plusieurs événements météorologiques chaotiques accompagnant la formation d’El Niño et des températures exceptionnellement chaudes dans de nombreuses eaux du monde. Ce type de phénomènes et le réchauffement global des océans comme de l’atmosphère s’autoalimentent.
Pour diminuer ces risques, il faudrait mondialement réduire le réchauffement de base en limitant les émissions excessives de gaz à effet de serre, comme les combustibles fossiles, et évoluer vers une planète neutre en carbone. Les populations devront également s’adapter à un climat qui se réchauffe et dans lequel les événements extrêmes sont plus probables, et apprendre à en atténuer l’impact.
La température moyenne de surface des océans atteint un niveau record depuis la mi-janvier, et un niveau absolument invraisemblable depuis deux mois. Sachant que les océans régulent le climat, peut-on dire que la Terre entre dans une nouvelle ère climatique ?
Des incendies géants au Canada, une canicule exceptionnelle en Sibérie, le mois de juin le plus chaud jamais enregistré, un record de chaleur pour la Planète plusieurs jours d’affilé en juillet… Parmi toutes ces nombreuses anomalies chaudes enregistrées au cours de la première moitié de l’année, le signal le plus fort est sans aucun doute celui des océans.
La majeure partie de la Planète est recouverte par les océans : cette masse d’eau absorbe 90 % du réchauffement provoqué par les gaz à effet de serre. La température moyenne de surface des océans s’est élevée jusqu’à 21,1 °C début avril, puis est redescendue jusqu’à 20,9 °C début juillet. En comparaison, la moyenne 1982-2011 tourne autour de 20,2 °C.
Pour une masse océanique qui prend beaucoup de temps à réagir aux variations climatiques, un tel écart est immense. Il existe bien-entendu des variations régionales, avec des zones particulièrement inquiétantes. Le nord-est de l’Atlantique Nord est celle qui inquiète le plus les climatologues : sa vague de chaleur sous-marine est qualifiée d’extrême par Copernicus, et même localement de « au-delà d’extrême » : c’est le cas des eaux qui bordent l’Irlande, par exemple, ainsi que la zone de la mer Baltique.
Il s’agit ici de records de température depuis le début des relevés, mais comme l’indique une étude publiée dans Nature Communications, il n’est pas sûr que les océans du passé très lointain aient été vraiment plus chauds que ceux d’aujourd’hui, contrairement à ce que les scientifiques pensaient avant.
Pour arriver à un tel seuil, une seule cause ne suffit pas. Mais celle qui pèse le plus lourd dans la balance est sans aucun doute le réchauffement climatique provoqué en grande partie par le dioxyde de carbone et le méthane. Cependant, de ce côté-là, le réchauffement des océans en 2023 arrive même à dépasser les prévisions les plus alarmistes du Giec.
D’autres facteurs ont joué un rôle, comme la diminution de certains polluants atmosphériques qui ont donné lieu à un ciel plus dégagé, permettant au soleil de davantage réchauffer l’eau. Les conditions météo, très anticycloniques, et donc trop calmes, n’ont pas permis de brasser la mer autour de l’Europe, amplifiant la chaleur.
Mais cette année 2023 marque aussi le retour du phénomène climatique El Niño, un réchauffement naturel, qui intervient par phase, du Pacifique équatorial. Le problème est que ce phénomène classique est dorénavant renforcé par le réchauffement climatique. Et le réchauffement global des océans est aussi finalement accentué par cette phase El Niño présente en 2023. La probabilité d’un super El Niño est très forte à partir du mois d’août selon le Bureau de la Météorologie en Australie, et pourrait se prolonger jusqu’à la fin de l’année.
Tout semble donc s’organiser pour donner lieu à un réchauffement des océans qui aurait été jugé comme inimaginable il y a une dizaine d’années. En plus d’absorber la chaleur, les océans sont des régulateurs du climat, mais ils sont aussi capables de le transformer. Voilà pourquoi un bouleversement dans les océans en provoquera un également dans les conditions météo, et si la tendance se poursuit sur le long terme, ce sont de nouveaux climats régionaux qui vont se mettre en place.
