Science : Les flotteurs Argo nouvelle génération prêts à sonder les profondeurs de l’océan
23 janvier 2022
23 janvier 2022
Depuis début 2000, le programme Argo déploie un réseau de milliers flotteurs à travers la planète. Avec des mesures précieuses sur la température et la salinité de l’eau. Il est temps désormais de passer à la vitesse supérieure et de plonger plus profond.
Les sept dernières années ont été les plus chaudes jamais enregistrées depuis l’ère préindustrielle, pointait mercredi l’Organisation météorologique mondiale (OMM). Elle confirmait le constat dressé dix jours plus tôt par Copernicus, le réseau européen de surveillance de la Terre. Une tendance au réchauffement loin d’être nouvelle. « Depuis 1980, chaque décennie est plus chaude que la précédente », rappelle Virginie Thierry, chercheuse en océanographie physique à l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer).
La question qui vient tout de suite après, c’est de savoir où va cette chaleur. On sait qu’une partie est absorbée par les océans, mais de nombreux points restent à éclaircir. « Comment cette chaleur pénètre-t-elle dans l’océan ? A quel endroit précisément est-elle stockée ? Quel est son impact sur la biodiversité marine ? Et sur le climat ? », liste Virginie Thierry.
Pour y répondre, il faut des données in situ et prises sur le temps long. C’est tout l’enjeu du programme international Argo, premier réseau global d’observation de l’océan, qui a vu le jour au début des années 2000. Une trentaine de pays y contribuent, dont la France à hauteur de 10 % des instruments déployés. Car, c’est bien ça, avant tout, le programme « Argo » : un réseau de 4.000 flotteurs autonomes actuellement éparpillés sur l’ensemble des mers et des océans. De l’Arctique à l’Antarctique, et même dans les mers marginales.
« Ces flotteurs Argo sont des tubes de 20 cm de diamètre pour 1,5 m de haut avec une antenne, décrit Virginie Thierry. Ils sont totalement autonomes et dérivent au gré des courants. » Pendant cinq ans – leur durée de vie moyenne –, ils répètent inlassablement le même cycle. D’abord plonger à 1.000 m de profondeur et, une fois là, dériver pendant neuf jours. Puis descendre de 1.000 m supplémentaires, avant de rejoindre la surface. « Pendant cette remontée, dans toute la colonne d’eau, ces flotteurs mesurent la température et la salinité, parfois aussi une multitude d’autres paramètres selon les capteurs qu’ils embarquent, reprend la chercheuse de l’Ifremer. Ces données sont ensuite transmises par satellite à des centres de données à terre, qui vont les décoder et contrôler leur qualité avant de les rendre accessibles en ligne, accessible à tous. » Et les flotteurs Argo, de leur côté, replongent à nouveau.
Une existence dédiée à la Science donc. Mais pas vainement, loin de là. « Le programme Argo a ainsi permis de mesurer que plus de 90 % de l’excès de chaleur dû aux activités humaines étaient absorbés par les océans, commence Virginie Thierry. Cette absorption n’est pas sans conséquence sur l’océan lui-même puisque, en se réchauffant, il se dilate, ce qui contribue à l’élévation du niveau de la mer. Toujours à partir des flotteurs Argo, on a pu montrer que 40 % de l’augmentation du niveau de la mer est due à cette dilatation thermique des océans. »
Voilà pour la température. Côté salinité, le programme Argo a permis de mettre en évidence une accélération du cycle hydrologique. En clair, « la salinité augmente là où elle était déjà forte, ce qui veut dire que là où il y avait peu de pluie, il y en a encore moins aujourd’hui. Et elle continue de baisser là où elle était déjà basse, ce qui veut dire qu’il y a davantage de pluies et de fontes des glaces à ces endroits », explique Virginie Thierry.
Il est temps désormais de passer à la vitesse supérieure. Le programme Argo devient ainsi « OneArgo » et prévoit d’arriver à 4.700 flotteurs en opération d’ici à 2030. La France investira 21 millions d’euros pour participer à ce renforcement, avec pour objectif de déployer 80 nouveaux flotteurs par an. Mais l’enjeu n’est pas seulement quantitatif. Ces dix dernières années, une nouvelle génération de flotteurs, capables de descendre bien plus profond, a vu le jour. Jusqu’à 4.000 voire 6.000 m de profondeur. Dans les abysses océaniques donc, là où la pression est 600 fois supérieure à celle que nous subissons sur Terre.
Ces flotteurs profonds devraient être déployés à partir de 2024 et OneArgo a pour objectif d’en compter 1.200 dans son réseau en 2030. Avec l’espoir qu’ils permettent de mieux comprendre le rôle des océans dans l’atténuation de l’impact des activités humaines sur le climat. « Il s’agira par exemple de comprendre comment se répartit cette chaleur une fois absorbée, reprend la chercheuse de l’Ifremer. Jusqu’à peu, on pensait que cette chaleur était emmagasinée dans les couches de surface. Mais des campagnes océanographiques menées par navires ont pu observer, très clairement, un signal de réchauffement jusqu’à 6.000 m de profondeur, notamment dans l’océan Austral. »
Il reste à quantifier précisément cet excès de chaleur qui pénètre jusqu’à l’océan profond, savoir comment elle se propage à cette profondeur et déterminer sa contribution à l’élévation du niveau de la mer. Ce sera la mission première de ces flotteurs nouvelle génération. Mais pas la seule. Les progrès technologiques ont aussi permis, progressivement, d’embarquer de nouveaux capteurs sur ces flotteurs, pour analyser d’autres paramètres. L’acidité, la quantité d’oxygène, la lumière, le nitrate et la chlorophylle, liste l’Ifremer. Soit autant d’indicateurs qui permettront d’évaluer la vie dans les océans.
« Cette catégorie de nouveaux flotteurs, dit biogéochimiques (BGC), a commencé à être déployée à partir de 2015 et va s’accélérer dans le cadre de OneArgo », précise Virginie Thierry. Mille flotteurs BGC sont espérés en 2030. « Et une nouvelle génération est déjà en cours de préparation, prévient la chercheuse. Elle permettra de remonter un peu plus dans la chaîne alimentaire, avec des mesures sur le haut plancton et les petits carnivores. »
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