Dans son dernier rapport, Pierre Jacquemot bat en brèche et attire l’attention des gouvernants africains sur la gestion de leurs ressources halieutiques. Car si rien n’est fait maintenant le continent verra une diminution drastique de poisson dans les filets. Intitulé : « L’Afrique face à l’épuisement de ses ressources de la pêche maritime », ce nouveau document est une mine d’informations sur la réalité et les pratiques dans ce secteur. Il y a de quoi alerter et les chiffres parlent d’eux-mêmes.
Dans son constat, les perspectives sont pessimistes. La surpêche, la pêche illégale, non déclarée et non réglementée et l’exploitation mal contrôlée des stocks de poissons par des industries de farine et d’huile tournées vers l’exportation laissent de lourdes conséquences dans leur sillage. Pourtant, selon l’enquête, le rôle du secteur halieutique dans l’alimentation du continent africain est considérable.
En effet, 22% des protéines animales disponibles viennent des produits de la mer et des eaux douces et plus de 50% dans certains pays africains, en particulier en Afrique du Nord et de l’Ouest. Les pêches et leurs activités connexes fournissent non seulement de la nourriture, mais aussi des emplois à 12 millions de personnes, et génèrent des revenus pour les États comme pour les communautés.
En outre, l’Afrique dispose d’un territoire maritime de l’ordre de 13 millions de km². Il correspond aux Zones économiques exclusives (ZEE) sous la juridiction des États côtiers et des États insulaires. Dans le cadre de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, ils ont la responsabilité de gérer durablement les ressources maritimes de ces zones.
Comment opérer un retournement de ces tendances ?, s’interroge l’auteur. Cela passe par l’adoption d’une politique souveraine et durable de la pêche répondant à deux préoccupations principales dont la première consiste à respecter un niveau des captures en mer compatible avec les besoins de reproduction du potentiel halieutique. Quant à la deuxième, il s’agira d’imposer des débarquements suffisants à terre destinés à la transformation pour assurer la meilleure couverture alimentaire locale et régionale.
Transformation et responsabilité
D’ailleurs, les perspectives de la FAO pour l’Afrique, proposées à l’horizon 2032, enfoncent le clou. « La consommation de poisson par habitant en Afrique continuera de diminuer, car les projections de production risquent de ne pas suivre la croissance de la population », révèle l’institution mondiale. En effet, partout, la production halieutique traverse une phase critique, signe que les ressources de la mer ne sont pas infinies.
Alors que la façade atlantique du Maroc à la Côte d’Ivoire est l’une des régions parmi les plus riches au monde en ressources halieutiques. L’upwelling, la remontée le long de la côte d’eaux froides profondes chargées en sels minéraux, favorise la production d’algues (le plancton principalement). Les ressources démersales comprennent les crustacés et la plupart des poissons dits « nobles » (sole, rouget, capitaine, mérou, dorade) et des céphalopodes (poulpe, seiche) qui sont recherchés en raison de leur valeur marchande.
Mais la menace de l’épuisement des ressources est réelle et leur surexploitation est une réalité partout. Les stocks de 51 espèces de poissons dans les eaux d’Afrique – de la Mauritanie à l’Angola -, indispensables pour la plupart à l’alimentation des populations côtières, sont en voie de disparition. Pour l’expert, l’évolution des techniques de pêche artisanale joue un rôle dans l’épuisement des ressources, notamment avec la senne tournante, des filets rectangulaires utilisés en surface pour encercler des bancs d’espèces pélagiques.
Cette surexploitation biologique se double d’une surexploitation économique quand les embarcations d’artisans pêcheurs se multiplient.
Presque partout en Afrique, la pêche artisanale reste de facto en « accès libre », ce qui a entraîné une augmentation de l’effort des pêcheries artisanales et contribue à présent au problème de la surcapacité. Au Sénégal, la pêche artisanale a connu des modifications importantes dans ses conditions d’exploitation. La flotte a augmenté de manière considérable. Le nombre de pirogues est ainsi passé en 20 ans de 3.800 à 17.400 enregistrées en 2024. C’est dire la menace qui guette les ressources de la pêche.
Exploitation abusive
Mais il y un autre péril bien plus grand que celui représenté par la pêche artisanale, c’est celui que fait peser sur les ressources halieutiques la pêche industrielle. Elle est souvent étrangère, européenne, russe et asiatique, légale ou illégale. Elle constitue une concurrence directe pour la pêche artisanale dans la mesure où elle intervient souvent près des côtes.
La pêche au chalut de fond est pratiquée presque exclusivement dans les ZEE des pays côtiers, à une distance relativement proche du littoral. Elle exploite donc les mêmes espèces (la crevette en Guinée-Bissau, au Sénégal ou à Madagascar, le thon albacore au Cap-Vert, la bonite aux Seychelles). En la matière, font savoir les estimations du centre de données FishSpektrum, une plateforme spécialisée dans l’identification des navires, il y a des puissances qui disposeraient de flottes de six cents bateaux disséminés le long des côtes, de Gibraltar au Cap.
Pour préserver les ressources de la pêcherie, dans le cadre d’une gestion durable de la pêche sur le continent, le cas marocain est cité en exemple. En effet, face aux menaces qui pèsent sur les ressources de la pêche maritime, des mesures d’encadrement du secteur sont parfois appliquées. Certains pays tentent de mieux protéger leurs intérêts, en signant des accords s’inspirant des principes de la gestion durable.
Dans ce cadre, la gestion dans le Royaume indique une voie à explorer. La flotte contient plus de 3.000 navires et une large infrastructure portuaire. La pêche maritime génère une production annuelle de plus d’un million de tonnes, plaçant ainsi le Maroc au premier rang des producteurs africains. Cette gestion durable devra inspirer plus d’Etat sur le continent.