« Protéger les forêts marines »: Luisa Mangialajo alerte sur les menaces qui pèsent sur ces algues brunes
16 mai 2025
16 mai 2025
Elle s’approche du bord de la jetée. L’eau de la mer est transparente. Au fond on aperçoit des oursins. « Ce sont des herbivores très actifs la nuit, explique Luisa Mangialajo, professeur en écologie à Université Côte d’Azur, et quand ils prolifèrent de façon importante, ils peuvent vraiment raser en quelques années une forêt d’algues brunes. » Ces grandes algues, écosystème essentiel à la vie marine dans les régions tempérées, qui sont au cœur de ses recherches depuis plus de 20 ans.
« J’ai toujours eu une passion pour la mer en général, et en particulier pour la vie marine. Toute petite déjà, j’adorais chercher des petits coquillages sur la plage, » se souvient-elle.
Assez tôt, elle se met à la plongée. « Pour pouvoir observer les écosystèmes et les organismes dans leur milieu, les poissons mais aussi les gorgones, le corail, les éponges et les algues. »
De cette insatiable curiosité pour la vie marine, elle décide de faire son métier. À Gênes, elle entreprend donc des études en sciences de l’environnement marin, pour réaliser son rêve. « J’ai choisi la partie plus axée biologie et écologie », précise-t-elle. Elle se spécialise dans l’étude des forêts de grandes algues brunes de Méditerranée, les cystoseires (du nom scientifique « cystoseira »). « Ces dernières décennies, on a observé une régression très importante. J’ai voulu essayer de comprendre pourquoi et voir s’il pouvait y avoir des solutions pour la limiter. »
Une disparition préoccupante car ces grandes algues brunes, accrochées aux rochers, font la photosynthèse et maintiennent la biodiversité. « Elles soutiennent tout un réseau de chaînes alimentaires formées par des herbivores et des prédateurs de plusieurs niveaux avec des poissons emblématiques comme le mérou mais aussi le phoque moine, espèce méditerranéenne considérée en danger par l’UICN (Union internationale de conservation de la nature. » « Très sensibles à la diminution de la qualité de l’eau (turbidité, présence de polluants tels que les pesticides), les algues brunes sont aussi très impactées par la bétonisation, surtout celles qui se développent dans les petits fonds. Mais une des causes plus importantes de régression, ce sont les proliférations d’herbivores, tels que les oursins, qui sont généralement liées à la surpêche de leurs prédateurs. Ils sont capables de brouter les forêts très rapidement en laissant des véritables déserts de surpâturage. » Et ce n’est pas tout. « On a découvert récemment que les saupes broutent les ramifications et surtout les structures reproductives des cystoseires, ce qui empêche l’algue de se reproduire et entraîne une régression à long terme. »
Or le nombre de ces brouteurs a augmenté dans les dernières décennies.
« Ces forêts n’ont pas disparu partout. Il reste des populations en très bonne santé, surtout dans les milieux insulaires qu’il faut vraiment protéger. »
Luisa Mangialajo voit aussi dans la prise de conscience de leur importance et de leur vulnérabilité un motif d’espoir. « Cette prise en compte va nous permettre maintenant d’avancer, de les protéger et donc de pouvoir améliorer aussi la santé des écosystèmes dégradés. En 2024, la loi de restauration de la nature a approuvé une liste de 12 espèces de cystoseira comme espèces à restaurer, étant des habitats prioritaires au niveau de l’Europe », souligne-t-elle. Depuis plusieurs années, la scientifique étudie « comment faciliter le processus de restauration naturelle ou comment intervenir par exemple en replantant ou en utilisant des graines. » Ces tests sont menés à petite échelle, en veillant à protéger les embryons de forêts des « brouteurs », par des filets (photo ci-contre).
Elle suggère des actions simples dans la vie quotidienne. « Réduire l’utilisation de produits chimiques, d’entretien, dont on se sert au quotidien et qui tôt ou tard terminent en grande partie dans la mer. »
Elle recommande aussi de faire attention sur les plages et les zones rocheuses à ne pas arracher d’organisme et essayer de ne pas les piétiner. « Les cystoseires peuvent vivre plusieurs dizaines d’années. Quand on arrache une algue avec sa base, elle ne repousse pas, c’est comme arracher un arbre vieux de 40 ans. »
Enfin, dans son assiette, elle invite à « préférer des produits de la mer qui viennent de la pêche durable ». Par exemple consommer davantage de poissons herbivores tels que les saupes et ainsi contribuer ainsi à la conservation des forêts marines.