Rendre le transport maritime européen plus propre : un défi technologique
1 octobre 2020
1 octobre 2020
Depuis un site de surveillance situé près du port de Hambourg, des pilotes dirigent un drone spécialement équipé vers de gros navires marchands pour le placer dans le panache de leurs gaz d’échappement : l’appareil y effectue un prélèvement instantanément. Ce « drone renifleur » souvent utilisé par les autorités côtières de plusieurs pays européens permet de cibler les plus gros pollueurs.
« Le drone est idéal pour les endroits où l’on est proche de la côte : c’est facile pour lui d’aller dans le panache du bateau et de trouver le bon emplacement pour prélever un échantillon, » explique Jon Knudsen, ingénieur chimique et PDG de la société Explicit avant de préciser : « Il peut nous aider à savoir quel type de carburant les navires utilisent. »
Identifier les carburants est crucial : de récentes réglementations européennes et internationales ont interdit ceux à haute teneur en soufre, leur nocivité pour le système respiratoire humain étant plusieurs milliers de fois supérieure à celle du diesel des camions.
Les chercheurs du projet européen SCIPPER évaluent toute une série de techniques innovantes pour mesurer la pollution : drones, capteurs côtiers nouvelle génération ou encore technologies satellites. Objectif : s’assurer que ces outils fournissent aux autorités, des informations correctes et fiables pour faire appliquer les réglementations.
« Idéalement, il faudrait avoir plusieurs techniques bien établies et les déployer dans tous les grands ports en Europe, mais aussi dans le monde, » fait remarquer Leonidas Ntziachristos, coordinateur du projet SCIPPER et professeur à l’Université Aristote de Thessalonique. « Des stations de surveillance comme celle de Hambourg permettent de vérifier que tous les navires utilisent le carburant qu’ils sont censés utiliser et que leurs moteurs sont calibrés et ont un niveau d’émissions conforme, » indique-t-il.
Des capteurs installés le long des côtes ou sur les ponts peuvent aussi surveiller le trafic maritime 24 heures sur 24 et identifier différents types de rejets polluants provenant des bateaux.
Johan Mellqvist, professeur de télédétection optique à l’Université de technologie Chalmers (Suède), nous montre les instruments dont il dispose sur sa station mobile : « On a un détecteur qui aspire les gaz et une sonde qui capte les particules de moins de 10 micromètres, » dit-il.
La qualité de l’air s’améliore grâce aux actions menées par l’Union européenne. En 2015, elle a drastiquement limité les émissions de soufre des navires de la Manche à la mer Baltique.
« La grande question, c’était de savoir si ces règles seraient respectées parce que c’est clair qu’on peut se faire beaucoup d’argent quand on ne les respecte pas, » reconnaît Johan Mellqvist.
« En réalité, ça s’est amélioré progressivement : par exemple, ici sur le fleuve de l’Elbe, on est peut-être à 1% au dessus de la limite, peut-être moins, on voit ça aussi au niveau de l’accès à la mer Baltique… Donc la réglementation est globalement très bien respectée, » estime-t-il.
L’air étant moins chargé en oxydes de soufre, ce sont les habitants des côtes qui respirent mieux.
Mais le transport maritime qui génère aujourd’hui 2 à 3% des émissions mondiales de CO2 dégrade toujours plus le climat : si rien ne change, ce secteur en croissance pourrait avoir une empreinte écologique trois fois plus importante d’ici à 2050.
Pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris, le transport maritime doit devenir beaucoup plus propre : il faut faire évoluer la conception, la construction, la consommation et le fonctionnement des navires, ainsi que leur accueil dans les ports.
Nous avons discuté de la question avec Jaap Gebraad, directeur exécutif de Waterborne, la plateforme européenne de recherche et d’innovation dédiées aux entreprises liées à la navigation par voie d’eau.