Nous savons déjà qu’un phénomène aussi localisé qu’El Niño, sur une seule partie d’un océan, a des conséquences météo sur la plupart des continents (sauf en Europe, à priori). Il est donc évident que de multiples vagues de chaleur sous-marines, réparties aux quatre coins du globe, auront des effets sur les précipitations, la sécheresse, les températures, ou encore les orages de beaucoup de pays. L’exemple le plus concret est celui des ouragans, qui se nourrissent de la chaleur de l’Atlantique Nord pour s’intensifier.
La chaleur record des océans qui dure depuis le printemps est liée à trois causes principales : si la première cause paraît évidente, le réchauffement climatique, les deux autres risquent de vous étonner.
Plus qu’un simple pic, la surchauffe des océans n’est pas un phénomène nouveau : la température moyenne de surface des océans bat chaque année un nouveau record, mais cette fois-ci l’écart des températures par rapport à la moyenne a pris un véritable envol depuis le mois de mars, avant d’atteindre un pic incroyablement élevé le 1er avril : 21,1 °C. Comme toujours au cours du mois de mai et juin, la température moyenne redescend progressivement en raison de l’arrivée de l’hiver dans l’hémisphère sud. Elle atteignait 20,9 °C le 13 juin, une valeur toujours très au-dessus de la normale (20,2 °C) calculée sur la période 1982-2011. Le phénomène naturel El Niño (un réchauffement cyclique du Pacifique) a pu jouer un rôle dans cette hausse globale, celui-ci n’explique pas la majeure partie du pic actuel de chaleur.
Le réchauffement climatique lié aux émissions de gaz à effet de serre est la principale raison qui permet d’expliquer un pic de chaleur aussi élevé dans les océans. Ces derniers subissent de plein fouet les conséquences du réchauffement planétaire, car ils absorbent un quart des émissions de CO2, et 60 % du rayonnement solaire qui parvient sur Terre. Plus encore, les océans absorbent 90 % des excès de chaleur du système climatique. Selon le Giec, l’influence humaine est le principal facteur de l’augmentation de température des océans que l’on observe depuis les années 1970.
Le rayonnement solaire a justement joué un rôle important lors de ce printemps 2023. Des conditions météo spécifiques ont permis à certains océans de se réchauffer plus que d’autres, et en particulier l’océan atlantique. L’orientation et la faible intensité des vents a notamment empêché les particules de sable du Sahara de former des nuages au-dessus de l’Atlantique. Moins de sable en suspension dans l’atmosphère entraîne forcément un ciel plus dégagé, et donc un océan plus chaud. Les alizés ont soufflé beaucoup moins forts sur l’Atlantique, comme l’explique le météorologue Guillaume Séchet : « la houle étant particulièrement faible du fait de l’absence d’alizés, la surface de l’océan s’apparente presque à un lac. Or, des eaux calmes réfléchissent beaucoup plus la lumière que des eaux houleuses ».
La pollution atmosphérique a nettement diminué depuis les années 1980, et en particulier au-dessus de l’océan atlantique. Les particules de pollution ont pour effet de bloquer une partie des rayons solaires qui arrivent sur Terre : une atmosphère très polluée au-dessus des océans a pour conséquence d’atténuer le réchauffement de ces masses d’eau. Grâce à la loi américaine Clean Air Act de 1970, le milieu des transports, comme l’aviation et les transports maritimes, entre autres, a été contraint de faire de gros efforts. Les cargos qui circulent dans les océans rejetaient auparavant de grandes quantités de dioxyde de souffre, ce qui n’est quasiment plus le cas dorénavant. Les transports maritimes ont ensuite dû s’adapter à de nouvelles restrictions en 2020, limitant encore plus leur pollution. Si les effets positifs sur l’environnement et la santé sont indiscutables, le problème est désormais l’association du réchauffement toujours plus intense avec un ciel plus dégagé : voilà pourquoi la hausse des températures de l’eau a fait un bond en l’espace de quelques dizaines d’années.