Samir Meddeb: Tunisie, un littoral en souffrance !
31 juillet 2024
31 juillet 2024
Le littoral tunisien était très peu convoité au moins jusqu’à la fin des années 60 du siècle dernier. Les habitants du littoral et jusqu’à cette époque, bien qu’ils soient à proximité de la mer, tournaient pratiquement le dos à celle-ci et développaient des activités essentiellement agricoles à l’intérieur des terres. Leurs villes et villages se situaient souvent à quelques kilomètres du littoral, se mettant ainsi à l’abri des courants d’air humide et de toute intrusion imprévue et dangereuse qui viendrait de la mer.
Avec l’avènement du tourisme à partir du début des années 70 et l’intérêt porté au littoral, aux plages et à la mer, un engouement rapide, massif et exponentiel s’est manifesté, se traduisant rapidement par le développement de mégas zones touristiques en front de mer, le prolongement des agglomérations littorales en direction de la mer et l’aménagement d’une multitude d’infrastructures nouvelles en réponse aux demandes et aux besoins de cette nouvelle population. Des routes; des zones pour diverses activités, industrielle, électrique, portuaire; des stations d’épuration; des agglomérations nouvelles ont vu le jour dans différentes franges du littoral tunisien au cours des cinquante dernières années.
La population tunisienne et au cours de cette période, s’est ainsi déplacée progressivement de l’intérieur du pays vers la côte entrainant un phénomène de littoralisation de la Tunisie, parmi les plus remarqués de la méditerranée. Le littoral tunisien abrite maintenant plus des ¾ de la population tunisienne et de l’ensemble des activités socioéconomique du pays.
Cette littoralisation extrêmement rapide, a été toutefois menée dans un contexte assez particulier, marquée par deux entraves majeures. Premièrement une très faible connaissance des dynamiques du littoral, celle-ci étant très différente des dynamiques des terres de l’intérieur du pays et deuxièmement une absence pratiquement totale d’institutions locales et nationales capables de conduire cette littoralisation dans le cadre d’une gouvernance performante capable de concilier entre les aspirations pressantes des populations et des pouvoirs publics et la préservation du littoral et ses différents équilibres.
Cette discordance entre les pratiques d’aménagement et les équilibres littoraux, menée souvent de manière fragmentée en dehors de toute vision globale particulièrement locale et régionale a conduit inévitablement et dans pratiquement toutes les régions nouvellement aménagées à un littoral agressé, défiguré, en perte rapide de ses repères, où les plages reculent inexorablement et la mer rentre doucement dans les terres, attaquant de multiples infrastructures.
A cette cinglante situation, dont seul l’homme est responsable, vient s’ajouter et de manière inquiétante les effets des changements climatiques sur le littoral qui se manifestent par une élévation du niveau de la mer amenant à une amplification des différents phénomènes d’érosion et de dégradation de la bande côtière, initiés déjà en Tunisie depuis plusieurs décennies.
La vulnérabilité des zones côtières de la Tunisie aux dérèglements causés par l’homme ainsi qu’aux effets des changements climatiques aggraveront les coûts socioéconomiques de la dégradation que nous observons aujourd’hui sur le littoral et dont l’ampleur devient de plus en plus inquiétante d’une année à l’autre.
Au rythme actuel de la dégradation et qui risque de devenir plus exponentielle dans l’avenir, une grande partie des infrastructures situées sur le littoral et par conséquent les activités socioéconomiques qui leur sont associées, se trouvent menacées de destruction avec des pertes socioéconomiques considérables.
Le littoral tunisien, zone privilégiée de la quasi-totalité de la population et espace de création d’une grande partie de la richesse tunisienne est aujourd’hui en difficulté et en grande souffrance. Il doit toutefois continuer à vivre et à offrir les services socioéconomiques dont la population tunisienne à besoin. Un défi et une équation pas forcément facile à résoudre. Elle nécessite une grande volonté politique, une vision cohérente d’aménagement et de protection, une implication synchronisée de tous les acteurs impliqués, publics et privés et une mobilisation considérable de moyens financiers.