Denis Loctier, euronews :
« On constate des progrès au niveau des émissions de soufre grâce aux carburants plus propres. Mais qu’en est-il des conséquences du transport maritime sur le climat ? Est-ce possible pour les navires d’émettre moins de gaz à effet de serre ? »
Jaap Gebraad, directeur exécutif de Waterborne :
« Il est tout-à-fait possible au plan technique de rejeter moins de gaz à effet de serre, mais aussi de moins polluer l’atmosphère et l’eau et de générer moins de pollution sonore. Nous travaillons aussi sur des solutions qui sont viables économiquement. Je crois que l’un des exemples qui suscite beaucoup d’intérêt, ce sont les ferries électriques parce qu’ils transportent déjà des passagers. Mais il nous reste encore beaucoup à faire pour que tous les types de bateaux naviguent sans générer d’émissions. »
Denis Loctier :
« Vous discutez avec différents acteurs de cette industrie. Y a-t-il un consensus au sujet des technologies à privilégier pour rendre le transport maritime plus propre ? »
Jaap Gebraad :
« Il y a un consensus sur l’objectif de décarboner le transport par voie d’eau. Au niveau technique, ce qui rend ce défi un peu compliqué, c’est la diversité des navires. Sur certains segments et en particulier, le transport de courte distance, l’électrification peut être une solution. Mais pour les plus longues distances, on s’intéresse par exemple à l’hydrogène propre, à la propulsion à ammoniac ou encore à l’assistance éolienne. Donc au final, il faudra toute une gamme de mesures différentes pour atteindre « zéro émission » dans le transport par voie d’eau au plus tard en 2050. »
L’assistance éolienne n’est pas une idée totalement nouvelle. En Scandinavie, un ferry qui fait la liaison Stockholm – Turku utilise une technologie de pointe dont la viabilité commerciale n’est possible que grâce à la légèreté des matériaux composites. Son cylindre tournant appelé « voile rotor » aide le navire à avancer.
« Ce cylindre est une voile mécanique, » indique Tuomas Riski, PDG et partenaire de Norsepower, la société qui a conçu cette technologie. « Il fait avancer le navire quand le vent est favorable en réduisant la charge du moteur principal, en consommant moins de carburant et en générant moins d’émissions, » poursuit-il.
_ »Le principe physique, c’est ce qu’on appelle l’effet Magnus : grâce à un moteur électrique interne, on fait tourner le cylindre qui à son tour, fait tourner l’air ; quand il y a du vent qui souffle sur le cylindre, cela génère une différence de pression et c’est elle qui fait avancer le bateau, »_ souligne-t-il.
Considéré comme le « navire le plus propre et le plus silencieux de la Baltique », le Viking Grace est aussi l’un des premiers de la région à être alimenté au gaz naturel liquéfié (GNL). Son itinéraire et sa consommation d’énergie à bord ont été optimisés pour consommer moins de carburant.
Quant à sa « voile rotor », elle est encore en test, mais il semble qu’elle contribue à une navigation plus propre.
« Évidemment, le plus gros avantage quand on économise du carburant, c’est qu’on réduit nos émissions : c’est notre objectif et cela fonctionne, » insiste Magnus Thörnroos, capitaine du navire. « Je ne peux pas vous dire combien on rejette en moins, mais je pense que ce doit être entre 2 et 5%, les évaluations sont encore en cours, » déclare-t-il.
Norsepower les a déjà installées sur quatre navires et travaille à en équiper deux de plus. Elle affirme que cette technologie suscite une forte demande et qu’elle peut faire la différence à l’échelle mondiale.
« Notre ambition, c’est que jusqu’à 30.000 navires disposent de cette technologie, » fait savoir Tuomas Riski, PDG de l’entreprise. « Des rapports indépendants assurent que nous pouvons réduire les émissions du transport maritime mondial de près de 10% en utilisant uniquement cette technologie, » souligne-t-il.
Autre exemple d’amélioration de la qualité de l’air grâce à la technologie : le terminal d’attache du Viking Grace à Turku. Tous les camions y sont scannés automatiquement pour que les opérations d’embarquement à bord du ferry soient plus rapides.
Et grâce au soutien financier de l’Union européenne, le port est en train de s’équiper d’un nouveau système d’auto-amarrage. Bientôt, il permettra de gagner des minutes précieuses lors des opérations de mise à quai et de désarrimage du ferry.
« Si on gagne du temps au port, alors on n’a pas besoin de chercher à augmenter la vitesse sur le trajet : or si on baisse la vitesse, on réduit aussi les émissions, » résume Markku Alahäme, directeur technique du port de Turku.
Un projet de stratégie de l’Organisation maritime internationale (OMI) donne comme objectif au transport maritime mondial, de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de moitié d’ici à 2050.
Des technologies prometteuses existent pour permettre à ses représentants de suivre ce cap.
Source : Euronews