Pollution des plages françaises : d’où viennent les microbilles de plastique ?

 

Alors que les plages de la côte atlantique sont envahies de microbilles de plastique, Charlotte Nithart, directrice de l’ONG Robin des Bois, alerte sur les risques environnementaux d’une telle pollution, probablement provoquée par la perte, en mer, d’une cargaison maritime.

 

Certains évoquent une pollution engendrée par la perte de containers en mer. Peut-on, à ce stade, l’affirmer ?

 

Au vu des quantités rejetées sur les plages et si l’on considère que toutes ces microbilles plastiques arrivent du large, à plusieurs endroits différents sur la côte, il y a effectivement de fortes chances qu’elles proviennent d’une cargaison. Ce qui n’est pas toujours le cas. Parmi les autres sources potentielles de ce type de pollution, on retrouve aussi les sites de production et de recyclage. C’est le cas, par exemple, de l’usine Exxon Mobil à Port-Jérôme (Seine-Maritime). Le site ne maîtrise pas du tout ses pertes de granulés qui finissent dans la Seine en très grande quantité. Les relevés en ont décelé jusqu’à 950 grammes par m 3 dans les eaux de la réserve naturelle nationale de l’estuaire de la Seine. Certaines boucles du fleuve sont devenues de véritables décharges. Nous avons porté plainte contre Exxon Mobil. Elle a été classée sans suite. Comme trop souvent dans ce genre d’affaire.

 

De quel type de pollution parle-t-on exactement ?

 

Il s’agit de micro plastiques primaires, des polymères utilisés dans l’industrie automobile, mais également dans les secteurs de l’emballage, du conditionnement alimentaire et dans l’industrie du recyclage. Les plastiques en fin de vie sont alors transformés en granulés pour être réutilisés. Les pertes peuvent également avoir lieu durant le transport terrestre de ces matériaux. Qu’elles proviennent de camions ou de sites de production, ces microbilles finissent invariablement dans les rivières, puis en mer. 

 

Quelle est la durée de vie de ces plastiques dans la nature et quels sont leurs impacts sur les écosystèmes ?

 

Ce sont des plastiques, donc, ils restent des centaines, voire des milliers d’années. Ils ne se biodégradent jamais, mais finissent par se fragmenter sous l’effet du frottement avec le sable ou les rochers. Une fois transformés en poussières, ils vont tout contaminer. C’est une véritable plaie. En plus de détruire la santé des océans, ces microparticules vont être ingérées par un nombre considérable d’espèces marines et d’oiseaux qui vont les confondre avec des proies. Il peut y avoir alors contamination de la chaîne alimentaire, mais également étouffement, perte d’appétence ou de mobilité chez les animaux concernés. Lors d’études préalables à la directive-cadre de l’Union européenne sur les milieux maritimes, les scientifiques ont retrouvé 278 granulés dans l’estomac d’un seul oiseau marin. Leur dépôt est aussi une catastrophe pour la laisse de mer – ces bandes d’algues et de débris végétaux accumulées en haut des plages lorsque la mer se retire – véritable garde-manger pour de nombreuses espèces. Nettoyer la laisse de mer est quasiment impossible et tout retirer serait néfaste pour les écosystèmes. C’est un cercle vicieux.

 

Est-il possible d’identifier les responsables ?

 

Parfois, c’est plutôt simple. En 2014 par exemple, on sait que l’immense porte-conteneurs Svendborg Maersk a perdu 517 containers au large de la Bretagne. Dans la foulée, la préfecture maritime a imposé une cartographie des fonds marins afin de déterminer l’emplacement exact des boîtes, mais personne, ensuite, n’est allé les récupérer. Là aussi, la plainte que nous avions déposée à l’époque contre l’armateur a été classée sans suite.

 

Et dans le cas présent ?

 

Ce n’est jamais vraiment impossible de déterminer les responsabilités, mais cela nécessite une enquête minutieuse et internationale dans un monde opaque, celui du transport maritime. Les navires impliqués devaient être en mer trois à quatre jours avant le coup de mer. Une fois déterminée cette première liste, il faut éliminer tous ceux qui ne transportaient pas de containers. Ensuite, entrer en contact avec les armateurs afin de définir exactement le type de marchandises. D’après les photos, ces granulés peuvent également provenir d’un container perdu il y a plusieurs mois et qui a fini par s’éventrer. Là aussi, on peut préciser les choses en analysant les plastiques. Bref, c’est possible, à condition d’y mettre les moyens. 

 

Ces pertes de containers sont-elles un phénomène qui prend de l’ampleur ?

 

Oui, on le constate de plus en plus souvent. D’abord, parce que le trafic maritime s’intensifie. Mais pas seulement. Les porte-containeurs sont de plus en plus gros, avec, en moyenne, 20 000 boîtes à bord. Cette course au gigantisme favorise les pertes. À tel point que les assureurs et les armateurs – peu connus pour être très loquaces – reconnaissent eux-mêmes que lors de la reprise post-covid, les pertes ont significativement augmenté.

 

Que faudrait-il mettre en œuvre pour en sortir ?

 

La première des solutions serait d’interdire le transport en pontée (sur le pont supérieur), de containers contenants des granulés plastiques. Mais le plastique n’étant pas considéré comme une matière dangereuse par les autorités maritimes, il n’y a pas d’obligation à les entreposer en cale. En outre, et toujours parce que ce n’est officiellement pas une marchandise à risques, les conditions d’arrimage et la traçabilité de ces containers sont moins strictes. Enfin, pour des questions de coûts, les armateurs refusent de payer pour la récupération de leurs containers tombés à la mer ou pour installer un système de balise sur leur cargaison. En somme, il faut bouger l’Organisation maritime internationale, sortir de ce système où une dizaine d’armateurs tout-puissants font la loi sous l’œil d’États complaisants à leur égard. Mais encore faudrait-il que tous les pays considèrent cette question comme une priorité.

Source: l’Humanité